Imprévisible comme un coup de joran
A la découverte du complexe joran, une avalanche de vent froid venu du nord-est, cadeau du Jura
Joran est un ancien prénom masculin d’origine germanique, qui signifierait «corbeau noir». Ce qui va bien finalement avec ce vent froid local venant du nord-est, qui tire tout simplement son nom des montagnes du Jura, d’où il peut descendre en violentes rafales sur le Plateau, souvent au printemps. Quand le joran jaillit, la température tombe. Elle peut même perdre une dizaine de degrés en trois heures. Les vents proviennent de la différence de pression entre des zones de haute et de basse pression – ce qu’on appelle le «gradient de pression». Ils sont ensuite déviés avec la rotation de la Terre vers la droite dans notre hémisphère, jusqu’à souffler parallèlement aux isobares, ces lignes virtuelles d’égale pression. Ces vents généraux, ou géostrophiques, tournent ainsi dans le sens des aiguilles d’une montre autour des anticyclones et dans le sens inverse autour des dépressions dans notre hémisphère.
Leur direction et leur vitesse sont ensuite influencées à basse altitude par la rugosité du sol et la topographie: un vent faiblit lorsqu’il traverse une forêt ou une ville, sa direction change quand il doit contourner une montagne: c’est la grande affaire de la météorologie que de mettre en lien ces paramètres qui décideront en grande partie de nos vies dehors…
Le joran est, lui, un vent local, d’autant plus difficile à apprivoiser qu’il en existe trois. Le joran thermique, un joran de beau temps qui, le soir ou la nuit, se répand vers le Plateau, ondoyant entre les lacs Léman, de Neuchâtel et de Bienne. Un joran d’orage, provoqué par l’air froid plongeant d’un cumulonimbus (nuage d’orage) sur le Jura, qui peut atteindre 100 km/h mais qui souffle quinze, trente minutes, laissant le calme derrière lui.
Enfin, le dernier joran, le plus sauvage, provient de masses d’air froid amenées par un courant d’ouest à nord depuis l’Atlantique et accumulées derrière les montagnes côté français, créant une surpression, puis qui les ont escaladées pour former de gros nuages noirs au-dessus des crêtes du Jura, d’ouest en nord, car la masse d’air est devenue saturée en vapeur d’eau en montant le long des versants.
Et au sommet, c’est l’épiphanie, les nuages deviennent rouleaux et se déversent ensuite sur le plateau en rafales sauvages! Une terreur pour les marins de l’eau douce du Léman.
«On est comme la vague quand le joran se lève, comme les nuages au ciel», écrivait Ramuz en 1914, au début de la Première Guerre mondiale dont il pensait qu’elle pouvait être la crise décisive qui rendrait à l’homme le sens des valeurs. La suite des événements devait profondément le désenchanter. Le joran est imprévisible. ■