Réflexions autour du rôle de la science et de la place des femmes
Al'heure à laquelle j'écris ces lignes, la proposition de loi sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre a échoué. Comme enseignant et chercheur en sciences de la Terre, et sachant que la concentration de CO2 dans l'atmosphère risque d'être comparable d'ici à la fin du siècle aux conditions torrides qui régnaient sur Terre il y a 35 millions d'années, ce rejet me laisse dubitatif. Il interpelle d'autant plus qu'il s'est imposé malgré un soutien de la majorité des partis politiques, des milieux économiques et du monde académique, et en dépit de l'appel unanime de la communauté scientifique suisse, experte et leader mondiale des questions climatiques.
Comment se peut-il qu'une initiative dont l'objectif final porte sur la survie de notre espèce n'ait pas obtenu une majorité claire et convaincante? En tant que recteur désigné d'une grande université qui allie à la fois sciences naturelles et sciences humaines et sociales, je suis forcé de réfléchir à l'aube de mon entrée en fonction au rôle que peut jouer le monde académique en faveur d'une transition écologique qui soit favorable pour toutes et tous, et perçue comme telle: celle-ci doit en effet respecter les limites planétaires, mais également un certain plancher social qui permette à chacun·e d'avoir accès à un emploi et à la santé en toute équité. Ce grand changement est une opportunité à ne pas manquer, et l'université se doit d'y prendre part afin que l'ensemble de la population puisse bénéficier de ses effets.
Oui, mais comment procéder? L'Unil, par exemple, mise depuis de nombreuses années sur la transition écologique comme ligne stratégique prioritaire, qui vient compléter ses missions premières que sont la création, la transmission et la diffusion du savoir. Pour ce faire, elle peut compter sur sa taille, mais surtout sur le large spectre de ses activités en sciences naturelles et sciences humaines et sociales. Cette richesse de pensée lui permet d'élaborer une approche systémique qui se décline selon trois axes complémentaires.
Le premier s'appuie (sans surprise) sur ses activités de recherche et d'enseignement. Bien que divisée en sept facultés, l'Unil a mis en place depuis plusieurs années des modules interdisciplinaires autour de la durabilité. Elle a récemment intensifié ses activités en créant cinq centres (durabilité; économie, management et technologie; action climatique; environnement et droit; montagnes) dédiés aux questions de transition écologique. Deux d'entre eux forment même une alliance avec des institutions partenaires, l'EPFL et l'IMD afin d'offrir un spectre de compétences encore plus vaste. Les objectifs poursuivis sont variés et c'est exactement ce dont nous avons besoin aujourd'hui. Ils visent, d'une part, à promouvoir la préservation de la biodiversité et la résilience économique, sociale et environnementale. D'autre part, ils se consacrent à former la prochaine génération de décideurs·euses, ou encore à aborder des questions juridiques liées aux enjeux cli
NOTRE PLUS GRAND DÉFI RESTE LE DÉCLENCHEMENT D’UN BOULEVERSEMENT CULTUREL
matiques. Grâce aux savoirs pluriels qu’elle génère et transmet, l’université peut donc se positionner avec ses partenaires les plus proches comme un interlocuteur capable de développer des solutions culturelles, sociales et technologiques adéquates du sommet des montagnes au centre des villes dans des domaines variés. Finalement, et dans ce cadre, la préservation de cette recherche fondamentale reste bien entendu essentielle. Sans elle, nous ne saurions tout simplement pas que le climat change.
Le deuxième axe concerne la vie sur le campus. En effet, il s’agit d’un véritable laboratoire vivant: nous y vivons, y mangeons et y travaillons. Il s’agit donc de l’endroit idéal pour tester des stratégies, par exemple en matière de mobilité, d’énergie ou d’alimentation. Il existe de nombreuses techniques et technologies susceptibles de faciliter la gestion d’un campus qui accueille quotidiennement20000 personnes, et l’université les utilise depuis de nombreuses années. Nous pouvons cependant aller plus loin en ce qui concerne nos activités collectives. Pour y parvenir, il existe notamment le modèle que nous avons évoqué plus haut, qui consiste à respecter les limites planétaires tout en atteignant une excellence collective. Un tel cadre permet d’évaluer les performances d’une économie en fonction de la façon dont elle répond aux besoins de la population sans dépasser le plafond écologique de la Terre. Il peut être applicable et adaptable à nos institutions académiques. Les réussites concrètes de nos expériences sur le campus seraient ensuite exportables bien au-delà d’une université.
Le troisième et dernier axe concerne l’ouverture de l’académie vers la cité et vice versa, notamment via son engagement citoyen et ses activités de médiation culturelle. Elle peut et doit agir localement en informant son environnement proche et en échangeant avec les entreprises, et les pouvoirs publics de la ville, du canton et du pays. Les universités jouent depuis longtemps un rôle central pour faire avancer les sociétés. En matière de transition écologique, elles doivent rester engagées tout en gardant à l’esprit les dangers du biais de confirmation, c’est-à-dire la tendance que nous avons toutes et tous à privilégier les informations qui confirment nos propres préjugés. Chaque démarche scientifique doit être libre de tout biais. C’est essentiel pour qu’elle reste pertinente et crédible aux yeux d’un public non initié.
La transition écologique est aujourd’hui l’un des enjeux principaux de l’humanité, et notre plus grand défi reste le déclenchement d’un bouleversement culturel. On le voit, des pistes existent, dans lesquelles le rôle joué par nos institutions académiques est capital. L’Unil et l’ensemble de ses partenaires ont tous les atouts pour y contribuer. Ce changement passe et passera, j’en suis convaincu, par l’approche systémique déclinée ci-dessus, ainsi que par un engagement citoyen qui partage notre volonté de bâtir ensemble des projets communs et participatifs.
■