Le prix volatil du sucre
Plusieurs années de baisse des cours ont causé des dégâts parmi les producteurs de canne à sucre et de betteraves. Les négociants, très présents dans le canton, anticipent désormais des pénuries. La tendance se serait-elle inversée?
Plusieurs années de baisse des cours du sucre ont mis à mal les producteurs de betterave et de canne à sucre. A Genève, les négociants anticipent désormais des pénuries. La tendance se serait-elle inversée?
Suspense dans le monde du sucre. Cette denrée issue de betteraves ou de canne à sucre suscite des sueurs froides parmi ses producteurs et ses négociants, car son prix est volatil. On est loin, avec elle, du débat sur l’éventualité d’un supercycle – une hausse prolongée des cours – qui fait couler l’encre dans les métaux et les denrées agricoles. Mais une tendance haussière, porteuse d’espoir, se dessine tout de même.
Tous les regards sont tournés vers le Brésil et l’Inde, les principaux producteurs. Au Brésil, les récoltes s’annoncent ternes. Le pays a subi une sécheresse et des bas prix ont incité les agriculteurs à lorgner d’autres cultures. Les cours de l’éthanol flambent, incitant les planteurs à livrer leur production de canne à sucre aux distilleries du biocarburant, susceptibles de mieux les rétribuer. «La récolte au Brésil suscite toujours un lot de commentaires qui influencent les prix, relève Josef Meyer, président de la Fédération des betteraviers de Suisse. On verra quand elle sera terminée, dans deux mois.»
L’Inde subventionne ses exportations depuis deux ans, suscitant des plaintes à l’OMC. Delhi continuera-t-il à soutenir ses producteurs? «Si oui, les prix pourraient baisser, sinon les sucriers indiens ne pourront exporter, car les prix intérieurs seraient supérieurs à ceux du marché international», estime Philippe Chalmin, le fondateur du rapport CyclOpe sur les matières premières.
Mauvaises récoltes
Les récoltes ont été mauvaises dans l’UE, le troisième producteur, victime de la jaunisse de la betterave et de la sécheresse. Si bien que des marchands anticipent deux ans de pénuries.
Près de 45% du négoce de sucre se ferait en Suisse, selon l’association STSA et la Confédération, un chiffre qu’il faut prendre avec des pincettes, car d’autres places – Londres, Paris, Singapour – jouent aussi les premiers rôles. Sur les 183 millions de tonnes de sucre prévues en 2021, un tiers doit traverser les frontières et, souvent, être pris en charge par des traders.
Alvean, une société créée à Lancy en 2014, traite un cinquième des exportations de sucre, selon Bloomberg. Il y a, aussi à Genève, Cofco International, LDC, Wilmar, Sucden, Raizen trading, qui a ouvert un bureau en ville en 2020, et des PME. Des banques et des talents, un fuseau horaire entre l’Asie et les Etats-Unis et un régime fiscal attractif ont fait du canton un hub.
Le rapport CyclOpe évoque une année sucrière 2020 «particulièrement mouvementée», qui fait suite à une «annus horribilis» en 2019 avec des cours atteignant «des niveaux inconnus depuis dix ans». Mais la production et les stocks diminuent, et la consommation augmente, de quoi envisager une hausse des prix.
Début 2020, la livre du sucre roux sur le marché de New York, la référence, remonte après avoir chuté de 32 à 11 cents de 2011 à 2019. La pandémie fait dégringoler les appétits, le réal et les cours de l’éthanol, et la livre tombe à 10 cents en avril 2020. «A ce prix, on ne vit pas du sucre», estime Philippe Chalmin. Depuis, une reprise se dessine: la livre de sucre roux vaut aujourd’hui 18 cents.
«Si les prix sont bas, il y a moins de volume à traiter», selon Hélène Rougès, négociante chez Cofco International. «L’Ukraine produit par exemple 1,5 million de tonnes de sucre par an et en consomme 1,3 million. Le différentiel de 200000 tonnes peut en théorie être exporté mais, si le pays peut se le permettre, il le stockera en attendant de meilleurs prix. Si les prix ne se redressent pas suffisamment, les betteraviers auront la possibilité de choisir de cultiver d’autres récoltes plus rentables l’année suivante.»
Hélène Rougès se spécialise dans le sucre ukrainien, russe et européen qu’elle revend dans les pays bordant la mer Noire, en Israël, au Liban, en Afrique. Les débouchés sucriers de Cofco International sont la Chine, le Bangladesh, l’Indonésie, le Yémen, l’Egypte et l’Algérie. Son équipe de négoce de sucre compte 53 personnes dans huit bureaux, entre Malagnou, le Connecticut et Shanghai. Le groupe recense 6500 salariés dans des plantations, des raffineries et des silos. De quoi composer avec les forces du marché et faire face à des pénuries locales en entamant des réserves ailleurs.
Consolidation
Des marges réduites ont poussé le secteur vers de tels actifs, sans éviter une consolidation. Cet hiver, LDC a vendu sa filiale sucrière, Biosev, au brésilien Raizen et Cargill a cédé la part qu’il détenait dans Alvean au brésilien Copersucar. Les groupes ADM, Bunge et Olam se sont retirés du marché.
La Suisse, qui recensait 21000 hectares de champs de betteraves en 2014, n’en compte plus que 16300. La plante pousse à travers le pays avant d’être acheminée, souvent en train, vers l’une des deux raffineries alémaniques. Les Suisses achètent surtout du sucre suisse tandis que l’industrie agroalimentaire (qui utilise 80% du sucre vendu en Suisse) en importe la moitié, des pays voisins surtout, auprès des fabricants ou par le biais de négociants, comme l’argovien Zuckermühle Rupperswil.
«Les prix remontent et la Suisse a investi dans la recherche pour une production propre, cela devrait relancer la culture de betteraves en Suisse», affirme Josef Meyer. «Les fondamentaux devraient soutenir les prix, même si la pandémie laisse planer des doutes», selon Philippe Chalmin. En Suisse et dans le monde, on croit donc en une reprise après une décennie noire. ■