La reine Léa
◗ Le jeu du hasard et des coïncidences fait que, parfois, une actrice est soudainement omniprésente. Comme par le passé Isabelle Huppert ou Adèle Haenel, c'est Léa Seydoux qui, cette année, a illuminé les écrans du Festival de Cannes avec trois films en compétition, et un quatrième en séance spéciale. Indécent? Non, car ce genre de surexposition soudaine est toujours un magnifique moyen de célébrer la magie du cinéma, cet art consistant à rendre réel ce qui ne l'est pas.
Ainsi, Léa Seydoux aura tour à tour été une gardienne de prison posant nue pour un tueur dans The French Dispatch de Wes Anderson, l'épouse évanescente d'un marin ténébreux dans L’Histoire de ma femme d'Ildikó Enyedi, une journaliste télé égocentrée dans France de Bruno Dumont, et enfin la maîtresse de Philip Roth dans Tromperie d'Arnaud Desplechin. A chaque fois, la magie opère: passé le trouble de reconnaître un visage familier, très vite on ne voit plus que le personnage.
A ses débuts au milieu des années 2000, Léa Seydoux a autant fait parler d'elle pour ses films que pour des raisons extracinématographiques. Son grand-père, Jérôme Seydoux, préside la société Pathé, tandis que son grand-oncle, Nicolas Seydoux, dirige la vénérable Gaumont. Mais la manière dont le cinéma d'auteur l'a adoptée en même temps qu'Hollywood lui faisait les yeux doux a rapidement fait taire les jaloux. A Cannes, la Parisienne a déjà remporté deux prix. Le Trophée Chopard des jeunes talents en 2009, la Palme d'or en 2013 pour La Vie d’Adèle, exceptionnellement remise non pas uniquement à un réalisateur, mais également à ses deux actrices.
En 2014, lors de la sortie de La Belle et la Bête, Christophe Gans expliquait que l'actrice «a dans sa façon d'être quelque chose de contemporain, à la fois éternel et classique, naturel et sophistiqué». Il y a quelques jours, Arnaud Desplechin, qui l'a déjà dirigée il y a deux ans dans Roubaix, une lumière, m'expliquait en interview qu'il y a chez elle «un appétit et une haute idée du cinéma dans son pouvoir de divertissement et de profondeur philosophique».
Dans sa manière de passer de Bruno Dumont à James Bond, le cinéaste a retrouvé chez la jeune femme une ambition pour le 7e art qui est aussi celle de Catherine Deneuve, avoue-t-il. Le jury de Spike Lee validera-t-il son omniprésence par un Prix d'interprétation féminine? En tous les cas, Léa Seydoux s'est véritablement effacée derrière son amour du jeu: en isolement à Paris pour cause de covide, elle n'a pas pu illuminer le tapis rouge cannois de sa présence. ■