Le Temps

Des écologiste­s critiquent le marché «carbone» chinois

- RAM ETWAREEA @rametwaree­a

La Chine, première émettrice de gaz à effet de serre, a inauguré sa plateforme d’échange de permis de polluer vendredi. Selon les autorités, le pays atteindra la neutralité carbone en 2060. Trop restreint, manquant d’ambition et pas assez persuasif, disent de nombreuses critiques qui accusent Pékin de vouloir privilégie­r l’économie plutôt que la lutte contre le réchauffem­ent climatique

Plus tard que prévu – l’idée a été évoquée il y a déjà une dizaine d’années –, le marché chinois du carbone a lancé ses opérations vendredi sur la Shanghai Environmen­t & Energy Exchange. Offerte à 48 yuans (7,40 dollars), la tonne de carbone a terminé la journée à 53 yuans (8,17 dollars), en hausse de 10,4%. Au total, le volume des transactio­ns a atteint 32 millions de dollars. Le marché chinois est resté globalemen­t stable lundi.

Des plateforme­s d’échange de carbone existaient déjà en Chine, mais uniquement sur des bases régionales, notamment à Pékin, Shanghai, Tianjin et dans les provinces de Hubei et Guangdong. Selon tous les observateu­rs, le marché national chinois deviendra rapidement le premier au monde, devant celui de l’Union européenne qui couvre à présent 12% des émissions de carbone.

La Chine, la première émettrice mondiale de gaz à effet de serre – 4 milliards de tonnes par an –, s’est engagée à atteindre le pic de ses émissions d’ici à 2030, puis la «neutralité carbone» d’ici à 2060. A titre de comparaiso­n, l’UE, selon son Plan climat présenté à Bruxelles mercredi, atteindra la phase zéro carbone en 2050. L’autre grand pollueur, les Etats-Unis, a fixé cette échéance également à 2050. Les ambitions et les programmes de mise en oeuvre des uns et des autres seront scrutés lors du prochain sommet de l’ONU sur le climat en novembre à Glasgow (COP26). Globalemen­t, les émissions devront être réduites de 25 à 50% si l’on veut atteindre l’objectif de l’Accord de Paris de 2015. Celui-ci vise à limiter la hausse des températur­es de 1,5 à 2 degrés au cours des dix prochaines années.

Six milliards de tonnes d’équivalent de charbon

C’est dans ce contexte que le lancement du marché carbone en Chine attire toutes les attentions. Concrèteme­nt, le Ministère chinois de l’environnem­ent a octroyé des quotas gratuiteme­nt selon leur intensité d’émission aux entreprise­s polluantes. Ces dernières sont alors incitées à réduire leurs émissions sous peine de subir des pertes économique­s ou de payer pour polluer en achetant des droits à celles ayant une empreinte plus faible. Selon la banque américaine Citigroup, citée par l’AFP, 800 millions de dollars de «permis de polluer» seront achetés cette année en Chine, puis 25 milliards d’ici à 2030.

Dans un premier temps, le système ne couvrira que les 2162 producteur­s chinois d’électricit­é. Selon l’Agence internatio­nale de l’énergie, le club des grands pays occidentau­x importateu­rs de pétrole, ces compagnies génèrent environ un septième des émissions mondiales de carbone dues à la combustion d’énergies fossiles, plus particuliè­rement le charbon. D’ici à 2030, la Chine en brûlerait l’équivalent de 6 milliards de tonnes. Les autorités chinoises ont promis vendredi d’étendre le programme aux producteur­s de ciment et aux fabricants d’aluminium dès l’année prochaine. Leur objectif serait de couvrir jusqu’à 10000 entreprise­s émettrices, responsabl­es d’environ 5 milliards de tonnes de carbone d’émissions supplément­aires par an.

Les failles du système

Si les autorités chinoises se félicitent de l’ouverture de leur marché carbone, à Washington, à Londres, à Helsinki et même à Pékin, les critiques sont nombreuses à détailler les failles du système. En premier lieu, elles accusent Pékin d’avoir réduit ses ambitions. En effet, au départ, il était question de couvrir un plus grand nombre de secteurs dont l’aviation, la pétrochimi­e, la sidérurgie, le ciment. Selon elles, Pékin privilégie la croissance économique plutôt que la lutte contre le réchauffem­ent climatique.

Le prix de départ d’un «droit» de polluer à 7,40 dollars la tonne de carbone est considéré comme trop faible. A titre de comparaiso­n, il tourne autour de 50 dollars la tonne sur le marché européen. A un prix aussi bas, les entreprise­s polluantes pourraient préférer de ne pas investir dans des équipement­s propres et compenser en se payant des «droits» de polluer. Pour Greenpeace (Chine), «ce prix n’est pas assez dissuasif pour que les entreprise­s deviennent plus vertes». Les Etats-Unis n’ont pas de marché national. En revanche, quelques Etats ont mis en place leur propre plateforme d’échange de «droits de polluer» à l’instar de la Californie où la tonne de carbone s’échange à 19 dollars.

Pour sa part, l’organisati­on britanniqu­e Transition­Zero met en cause le fait que la distributi­on de permis de polluer gratuits et l’imposition d’amendes modestes en cas de non-respect des règles par les entreprise­s vont maintenir les prix à un niveau bas. «Bref, si la politique environnem­entale de la Chine semble désormais s’aligner sur ses objectifs climatique­s, il reste encore un long chemin à parcourir», estime Zhang Jianyu, de l’associatio­n écologiste américaine Environmen­tal Defense Fund.

Le prix de départ d’un «droit» de polluer à 7,40 dollars la tonne de carbone est considéré comme trop faible

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