Le Temps

Retour sur les lieux du drame, la peur au ventre

Quelque 10 000 habitants ont pu regagner leur domicile, lundi dans la région d’Euskirchen, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Ils avaient été évacués en raison d’un barrage qui menaçait de rompre

- CÉLINE ZÜND, EUSKIRCHEN @celinezund

Flamershei­m reprend vie, peu à peu. Lundi, les 3000 habitants de ce village ont appris qu’ils pouvaient retourner chez eux, cinq jours après les inondation­s qui ont frappé cette localité dans la commune d’Euskirchen, 57 000 habitants, en Rhénanie-du-Nord-Westphalie. Jeudi, ils avaient à peine pu constater les dégâts avant d’être évacués en urgence. Car, comme si cela ne suffisait pas, le barrage hydrauliqu­e endommagé de Steinbach, à quelques kilomètres de là, menaçait de rompre à tout moment.

Lundi, le danger est finalement écarté. Les autorités ont donné le feu vert aux habitants de Flamershei­m et de deux autres communes, quelque 10 000 personnes en tout, pour regagner leur domicile. Ceux qui avaient été emmenés dans des hébergemen­ts d’urgence ont été acheminés par bus.

Nuit d'angoisse

Les villageois retrouvent leurs habitudes: malgré les circonstan­ces, on se salue dans la rue, ou on s’excuse pour une voiture mal parquée. Avec, ce lundi, un supplément d’humanité et des sourires timides. Car, même si on ne dénombre aucun mort dans cette localité, la peur s’est installée dans tous les esprits depuis cinq jours. Peur de la catastroph­e dans la catastroph­e, si le barrage avait rompu.

Comme pour conjurer l’angoisse et rattraper le temps perdu, les habitants sitôt rentrés, se sont mis à travailler d’arrache-pied. Ils déblayent, trient, raclent la boue, pompent l’eau dans les caves. Comme des centaines d’autres personnes depuis cinq jours, dans cette région particuliè­rement touchée par ce que l’on appelle en Allemagne «l’inondation du siècle».

Debout, les bottes plantées dans la boue qui a envahi sa cuisine dévastée, Milena Czanezki, 38 ans, parvient à peine à décrire l’angoisse qui l’a accompagné­e au cours de cette nuit terrible où un mur a rompu, laissant des tonnes d’eau se déverser dans sa maison située en contrebas. «J’ai cru que les flots avaient emporté ma fille aînée de dix ans, Larina.» Lorsqu’elle arrive devant sa porte avec ses deux filles, ce soir-là, l’eau boueuse lui arrive déjà au niveau des genoux. Elle envoie Larina chez la voisine et tente de rejoindre son mari resté à l’étage, en vain. Les pompiers viennent la chercher et l’évacuent avec son autre fille de sept ans.

Lorsque son mari la rejoint, seul, le lendemain, chez des amis où elle a trouvé refuge, elle lui demande où est Larina. Ils resteront sans nouvelles jusqu’à l’après-midi, lorsqu’ils retrouvero­nt finalement leur fille, partie avec la voisine dans un hébergemen­t d’urgence à Euskirchen. Pendant ces heures coupées du réseau téléphoniq­ue, amis et villageois les ont soutenus, répétant que tout irait bien, priant pour revoir leur fille. Depuis leur retour dans ce qui reste de leur appartemen­t, ils reçoivent les visites des voisins qui proposent à manger, des bottes de rechange ou un coup de main. L’un d’entre eux vient de leur promettre un don de 300 euros «d’une amie à Berlin».

Dans la rue d’à côté, deux femmes se serrent dans les bras. Un paysan d’un village d’à côté a mis son tracteur à dispositio­n et aide à pomper l’eau des caves. «Chez moi, ce n’est pas si grave, alors je viens où je peux me rendre utile», dit-il. Au loin, des sirènes retentisse­nt, rappelant sans cesse l’état d’urgence dans lequel se trouve encore la région, toujours sans courant, ni réseau téléphoniq­ue.

Brigitte Holinde, 76 ans, secoue la tête et répète sans cesse: «J’ai eu de la chance.» Elle pointe du doigt le tout petit ruisseau brunâtre qui coule le long de son jardin, à quelques mètres de sa maison. Aussi incroyable que cela puisse paraître, c’est bien de là que sont venus les torrents de boue et d’eau qui ont tout emporté sur leur passage.

Ou presque. Car sa maison, à elle, est restée intacte.

Dans la soirée de mercredi à jeudi soir, il pleuvait sans relâche. Elle est sortie plusieurs fois, pour surveiller le niveau de l’eau qui «n’arrêtait plus de monter». Toute la soirée, elle l’a entendu gronder, glougloute­r, avant qu’il ne se transforme en fleuve furieux. Elle veut nous montrer le lac, juste à côté. «L’eau était si haute. Le parc était inondé». Au bord de l’étendue d’eau tranquille entourée de hauts arbres, le château qui n’a rien perdu de sa blancheur éclatante, paraît irréel.

Brigitte Holinde est partie seule, jeudi soir dernier, lorsque les pompiers sont venus la chercher pour la prier de quitter les lieux. Elle a frappé à la porte des voisins, mais personne ne répondait. Alors, elle a suivi les consignes. De la place devant le supermarch­é, un bus l’a conduite dans un abri installé par la Croix-Rouge dans une école, à Euskirchen. Elle a dormi avec des dizaines d’autres personnes évacuées de la région, sur un petit lit de camp.

Tous les matins, jusqu’à lundi, elle a pris le petit déjeuner avec eux, et écouté les récits des maisons aux étages inférieurs détruits, des caves inondées, des voiture emportées par les flots, d’albums photos disparus, et avec eux les souvenirs de toute une vie. Chaque jour, elle atten

«Personne ne s’attendait à cette catastroph­e. Pour les gens, le changement climatique, c’est la sécheresse. Pas l’eau» GERHARD MELLER, PHARMACIEN D’EUSKIRCHEN

dait dans l’angoisse les nouvelles du barrage et priait pour pouvoir retrouver sa maison. Alors, ce lundi, elle ne cesse de répéter, errant dans son jardin, pointant du doigt ce ruisseau qu’elle entend murmurer depuis cinquante ans, et qui paraît si inoffensif: «J’ai de la chance.»

«On se sent seul»

La chance, Gerhard Meller ne veut pas compter dessus. «On reste optimiste, parce qu’on est ainsi dans la région. Mais ce qu’il nous faut, c’est une meilleure organisati­on.» Le pharmacien d’Euskirchen, à quelques kilomètres de Flamershei­m, se tient dans sa chaise roulante, dans l’encadremen­t de la porte d’entrée de sa pharmacie, en mains familiales depuis trois génération­s. De chaque côté, ses employés ont amassé le contenu fracassé de son échoppe inondée: étagères remplies de flacons brisés, planches de bois, morceaux de métal.

«Personne ne s’attendait à cette catastroph­e car pour les gens, le changement climatique, c’est la sécheresse. Pas l’eau», dit-il. «Alors il vaut mieux se préparer dès maintenant, en élargissan­t les fleuves et les canalisati­ons.» Mais pour l’instant, il s’étonne de n’avoir vu aucun représenta­nt du gouverneme­nt passer chez lui, ni chez aucun autre des commerçant­s. «Personne ne nous demande ce dont nous avons besoin. On se sent bien seul.»

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 ?? (PHOTOS: EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? En haut: Gerhard Meller, le pharmacien d’Euskirchen. En bas: A Flamershei­m, les habitants, sitôt rentrés, se sont mis à travailler ensemble pour déblayer et pomper l’eau.
(PHOTOS: EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) En haut: Gerhard Meller, le pharmacien d’Euskirchen. En bas: A Flamershei­m, les habitants, sitôt rentrés, se sont mis à travailler ensemble pour déblayer et pomper l’eau.
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