Le Temps

La reine Léa

- STÉPHANE GOBBO @StephGobbo

◗ Le jeu du hasard et des coïncidenc­es fait que, parfois, une actrice est soudaineme­nt omniprésen­te. Comme par le passé Isabelle Huppert ou Adèle Haenel, c'est Léa Seydoux qui, cette année, a illuminé les écrans du Festival de Cannes avec trois films en compétitio­n, et un quatrième en séance spéciale. Indécent? Non, car ce genre de surexposit­ion soudaine est toujours un magnifique moyen de célébrer la magie du cinéma, cet art consistant à rendre réel ce qui ne l'est pas.

Ainsi, Léa Seydoux aura tour à tour été une gardienne de prison posant nue pour un tueur dans The French Dispatch de Wes Anderson, l'épouse évanescent­e d'un marin ténébreux dans L’Histoire de ma femme d'Ildikó Enyedi, une journalist­e télé égocentrée dans France de Bruno Dumont, et enfin la maîtresse de Philip Roth dans Tromperie d'Arnaud Desplechin. A chaque fois, la magie opère: passé le trouble de reconnaîtr­e un visage familier, très vite on ne voit plus que le personnage.

A ses débuts au milieu des années 2000, Léa Seydoux a autant fait parler d'elle pour ses films que pour des raisons extraciném­atographiq­ues. Son grand-père, Jérôme Seydoux, préside la société Pathé, tandis que son grand-oncle, Nicolas Seydoux, dirige la vénérable Gaumont. Mais la manière dont le cinéma d'auteur l'a adoptée en même temps qu'Hollywood lui faisait les yeux doux a rapidement fait taire les jaloux. A Cannes, la Parisienne a déjà remporté deux prix. Le Trophée Chopard des jeunes talents en 2009, la Palme d'or en 2013 pour La Vie d’Adèle, exceptionn­ellement remise non pas uniquement à un réalisateu­r, mais également à ses deux actrices.

En 2014, lors de la sortie de La Belle et la Bête, Christophe Gans expliquait que l'actrice «a dans sa façon d'être quelque chose de contempora­in, à la fois éternel et classique, naturel et sophistiqu­é». Il y a quelques jours, Arnaud Desplechin, qui l'a déjà dirigée il y a deux ans dans Roubaix, une lumière, m'expliquait en interview qu'il y a chez elle «un appétit et une haute idée du cinéma dans son pouvoir de divertisse­ment et de profondeur philosophi­que».

Dans sa manière de passer de Bruno Dumont à James Bond, le cinéaste a retrouvé chez la jeune femme une ambition pour le 7e art qui est aussi celle de Catherine Deneuve, avoue-t-il. Le jury de Spike Lee validera-t-il son omniprésen­ce par un Prix d'interpréta­tion féminine? En tous les cas, Léa Seydoux s'est véritablem­ent effacée derrière son amour du jeu: en isolement à Paris pour cause de covide, elle n'a pas pu illuminer le tapis rouge cannois de sa présence. ■

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