Le Verbier Festival reprend son show «vivacissimo»
Les concerts ont repris de plus belle pour la 28e édition ce week-end, malgré des changements de programme suite à la quarantaine d’un des orchestres. Premières impressions
A Verbier, le directeur Martin Engstroem et son équipe suent sang et eau depuis une semaine. Ils n’ont jamais vécu une édition aussi chamboulée et pourtant, l’ambiance est plutôt bon enfant. Pouvoir retourner au concert, assister à des masterclasses (celle menée par une Véronique Gens passionnante), applaudir des artistes en chair et en os: les festivaliers ont retrouvé le sourire. L’absence de touristes anglais, les rues plus désertes que d’habitude surprennent; mais la cadence des concerts, elle, est trépidante!
Vendredi soir, Valery Gergiev et le pianiste russe Denis Matsuev alignaient deux concerts d’affilée avec le Verbier Festival Chamber Orchestra. Ils ont fait ressortir le côté burlesque du Concerto pour piano, trompette et cordes de Chostakovitch. Très beau mouvement lent. Certes, le trompettiste Timur Martynov a accusé quelques signes de faiblesses, mais c’est un musicien investi. Dans les dernières pages, Matsuev a joué avec l’énergie tellurique qu’on lui connaît, libérant des tonnes de décibels dans la coda.
A mains nues
Le 3e Concerto de Beethoven s’inscrivait dans une école d’interprétation très russe, piano d’airain, contrastes saillants, tendresse dans l’énoncé du deuxième thème dans le premier mouvement. Ce jeu très égal, olympien, pourrait être plus mystérieux et plus ouaté dans le Largo, mais la conception d’ensemble se tient. Superbe Vocalise de Rachmaninov en bis! Dirigeant à mains nues, la gestuelle frémissante, Valery Gergiev a insufflé son humour et son ironie à la Symphonie «Classique» de Prokofiev. La deuxième interprétation de la soirée nous a paru plus aboutie.
On a retrouvé le chef hongrois Gabor Tackacs-Nagy fidèle à lui-même samedi soir. Le directeur musical du Verbier Festival Chamber Orchestra a accompagné le violoniste tchèque Josef Spacek dans un 3e Concerto pour violon de Mozart goûteux. Elan, lumière, variété des inflexions et grâce dans un Adagio admirablement suspendu: c’est un Mozart très «austro-hongrois» qui nous est offert. Gabor Tackacs-Nagy a ensuite dirigé une 8e Symphonie de Beethoven aux tempi hyper-dynamiques et à l’articulation fine, la gestuelle parfois survoltée.
Parmi les autres temps forts du week-end, le violoniste Marc Bouchkov a envoûté le public samedi matin à l’Eglise. La 2e Partita en ré mineur de Bach avait du corps, dans une alternance de phrases au caractère mélodique et très charpentées; le passage en pianissimi dans la Chaconne était particulièrement éloquent. Son violon riche et sonore, porté par une belle présence scénique, a brillé dans Ysaÿe et Heinrich Wilhelm Ernst.
Standing ovation
Salué par une standing ovation, Francesco Piemontesi a lui aussi donné un très beau récital en soirée à l’église. Malgré quelques rigidités ici ou là (avec des partis pris rhétoriques discutables dans le premier mouvement), le pianiste tessinois a déployé sa splendide palette de couleurs dans la Sonate D 958 de Schubert au mouvement lent poétique. On pouvait deviner l’influence de son mentor Alfred Brendel dans la Sonate en si mineur de Liszt, puissamment architecturée, à la fois resserrée et aérée, aux octaves absolument fulgurantes. On a aimé la fluidité de son Impromptu en sol majeur de Schubert et la myriade de couleurs dans Poissons d’or de Debussy.
Enfin, le fringant Benjamin Appl a chanté 15 lieder de Schubert dimanche matin. Voix un peu mate, registres désunis au départ, le baryton allemand a chauffé son instrument pour parvenir à un bel équilibre. Il sait entrer au coeur de la poésie des textes avec une diction remarquable. Le timbre est particulièrement éloquent dans les nuances piano et les passages en mezza voce. Impressionnant Roi des Aulnes, accompagné avec art et brio par James Baillieu!
Si les deux opéras en version concert ont été annulés cette semaine, le public pourra se régaler d’un florilège d’airs célèbres mardi soir par l’opulente distribution vocale. A Verbier, tout change au jour le jour et, en dépit des embûches sanitaires, le festival tourne à plein régime. Car the show must go on, plus que jamais. ■
Matsuev a joué avec l’énergie tellurique qu’on lui connaît