Alcon au centre d’une affaire de vols de brevets
Le groupe genevois est accusée par Johnson & Johnson de lui avoir dérobé des secrets commerciaux, essentiels au fonctionnement d’un laser pour les opérations de la cataracte. Alcon contre-attaque dans des procédures aux Etats-Unis, en Allemagne et en Angleterre
Une multinationale genevoise est au centre d’une vaste procédure en justice, aux Etats-Unis, en Allemagne et au RoyaumeUni, portant sur des instruments chirurgicaux dans les opérations de la cataracte. Alcon, une firme siégeant à Vernier, est accusé par AMO, une filiale du géant américain Johnson & Johnson (J&J), de vols de secrets commerciaux et de violations d’une vingtaine de brevets. Le groupe suisse a contre-attaqué en justice dans les trois mêmes pays, estimant que le voleur, c’est en fait AMO. L’affaire apporte un éclairage inédit sur le monde complexe des brevets, leur utilisation, les éventuels abus en leur nom.
J&J, qui domine le marché des traitements oculaires, évoque un «piratage d’une ampleur insondable» à propos du vol d’un code informatique lié à un laser contre la cataracte, une maladie de l’oeil qui peut conduire à la cécité. En face, la firme genevoise parle d’un «écran de fumée» et dit être la détentrice des brevets.
Alcon a vu le jour en 1945, au Texas, avant d’être rachetée en 1977 par Nestlé. La firme veveysanne lui permet d’investir, d’ouvrir des usines en Amérique du Sud et en Europe, avant de la vendre à un autre géant helvétique, Novartis, en 2008. Alcon acquiert son indépendance en 2019 et installe son siège social à Genève. Le groupe vend des lentilles de contact et des machines destinées aux médecins.
Dans cette affaire, les enjeux sont de taille: les patients souffrant d’une cataracte se comptent en dizaines de millions dans le monde, selon l’OMS. Une opération dans ce cadre vise à remplacer la lentille défectueuse de l’oeil par une lentille artificielle. Les technologies au laser facilitent les incisions dans la cornée et le prélèvement de la lentille.
Valse de plaintes
Une première plainte est déposée par AMO en juin 2020 devant la justice de l’Etat américain du Delaware et en Allemagne. Elle porte sur la violation de 13 brevets sur l’utilisation d’un laser dans les opérations de la cataracte. La plainte est amendée deux fois, en septembre 2020 et en juin 2021, étendant les chefs d’accusation au vol de 20 brevets et d’un code informatique faisant fonctionner le laser. Alcon répond du tac au tac et lance une procédure au Royaume-Uni en avril. Le 1er juillet, une troisième «réponse à une plainte amendée» est remise à la justice du Delaware, le 134e document remis à cette juridiction dans ce cadre.
Les technologies par laser femtoseconde (un type de laser sophistiqué) d’AMO ont «révolutionné la chirurgie de la cataracte», estime AMO. La division de J&J cite un article publié dans une revue scientifique en 2010 décrivant leur technique qui allait aboutir à la commercialisation outre-Atlantique du «Catalys Precision Laser System». Cet instrument d’AMO sera vite vendu à l’international, notamment en Suisse.
C’est au contraire un appareil d’Alcon, baptisé LenSx, qui «a créé le marché sur lequel les plaignants tentent maintenant de rivaliser», selon le groupe genevois, qui vend également sa solution dans un grand nombre de pays, dont la Suisse. Alcon estime que, frustré par le fait d’avoir été dépassé, «AMO a passé des années à développer un écran de fumée, en déposant des dizaines de demandes de brevets pour revendiquer le concept même de la chirurgie de la cataracte par laser femtoseconde, un concept inventé par d’autres». Alcon voit en cette affaire une «tentative effrontée d’AMO de l’empêcher de vendre son LenSx».
26 000 lignes de code copiées?
AMO souligne que les fondateurs de LenSx Laser étaient auparavant des employés d’IntraLase, une entreprise rachetée par AMO en 2007. Ces ex-salariés seraient donc partis avec ses secrets, dont des codes informatiques qui auraient permis à LenSx de faire fonctionner son laser. Quelque 26000 lignes de code auraient ainsi été copiées, «un vol et une tromperie à grande échelle, selon Alcon, du type de ceux que l’on trouve dans les romans de poche et les films hollywoodiens mais pas dans les conflits réels entre des sociétés cotées».
Alcon dit avoir été, en 2011, la première entreprise à commercialiser un laser femtoseconde pour la cataracte, sous le nom de LenSx. Le groupe genevois reconnaît que LenSx a été inventé par des anciens employés d’IntraLase mais il soutient que son laser a été entièrement développé en interne.
Les procédures, qui commencent, promettent d’occuper la justice pendant plusieurs années. J&J, une multinationale américaine qui produit un vaccin contre le Covid-19, emploie en Suisse 4400 personnes sur une quinzaine de sites, notamment dans les cantons de Soleure, du Tessin, de Neuchâtel et de Zoug. Alcon recense 23000 salariés, dont 700 entre Fribourg, Schaffhouse, Rotkreuz (ZG) et Genève. En 2020, l’entreprise a publié un chiffre d’affaires de 6,7 milliards de dollars, ce qui en fait la principale entreprise des sciences de la vie de Genève et une valeur cotée au SMI, l’indice des vedettes de la bourse suisse.
Le conflit entre AMO et Alcon apporte un éclairage inédit sur le monde complexe des brevets, leur utilisation, les éventuels abus en leur nom