La peur gagne les habitants de Kaboul
Le président Ashraf Ghani a fui, laissant le pouvoir aux talibans, qui ont atteint Kaboul en dix jours. Leur victoire militaire est totale
■ Dans la capitale, on vit le retour de ces islamistes radicaux avec anxiété. Les Américains les en avaient chassés en 2001 après leur refus de livrer Ben Laden
■ Le personnel des missions étrangères sur place est rapatrié dans l’urgence. L’OTAN estime qu’une solution diplomatique est plus urgente que jamais
■ En Angleterre, des voix s’élèvent pour une intervention militaire. L’armée afghane, dépassée, s’avère incapable de contenir les assaillants
Dimanche matin, Kaboul s’est réveillée en plein chaos. «Ils arrivent.» Au téléphone, la voix de R. trahit la panique. «Je ne sais pas si je dois partir ou pas», s’inquiète la jeune femme. «Ils», ce sont les talibans, qui, en quelques heures, ont complètement encerclé la capitale afghane. Peu après, N., un autre résident, affirme que les combattants islamistes contrôlent les quartiers de Dashte-Barchi et PD5, dans la banlieue ouest. D’autres racontent qu’ils sont déjà du côté de l’aéroport.
Ballet d’hélicoptères
La ruée sur les banques est immédiate. Partout, des embouteillages se forment. Beaucoup de ceux qui ne se terrent pas chez eux cherchent à gagner l’aéroport. Mais la majorité n’a pas de visa et espère simplement y trouver refuge. Dans cette prison à ciel ouvert qu’est devenue Kaboul ce dimanche 15 août, les rumeurs enflent. Un porte-parole des talibans a certes déclaré en début de journée que les assaillants avaient reçu l’ordre de ne pas pénétrer dans la ville. Mais des incidents isolés contredisent cette affirmation.
Le gouvernement est-il encore en place? Dans le courant de l’après-midi, cette question centrale trouve sa réponse: le président Ashraf Ghani s’est enfui en direction du Tadjikistan. Il ne s’agirait que d’une étape avant sa destination finale, peut-être les EtatsUnis. L’évacuation des missions occidentales, qui a commencé ces derniers jours, s’est accélérée dimanche. Toute la journée, un ballet d’hélicoptères a acheminé le personnel de l’ambassade américaine vers l’aéroport. Washington a même bloqué durant plusieurs heures les vols commerciaux pour permettre à ses appareils de décoller. En fin d’après-midi, la situation est devenue encore plus confuse après que des tirs ont visé la piste, entraînant l’interruption du trafic.
Contrairement à l’écrasante majorité des résidents de Kaboul, R. a de la chance: elle a tout juste appris qu’elle serait évacuée par une mission occidentale. «Je ne veux pas partir», dit-elle, déchirée. Comme des millions d’Afghans, la jeune femme a déjà vécu cela il y a trente ans. Comment supporter une autre fuite? Une autre vie de réfugié? «Je suis parti en 1985, raconte, frustré, Aref, coopérant italo-afghan. Je suis revenu avec l’espoir d’un nouvel Afghanistan. Aujourd’hui, après vingt et un ans de travail, j’attends d’être évacué à nouveau.»
La vitesse fulgurante de la pro
gression talibane laisse les habitants de la capitale pantois. Vendredi, les experts estimaient encore que la ville tiendrait plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Ce week-end, en quelques heures, tout s’est écroulé. Le ministre de l’Intérieur du gouvernement défait, Abdul Sattar Mirzakwal, a annoncé que Kaboul resterait sous le contrôle du gouvernement et qu’il y aurait une transition pacifique de pouvoir. Il a cherché à tranquilliser les citoyens en affirmant qu’il n’y avait pas d’insécurité dans l’agglomération de 5 millions de personnes.
Rumeurs d’attaque
Les talibans ont déclaré, à travers leur porte-parole Zabihullah Mujahid, qu’ils voulaient pénétrer dans la capitale de manière pacifique. Eux qui cherchent à obtenir une légitimité internationale pour leur futur gouvernement n’ont pas intérêt à voir leur conquête du pays s’achever par un carnage. Et pourtant, en début de soirée, les rumeurs d’attaque se sont faites de plus en plus insistantes. Les combattants islamistes ont expliqué que leurs forces prendraient possession des zones abandonnées par les forces gouvernementales «afin d’y maintenir l’ordre» et qu’un gouvernement inclusif serait formé «dans les prochains jours». «Tous les Afghans en feront partie», a assuré un porte-parole des insurgés, Suhail Shaheen, à la BBC.
«Il devrait y avoir une Jirga [une assemblée traditionnelle afghane, ndlr] pour en décider», espère R., la jeune femme en attente d’évacuation. Pourtant, une autorité de transition, comme on l’imaginait jusqu’à la fin de la semaine dernière, ne paraît plus une option réaliste. Les talibans sont aujourd’hui les maîtres du pays face à une armée en déroute. Les milices des seigneurs de guerre représentent certes encore un énorme danger pour la stabilité du pays. Dimanche, certaines se sont même montrées dans les rues de Kaboul pour rappeler leur présence. Il reste que la capitale dont les talibans avaient été chassés il y a vingt ans est désormais pratiquement retombée entre leurs mains. ■