Biculturel et pro-climat
De père turc et de mère allemande, Emre Telyakar est à l’aise dans les deux cultures. Elu vert au parlement de Francfort en mars, il incarne cette génération pro-climat qui a émergé au cours des années Merkel
De père turc et de mère allemande, Emre Telyakar est à l’aise dans les deux cultures. Elu au parlement de Francfort, ce jeune Vert incarne cette génération pro-climat qui a émergé au cours des années Merkel.
Emre Telyakar, 26 ans, a grandi à Francfort-Nied. Un quartier à forte immigration qu’il refuse de qualifier de banlieue. «Pour vous francophone, c’est trop connoté», avertit-il, amusé. C’est le genre d’endroit où posséder une belle voiture est une sorte de reconnaissance sociale. Aujourd’hui, Emre a déménagé. Il est surtout, depuis mars dernier, un élu vert au parlement de la ville symbole de la puissance financière et économique allemande. De son enfance, il dit avoir conservé le mode d’expression de ses potes, le vallah, un mélange d’arabe et de turc. Cela ne l’empêche pas de parler un allemand soutenu et très articulé. Lors de son premier discours au parlement, Emre a toutefois châtié son langage: «La majorité des élus ne sont pas de la même extraction que moi. Avant d’agir, je dois être pris au sérieux.» Il aime ce contraste, visible au centre-ville, entre les banquiers en costume et la diversité colorée des communautés ethniques.
C’est à deux pas de la place Goethe, au centre de Francfort, sur la terrasse du Café & Bar Celona qu’Emre Telyakar nous raconte sa vie, ses espoirs. Né d’un père turc d’Ankara ayant émigré en Allemagne dans les années 1990 et d’une mère allemande, il est fier d’habiter une ville qui compte quelque 180 nationalités. Il se décrit lui-même comme un «Frankfurter Bub», un enfant du lieu qui a joué, petit, à l’Eintracht Frankfurt, l’enfant d’une ville qui apparaît comme un concentré de la mondialisation.
Racisme latent
Il salue la décision courageuse de la chancelière Angela Merkel d’avoir autorisé près d’un million de migrants, notamment de Syrie, à entrer en Allemagne en 2015. Ce faisant, fait-il remarquer, elle a toutefois rendu visible un racisme latent dont il convient de débattre. «Il y a de vraies tensions entre les immigrés et la police», relève-t-il. Les manifestations sur la place de l’Opéra sont parfois tendues. Après la tuerie de Hanau, qui fit neuf morts en 2020, surtout des «gens de la même couleur de peau que moi», dit-il, les protestataires ont repris en partie à leur compte les slogans devenus désormais universels de Black Lives Matter. «Sur le papier, certains immigrés sont des Allemands, mais dans la réalité, ils ne sont pas toujours perçus ainsi», poursuit le jeune binational.
On sent, chez Emre Telyakar, un rapport aux deux cultures qui ne va pas sans rappeler le film De l’autre côté du réalisateur
Fatih Akin. Si lui-même est pleinement intégré dans la société allemande, son père immigré a davantage connu les conditions de travail décrites dans Ganz unten (Tête de turc) de Günter Wallraff. Mais pour montrer qu’il appartient à une génération qui porte les deux cultures sans gêne, il a tatoué, à 18 ans, un aigle allemand et un croissant turc sur sa poitrine en plus du nom de ses deux frères. Il n’est pas peu fier de relever que deux Allemands aux racines turques, Ugur Sahin et Özlem Türeci, ont mis sur pied BioNTech, la société qui a créé le vaccin anti-covid de Pfizer.
Emre ne parle plus vraiment comme ses potes d’enfance, mais il ne tient pas non plus le discours policé des autres élus du parlement municipal. Il incarne lui-même un changement qui prend place dans plusieurs villes d’Allemagne: la montée des Verts. A Francfort, c’est la première force politique et la deuxième au niveau du land de Hesse. Son engagement politique a été catalysé par la montée de l’Alternative pour l’Allemagne. Ce parti d’extrême droite, avance Emre, doit son succès notamment au fait que la chancelière n’a pas tout fait pour équilibrer la situation entre l’est et l’ouest de l’Allemagne.
«Cela m’a poussé à quitter mon métier d’électricien pour embrasser des études en science politique à l’Université de Francfort, dit-il. J’ai voulu mieux comprendre les ressorts de la politique avant de me lancer. Un jour, j’espère me faire élire au Landtag.»
Les Verts, à ses yeux, reflètent le caractère ouvert et cosmopolite de Francfort. Quand on lui demande de décrire sa vision de l’Allemagne, il sort d’emblée une citation de l’ex-secrétaire d’Etat américain Henry Kissinger: «L’Allemagne est trop grande pour l’Europe, trop petite pour le monde.»
Un omnivore chez les véganes
Le tournant énergétique pris par le gouvernement d’Angela Merkel l’enchante. Merkel a permis l’«Energiewende» en orchestrant la sortie du nucléaire et en planifiant celle du charbon d’ici à 2038. Emre salue cette évolution, mais reconnaît qu’elle n’obéit pas à une vision très élaborée du futur énergétique de l’Allemagne. «Il reste que Merkel a ouvert la voie tant au niveau de l’immigration que de l’énergie», analyse-t-il.
Le jeune élu avoue, un peu gêné, qu’il n’a pas embrassé la culture végane comme ses collègues de parti. En termes de cuisine, il penche irrémédiablement pour la tradition turque du döner kebab ou pour le Babam, un restaurant persan à la Münchenerstraße. S’il craint aujourd’hui une dangereuse fracture en Allemagne entre les partisans de l’ouverture et du multiculturalisme d’un côté et ceux du nationalisme étroit de l’autre, il espère pouvoir laisser son empreinte en politique. Avec un rêve: siéger un jour au Bundestag à Berlin. ■
À 18 ANS, IL A TATOUÉ UN AIGLE ALLEMAND ET UN CROISSANT TURC SUR SA POITRINE