Pendant la pandémie, les asthmatiques respirent mieux
Contrairement à ce que les spécialistes craignaient, les personnes souffrant d’asthme ne sont pas particulièrement à risque face au coronavirus. Et il y a mieux: les mesures barrières ont fait chuter de manière inédite le nombre de crises, ouvrant de nouvelles pistes de recherche
Un bol d’air. Tel a été le ressenti des personnes souffrant d’asthme pendant cette pandémie. D’ordinaire, leur hiver est ponctué de visites aux urgences, le souffle coupé, la toux qui plie le torse en deux et fait mal aux poumons. Mais depuis une année, partout dans le monde, celles-ci sont moins nombreuses à vivre des crises qui les font se précipiter à l’hôpital. Une série d’études montre que de Pékin à Cleveland, en passant par l’Ecosse, le Covid19 a été une bouffée d’oxygène pour ces patients, tout en représentant un véritable cauchemar pour d’autres.
La Suisse ne fait pas exception. Près de 5% des plus de 15 ans souffrent d’asthme, selon les chiffres officiels, qui datent de 2017. Deux pour cent de la population, dont beaucoup de fumeurs, est touchée par la broncho-pneumopathie chronique obstructive (BPCO), qui provoque aussi des symptômes respiratoires. Pour ces milliers de personnes, le coronavirus a induit une diminution marquée des épisodes de péjoration, appelés exacerbations, comme l’atteste Christophe von Garnier, chef du service de pneumologie du Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), à Lausanne. Dans son service, il a reçu environ deux fois moins de patients en crise qu’avant la pandémie.
Deux fois moins de patients en crise
«D’ordinaire en hiver, nous hospitalisons plusieurs personnes par semaine avec une crise d’asthme, évalue-t-il. Mais depuis une année, il arrive régulièrement que ce ne soit pas le cas. C’est une bonne nouvelle!» Quelle est l’explication? Il faut chercher dans les facteurs qui provoquent ces épisodes aigus. En été, ils peuvent être liés à la pollution, ou bien aux pollens. En hiver, ce sont surtout les virus qui circulent, et qui enflamment les bronches. Avec le port du masque, la distanciation et le lavage des mains, les infections virales ont fortement diminué ces derniers mois, ce qui pourrait expliquer la moindre survenue de crises d’asthme.
Partout dans le monde, le constat est le même. Dans l’hôpital universitaire du Colorado UCHealth, aux EtatsUnis, la pneumologue Anne Fuhlbrigge constate une baisse de 40% des admissions de personnes asthmatiques. En Inde, les pédiatres ont reçu entre 50 et 60% d’enfants en moins pour des problèmes respiratoires. Même bouffée d’oxygène aux Philippines, où 12% de la population, soit près de 1,5 million de gens, est asthmatique. Au RoyaumeUni, une étude parue dans la revue Thorax, éditée par le British Medical Journal (BMJ) et menée sur près de 10 millions d’habitants asthmatiques, montre une baisse des épisodes d’exacerbation pendant la pandémie.
Pour Jean-Paul Janssens, médecin consultant au service de pneumologie des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), celle-ci a fourni «une occasion historique de voir que le changement de comportement des gens a eu une influence mesurable sur le nombre d’admissions aux urgences et d’hospitalisations des patients asthmatiques. Cela va révolutionner la recherche sur le sujet… Clairement, on a peut-être surévalué le rôle de la composante allergique et sous-estimé celui des virus, comme facteur d’acutisation [l’évolution d’une maladie chronique vers un stade aigu sévère, ndlr].» Comprenez: contrairement à ce que les spécialistes pensaient, les virus semblent provoquer davantage de crises d’asthme que l’allergie aux acariens.
Mieux protégés
Et pourtant, quand le coronavirus est apparu, les pneumologues étaient loin d’être rassurés. En mars 2020, ils craignent d’abord que leurs patients ne soient particulièrement vulnérables au SARS-CoV-2, qui peut s’attaquer aux voies respiratoires. Autre interrogation: faut-il que les asthmatiques chroniques continuent leur traitement de fond, qui consiste souvent en des inhalations régulières de corticostéroïdes, d’abord accusées d’aggraver les symptômes du Covid-19? La parution d’une étude dans The Lancet, dès le 3 avril 2020, rassure les spécialistes, qui relèvent que la proportion d’asthmatiques chez les patients hospitalisés pour le Covid-19 n’est pas plus haute que dans la population ordinaire. Quant au traitement, il vaudrait mieux le continuer.
Le temps a donné raison à la communauté scientifique, car les asthmatiques ne sont finalement pas plus à risque face au virus. Encore mieux: leur maladie pourrait les en protéger davantage. «On ne sait pas encore si cela est dû à la pathologie elle-même, ou à son traitement, mais les asthmatiques seraient moins vulnérables que les autres face au coronavirus, résume Jean-Paul Janssens, aux HUG. Des recherches seront nécessaires dans un avenir proche pour déterminer ce qu’il en est réellement.» Ces derniers mois ont donc été plus calmes pour ces patients, dont beaucoup d’enfants. Mais au CHUV, Christophe von Garnier ne veut pas donner à penser que le confinement leur a été salutaire à tous les points de vue: «Le prix à payer, surtout chez les personnes souffrant de BPCO, est une santé physique et mentale dégradée, du fait de la sédentarité et de l’isolement», constatet-il.
Maintenant que les mesures barrières sont atténuées, et que le port du masque n’est plus obligatoire dans certains lieux, les virus pourraient se remettre à circuler davantage, provoquant davantage d’épisodes exacerbés chez les personnes asthmatiques.
C’est pourquoi les médecins recommandent à leurs patients une certaine prudence. Et surtout, de se faire vacciner contre le Covid-19, mais aussi contre la grippe.
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