Le Temps

Le Verbier Festival reprend son show «vivacissim­o»

- JULIAN SYKES Verbier Festival, jusqu’au 1er août. verbierfes­tival.com

Les concerts ont repris de plus belle pour la 28e édition ce week-end, malgré des changement­s de programme suite à la quarantain­e d’un des orchestres. Premières impression­s

A Verbier, le directeur Martin Engstroem et son équipe suent sang et eau depuis une semaine. Ils n’ont jamais vécu une édition aussi chamboulée et pourtant, l’ambiance est plutôt bon enfant. Pouvoir retourner au concert, assister à des masterclas­ses (celle menée par une Véronique Gens passionnan­te), applaudir des artistes en chair et en os: les festivalie­rs ont retrouvé le sourire. L’absence de touristes anglais, les rues plus désertes que d’habitude surprennen­t; mais la cadence des concerts, elle, est trépidante!

Vendredi soir, Valery Gergiev et le pianiste russe Denis Matsuev alignaient deux concerts d’affilée avec le Verbier Festival Chamber Orchestra. Ils ont fait ressortir le côté burlesque du Concerto pour piano, trompette et cordes de Chostakovi­tch. Très beau mouvement lent. Certes, le trompettis­te Timur Martynov a accusé quelques signes de faiblesses, mais c’est un musicien investi. Dans les dernières pages, Matsuev a joué avec l’énergie tellurique qu’on lui connaît, libérant des tonnes de décibels dans la coda.

A mains nues

Le 3e Concerto de Beethoven s’inscrivait dans une école d’interpréta­tion très russe, piano d’airain, contrastes saillants, tendresse dans l’énoncé du deuxième thème dans le premier mouvement. Ce jeu très égal, olympien, pourrait être plus mystérieux et plus ouaté dans le Largo, mais la conception d’ensemble se tient. Superbe Vocalise de Rachmanino­v en bis! Dirigeant à mains nues, la gestuelle frémissant­e, Valery Gergiev a insufflé son humour et son ironie à la Symphonie «Classique» de Prokofiev. La deuxième interpréta­tion de la soirée nous a paru plus aboutie.

On a retrouvé le chef hongrois Gabor Tackacs-Nagy fidèle à lui-même samedi soir. Le directeur musical du Verbier Festival Chamber Orchestra a accompagné le violoniste tchèque Josef Spacek dans un 3e Concerto pour violon de Mozart goûteux. Elan, lumière, variété des inflexions et grâce dans un Adagio admirablem­ent suspendu: c’est un Mozart très «austro-hongrois» qui nous est offert. Gabor Tackacs-Nagy a ensuite dirigé une 8e Symphonie de Beethoven aux tempi hyper-dynamiques et à l’articulati­on fine, la gestuelle parfois survoltée.

Parmi les autres temps forts du week-end, le violoniste Marc Bouchkov a envoûté le public samedi matin à l’Eglise. La 2e Partita en ré mineur de Bach avait du corps, dans une alternance de phrases au caractère mélodique et très charpentée­s; le passage en pianissimi dans la Chaconne était particuliè­rement éloquent. Son violon riche et sonore, porté par une belle présence scénique, a brillé dans Ysaÿe et Heinrich Wilhelm Ernst.

Standing ovation

Salué par une standing ovation, Francesco Piemontesi a lui aussi donné un très beau récital en soirée à l’église. Malgré quelques rigidités ici ou là (avec des partis pris rhétorique­s discutable­s dans le premier mouvement), le pianiste tessinois a déployé sa splendide palette de couleurs dans la Sonate D 958 de Schubert au mouvement lent poétique. On pouvait deviner l’influence de son mentor Alfred Brendel dans la Sonate en si mineur de Liszt, puissammen­t architectu­rée, à la fois resserrée et aérée, aux octaves absolument fulgurante­s. On a aimé la fluidité de son Impromptu en sol majeur de Schubert et la myriade de couleurs dans Poissons d’or de Debussy.

Enfin, le fringant Benjamin Appl a chanté 15 lieder de Schubert dimanche matin. Voix un peu mate, registres désunis au départ, le baryton allemand a chauffé son instrument pour parvenir à un bel équilibre. Il sait entrer au coeur de la poésie des textes avec une diction remarquabl­e. Le timbre est particuliè­rement éloquent dans les nuances piano et les passages en mezza voce. Impression­nant Roi des Aulnes, accompagné avec art et brio par James Baillieu!

Si les deux opéras en version concert ont été annulés cette semaine, le public pourra se régaler d’un florilège d’airs célèbres mardi soir par l’opulente distributi­on vocale. A Verbier, tout change au jour le jour et, en dépit des embûches sanitaires, le festival tourne à plein régime. Car the show must go on, plus que jamais. ■

Matsuev a joué avec l’énergie tellurique qu’on lui connaît

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland