Les deux France de la vaccination
57,5% des Français sont totalement vaccinés contre le Covid-19, et 68,4% ont reçu une première dose. Mais avec de fortes disparités géographiques, qui correspondent à des comportements ancrés dans l’histoire
Devant la carte de France de la vaccination, réalisée à partir des chiffres de l’assurance maladie par Emmanuel Vigneron, géographe de la santé, un constat saute aux yeux: par rapport à la moyenne, le sud-est du pays est nettement moins vacciné que le nord-ouest. Si Paris, la Bretagne et le nord de la France enregistrent les plus forts pourcentages de vaccination, les départements de la côte méditerranéenne, de Nice à Perpignan, ainsi qu’une bonne partie des terres de l’arrière-pays, sont très en retard, alors que les déserts médicaux concernent davantage le nord que le sud du pays.
En prenant une loupe, on trouve quelques données familières: c’est le face-à-face entre zones rurales et banlieues populaires (moins vaccinées que la moyenne) d’un côté, grandes villes et quartiers bourgeois de l’autre. Jérôme Fourquet et Sylvain Manternach, pour la Fondation Jean-Jaurès, ont déniché d’autres caractéristiques: les territoires de France moins vaccinés sont souvent ceux des révoltes paysannes qui, depuis des siècles, se sont levées contre l’uniformisation de la langue française, contre l’impôt ou contre la conscription obligatoire. C’est une France qui ne veut pas que Paris lui impose sa loi. Et pas seulement dans Marseille la rebelle, qui fit du professeur Didier Raoult (dont les thèses ont été contestées ou battues en brèche par la réalité de la pandémie) un héros au début de la crise sanitaire.
«Un sud rebelle et insoumis»
Au début du XXe siècle, note Jérôme Fourquet, directeur du pôle «Opinions» à l’IFOP, il y avait «correspondance, au sud d’une ligne La Rochelle-Gap, entre la géographie de l’analphabétisme et celle de l’insoumission», d’où l’apparition d’«un sud rebelle et insoumis face à l’arbitraire d’un pouvoir central autoritaire». Le département de l’Ariège, coincé entre Pyrénées-Orientales, Hautes-Pyrénées et frontière espagnole, est à cet égard exemplaire: il y a moins de vaccinations qu’ailleurs et une solide tradition de révolte, avec au XIXe siècle une longue fronde contre le nouveau Code forestier imposé d’en haut pour développer une culture industrielle et intensive. En 2011, on avait constaté en Ariège une recrudescence de la rougeole, faute d’un taux suffisant de vaccination des enfants. C’est aussi, ajoute Jérôme Fourquet, un département où l’on a constaté au fil des années beaucoup de vandalisme contre les antennes 5G ou les radars contre la vitesse excessive, montrés du doigt comme autant de fléaux imposés d’en haut.
Electoralement, l’Ariège a longtemps plébiscité le Parti socialiste mais, en 2017, il a été l’un des six départements à placer Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise en tête au premier tour de l’élection présidentielle. La carte du vote Mélenchon recoupe d’ailleurs celle des communes où l’on est moins vacciné, à la notable exception du pourtour méditerranéen lui-même, où l’on retrouve une correspondance avec le vote pour le Rassemblement national de Marine Le Pen.
L’étude sur les vaccins semble d’ailleurs valider la thèse des deux votes RN, celui du sud avec un électorat plus libéral, celui du nord avec un électorat plus étatiste et plus légaliste. Sans surprise, le sondage réalisé par l’IFOP pour le JDD montre que 61% des Français proches de La France Insoumise et 49% de ceux qui sont proches du RN soutiennent les manifestations qui se déroulent depuis le 17 juillet. Ce samedi, près de 215000 personnes ont défilé à travers le pays, selon le Ministère de l’intérieur.
«L’Etat, c’est l’autre»
Pour le sociologue Jean Viard, qui vit à Marseille, on trouve aussi dans cette France du sud «des citoyens plus isolés, mal informés, désocialisés, qui se rattachent par des convictions idéologiques» à défaut d’autres attaches dans des régions qui furent «vidées par la révolution industrielle». Il résume: «Quand on est dans le sud de la France, l’Etat c’est l’autre. Le discours jacobin d’Emmanuel Macron est très efficace, mais pas ici. La carte montre bien que le jacobinisme n’est pas efficace partout.»
Rappelant que, «historiquement, la France s’arrêtait au Rhône», il constate aussi que «les fondamentaux sont géographiques, climatiques, patrimoniaux». Dans une boutade, il avance même: «Quelque part, c’est l’opposition OM/PSG» et regrette que des leaders locaux, sportifs ou culturels, n’appellent pas à la vaccination là où la parole politique a cessé d’être écoutée. Aux relents de poujadisme, au trumpisme à la française et aux «gilets jaunes» heureux de redescendre dans la rue après trois confinements, s’ajoute l’opposition, pour ne pas dire la haine, face à la personne d’Emmanuel Macron, ce président qui, en 2018, avait parlé des «Gaulois réfractaires». ■
Les territoires moins vaccinés sont souvent ceux des révoltes paysannes. C’est une France qui ne veut pas que Paris lui impose sa loi