Le Temps

Antoine Bellier, saison 7

A 24 ans, le Genevois se considère encore comme un jeune joueur, d’autant que les deux dernières saisons ont été gâchées par les blessures, la refonte du système ITF et le Covid-19. Entretien avec le tennisman que «Le Temps» suit depuis six saisons

-

«Je suis 500e. Mais j’ai le sentiment d’avoir progressé dans mon tennis et je suis convaincu d’avoir évolué humainemen­t ces deux dernières années»

ANTOINE BELLIER, TENNISMAN

C’est une première dans la série d’articles que Le Temps a consacrée à Antoine Bellier, mais elle colle bien à l’époque et résume l’année. L’entretien se fait par visioconfé­rence, alors que le joueur de tennis (24 ans) est à Zurich pour disputer les Interclubs de LNA avec le TC Sonnenberg (demi-finale ce samedi, finale éventuelle dimanche).. Il apparaît sur l’écran d’ordinateur, souriant, toujours heureux de ce rendez-vous annuel qui lui donne l’occasion de faire le bilan de l’année écoulée. En arrière-plan, le coéquipier avec lequel il partage la chambre d’hôtel entre et sort, entre à nouveau.

L’année 2019 avait été secouée par la refonte de la Fédération internatio­nale de tennis (ITF) des catégories Futures et Challenger­s, une initiative unanimemen­t critiquée et rapidement abandonnée par l’ITF; 2020 fut perturbée par l’apparition du Covid-19. En 2021, les choses sont redevenues à peu près normales mais Antoine Bellier a un peu l’impression d’avoir perdu deux ans. «Je ne parle que de mon

ranking, précise-t-il, car en plus les classement­s ont été «gelés» en raison de la pandémie. Je suis actuelleme­nt 500e. Mais j’ai le sentiment d’avoir progressé dans mon tennis et je suis convaincu d’avoir évolué humainemen­t ces deux dernières années.»

Comme les autres, il s’est fait, assez vite finalement, à une nouvelle normalité. «En fait, nous avons pu reprendre assez rapidement notre rythme, tournoi, match, hôtel, avion. Il y a de moins en moins d’annulation­s, les aéroports se remplissen­t à nouveau. Je ne sais pas combien de centaines de tests j’ai faits, ni le temps passé à remplir de la paperasse, parce que chaque pays a son règlement, ses exigences.»

A Cannes, en plein air

En novembre 2020, Antoine a pris la décision de quitter l’Académie Good to Great, fondée en Suède par les anciens joueurs Magnus Norman, Nicklas Kulti et Mikael Tillström, pour rejoindre l’Elite Tennis Center du Franco-Monégasque Jean-René Lisnard à Cannes. «En Suède, les infrastruc­tures étaient au top mais je passais presque tout mon temps en salle alors que 70% de mes tournois se déroulent en plein air. Passer de l’un à l’autre pouvait parfois être délicat. Là, je suis presque tout le temps en extérieur, dans des conditions plus proches de celles de la compétitio­n. En plus, il y a un bon groupe d’entraîneme­nt d’une douzaine de joueurs, dont quatre ou cinq situés entre la 150e et la 300e place mondiale.»

Qui dit nouvel entraîneur dit nouveau regard. «Jean-René Lisnard ne me dit rien de très différent par rapport à mes précédents entraîneur­s sur mon tennis. Par contre, il insiste plus sur l’état d’esprit, sur la culture de la gagne. Comment parvenir à gagner même quand on ne joue pas très bien, être capable de tout faire, quoi qu’il arrive, pour être la meilleure version de soi-même avec les moyens du jour. Ce sont des choses qui s’apprennent. Ou qui, en tout cas pour moi, sont moins naturelles que pour d’autres joueurs.»

Cela avait bien débuté, avec une victoire en janvier au tournoi Future de Majorque, sur les installati­ons de la Nadal Academy à Manacor. Antoine a signé une demi-finale et trois quarts de finale dans des tournois Future, et a passé les qualificat­ions en mars au Challenger de Lugano. «J’ai bien joué sur dur, ensuite cela a été plus compliqué sur terre battue, résume-t-il. Globalemen­t, ma saison est correcte mais il faut continuer, essayer de trouver justement cette constance qui me fait un peu défaut.»

A chacun son chemin

A 24 ans, Antoine Bellier serait un novice dans n’importe quelle profession, mais le tennis est un monde particulie­r où certaines fédération­s vous font comprendre que vous êtes un «vieux» lorsqu’elles déclarent vouloir réserver leurs wild-cards à des «jeunes». «L’âge en tennis est quelque chose de très relatif, observe Antoine. Beaucoup donnent à Alexander Zverev plus que ses 24 ans parce qu’il a percé très jeune. En revanche, personne ne parle de l’âge d’Aslan Karatsev, seulement de son super niveau. Il a pourtant percé à 27 ans seulement.

A 24 ans, il était 485e.»

Un exemple qui permet de tenir et de croire en soi, dans un univers de plus en plus dur. Le sport profession­nel, ce n’est pas seulement se soumettre à une concurrenc­e sans cesse renouvelée, c’est aussi s’exposer au regard d’autrui, aux commentair­es blessants et parfois menaçants. «On entend beaucoup de choses… Que je n’y arriverai pas… Les gens ont le droit d’avoir un avis. Moi, je relativise en voyant que même un Kylian Mbappé se fait descendre en flammes pour un pénalty manqué. Sur les réseaux sociaux, j’ai aussi mon lot de messages souhaitant des cancers à toute ma famille mais je n’y prête pas beaucoup d’attention. Les meilleurs, ce sont aussi ceux qui arrivent à se protéger.»

Si le jeu des comparaiso­ns est inévitable pour le public, il est sans intérêt pour les joueurs. A chacun sa route, Antoine Bellier l’a bien compris au fil des ans et de son parcours. «J’ai des hauts et de bas comme tout le monde, mais je suis heureux et j’aime ce que je fais. Ma vie est unique, je découvre constammen­t de nouveaux endroits, de nouvelles cultures, de nouvelles personnes. Je suis dans l’adaptation permanente, parfois à 10000 km de chez moi. Je pourrais probableme­nt mieux gagner ma vie en donnant des cours de tennis mais ça ne m’intéresse pas.»

Loin des yeux, proche du coeur

En juin, il a joué pour la première fois un tournoi sur gazon, à Gaiba, en Vénétie. «C’est une surface qui correspond bien à mon jeu, malheureus­ement il y en a peu au niveau Future et Challenger. Là, c’était sur deux terrains de foot sur lesquels ils avaient tracé des lignes. A la fin, c’était un peu un champ de patates mais c’était une super expérience.» Il s’arrête en demi-finale, et repart aussitôt. «Après ma défaite, j’ai quitté l’hôtel, j’ai pris un train, puis un deuxième, et j’ai signé la feuille [d’inscriptio­n] pour jouer le lendemain sur terre battue dans un Challenger. J’ai perdu mais c’était une chance à saisir. Voilà, c’est ma vie et c’est ce que j’aime.»

Avec les années, cette vie sur les routes l’a un peu éloigné de ses proches. «On apprend à vivre seul. Tous les joueurs ont des anecdotes de Nouvel An dans un hall d’aéroport ou d’anniversai­re seul dans une chambre d’hôtel. Depuis que je suis descendu à Cannes, je ne reviens en Suisse que cinq à dix fois par an. Je mène une vie un peu à part du reste de ma famille, c’est vrai. Mais on reste proches en pensées. Mon père m’aide toujours à financer mon projet, c’est un passionné, je sais qu’il suit souvent mes live scores et ça me touche. Je répète à mes parents que je suis heureux. Ça les rassure et ça leur suffit.»

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Antoine Bellier, tennisman genevois: «On entend beaucoup de choses… Que je n’y arriverai pas… Les gens ont le droit d’avoir un avis. Moi, je relativise en voyant que même un Kylian Mbappé se fait descendre en flammes pour un pénalty manqué».
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Antoine Bellier, tennisman genevois: «On entend beaucoup de choses… Que je n’y arriverai pas… Les gens ont le droit d’avoir un avis. Moi, je relativise en voyant que même un Kylian Mbappé se fait descendre en flammes pour un pénalty manqué».

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland