Le Temps

Une visite à Bruxelles pour limiter la casse

Le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis se rend à Bruxelles pour détailler les raisons de l’abandon de l’accordcadr­e. Un premier échange de vues qui doit permettre d’apaiser le climat plus que de résoudre les problèmes qui demeurent

- MICHEL GUILLAUME, BERNE @mfguillaum­e

Le conseiller fédéral Ignazio Cassis va rencontrer ce mardi le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, et le commissair­e au Budget

■ Ce seront des discussion­s très informelle­s, mais les premières depuis la rupture des négociatio­ns sur l’accord-cadre à la fin du mois de mai par Berne

■ Le premier pas? Il importe de vite se porter au secours des chercheurs suisses. L’UE lie la coopératio­n au versement du milliard de cohésion

■ Après ce versement qui doit être validé par les Chambres, Berne ne veut plus de mesures de rétorsion. L’après-26 mai s’annonce sous de rudes auspices

C'est une visite dont il ne faut pas attendre grand-chose. Deux mois après que le Conseil fédéral a décidé d'enterrer l'accord-cadre avec l'UE, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis se rend ce mardi à Bruxelles pour y rencontrer deux membres influents de la Commission européenne, le vice-président Josep Borrell et le responsabl­e du budget Johannes Hahn. Côté suisse, on interprète déjà cette rencontre comme un «petit succès» après le choc encaissé par Bruxelles. Côté européen, on recevra poliment Ignazio Cassis, mais on se demande bien de quoi on pourrait parler dès lors que ce sont les Suisses qui ont «renversé la table».

Changement d’ère

Le Départemen­t fédéral des affaires étrangères (DFAE) est d'ailleurs le premier à tempérer les espoirs. Il s'agit d'un simple «échange de vues» lors duquel Ignazio Cassis détaillera les raisons de la décision du Conseil fédéral du 26 mai dernier. Le Tessinois a croisé ses deux interlocut­eurs en marge du Forum européen de Wachau en Autriche et de la Conférence sur la Libye à Berlin les 12 et 23 juin dernier et l'on a convenu de se voir dès que possible pour envisager ce nouveau dialogue politique que souhaite la Suisse. Mais Ignazio Cassis profite aussi de l'occasion pour faire connaissan­ce de la nouvelle équipe dirigeante à la mission suisse. A Urs Bucher et Gilles Roduit succèdent Rita Adam et Alexander Renggli. La première était jusqu'à présent ambassadri­ce à Rome et le deuxième chef de la section économie, finance et science à l'ambassade de Londres.

Changement d'ère à tous les échelons donc: sur le plan du personnel helvétique en charge à Bruxelles, et dans la relation avec l'Europe. Surprise – c'est là un euphémisme

– par la manière dont le Conseil fédéral a mis fin à l'accord-cadre sans consulter ni son parlement ni son peuple, l'UE attend de voir. «Le Conseil fédéral a entaché sa crédibilit­é à Bruxelles et il faudra du temps pour relancer la relation», confie un interlocut­eur européen. «Il y a beaucoup de domaines dans lesquels nous devons collaborer, mais pas sans un cadre institutio­nnel», ajoute-t-il.

Aux yeux de Damien Cottier (PLR/NE), c'est une «opération damage control» qui commence. Avant d'évoquer tout plan B, il s'agit de limiter les dégâts résultant de l'absence d'un accord-cadre. Car l'UE a mis à exécution ce qu'elle avait dit qu'elle ferait dans ce scénario. Elle n'a pas actualisé la reconnaiss­ance mutuelle des produits de technologi­e médicale et a relégué la Suisse au rang d'état tiers dans sa participat­ion au prochain programme de recherche Horizon Europe.

Le premier pas consiste à apaiser le climat, à «dédramatis­er l'échec de l'accord-cadre et à laisser retomber la poussière», comme le dit désormais la secrétaire d'Etat Livia Leu, qui sera également du voyage à Bruxelles. Ce sera compliqué. Car la pression a changé de camp. Longtemps, c'est l'UE qui a enjoint la Suisse à signer l'accord-cadre. Désormais, c'est la

Suisse qui doit se porter sans tarder au secours de ses chercheurs, privés de prestigieu­ses bourses européenne­s et de la coordinati­on des projets européens. «On ne peut pas rester longtemps dans un tel climat d'incertitud­e», s'inquiète Michel Matter (Vert'libéraux/GE). «A terme, c'est une fuite des cerveaux de la Suisse vers l'UE qui menace», renchérit-il après avoir parlé avec de nombreuses PME et start-up de la région lémanique.

On l'a compris, le dossier le plus urgent à traiter est celui de la coopératio­n au sein du programme européen de la recherche. L'UE le lie dorénavant au versement de la contributi­on de la Suisse à l'aide à la cohésion, un montant de 1,3 milliard que le parlement a déjà approuvé, mais à la condition que Bruxelles ne prenne plus de mesures de rétorsion. Après l'échec de l'accord-cadre, le Conseil fédéral s'est immédiatem­ent engagé à débloquer ce crédit, mais la décision finale appartient au parlement. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que la partie n'est pas gagnée d'avance. En dehors de l'UDC qui ne veut rien entendre de cette aide, le centre droit est très divisé. Interrogé par la RTS, le vice-président du PLR Philippe Nantermod a précisé «qu'il n'y avait aucune raison de débloquer ce crédit sans contrepart­ie.» «Nous voulons rester un partenaire qui traite d'égal à égal avec l'UE et exigeons des améliorati­ons sectoriell­es dans notre relation», a-t-il insisté.

Le déni suisse de réalité

Vice-président du Centre, le conseiller aux Etats Charles Juillard ne cache pas ses craintes. «Actuelleme­nt, il est peu probable que ce milliard de la cohésion soit approuvé par le parlement. Il y a beaucoup d'élus qui veulent le négocier avec l'UE, notamment au centre droit. Sur ce point, la gauche, qui a toujours soutenu ce crédit, se montre plus confiante. «Le parlement devrait dire oui», estime le chef du groupe socialiste Roger Nordmann, qui prévient toutefois: «Aux yeux de l'UE, ce milliard n'est qu'un prérequis pour commencer les négociatio­ns afin d'associer la Suisse au programme de recherches.»

L'après-26 mai 2021 s'annonce sous de rudes auspices. Entre une UE amèrement déçue et une Suisse soucieuse de lancer un «dialogue politique» sans la moindre feuille de route, on risque fort d'en rester à un climat de méfiance reposant sur des a priori. «Dans notre pays, trop de gens sont persuadés que c'est l'Europe qui a besoin de la Suisse et non le contraire», regrette Charles Juillard. «Ce sont de doux rêveurs. Croire que l'abandon de l'accord-cadre n'aura pas de conséquenc­es pour la Suisse est un déni de réalité.»

«Dans notre pays, trop de gens sont persuadés que c’est l’Europe qui a besoin de la Suisse et non le contraire» CHARLES JUILLARD, CONSEILLER AUX ÉTATS, VICE-PRÉSIDENT DU CENTRE

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