Le Temps

Les entreprise­s suisses, une trompeuse équité salariale

- SÉVERINE SAAS @sevsaas

Selon deux études dévoilées dans la «NZZ am Sonntag», l’écrasante majorité des grandes sociétés helvétique­s ont un système de rémunérati­on équitable pour les femmes. Mais les chiffres ne disent pas toute la vérité

En Suisse, les femmes sont rarement discriminé­es en matière de rémunérati­on. Voilà ce qu’affirme la NZZ am Sonntag, en se basant sur les analyses de l’égalité salariale menées depuis une année au sein des grandes entreprise­s helvétique­s. Les sociétés de plus de 100 collaborat­eurs ont dû se plier à cet exercice d’introspect­ion quantitati­ve dans le cadre de la révision de la loi sur l’égalité des sexes, entrée en vigueur le 1er juillet 2020. Leur délai ayant été fixé à fin juin, les premiers résultats sont disponible­s.

Selon une évaluation du Centre de compétence de la diversité et de l’inclusion de l’Université de Saint-Gall sur un échantillo­n de 120 000 personnes, 97% des entreprise­s respectent la loi sur l’égalité entre femmes et hommes dans la vie profession­nelle. Un diagnostic que confirme Comp-on, à Aarau, l’un des principaux fournisseu­rs d’analyses sur l’égalité salariale: sur 200 entreprise­s auditées, soit un total de 150 000 salariés, 95% répondent également aux exigences du texte fédéral.

Pas de solution miracle

Ces résultats ne contredise­nt pas l’existence d’un écart salarial entre hommes et femmes, que Comp-on estime à environ 20%. Un chiffre correspond­ant aux plus récentes données (mars 2021) de l’Office fédéral de la statistiqu­e. En revanche, la firme argovienne estime que ces différence­s de revenus ont généraleme­nt une cause structurel­le justifiabl­e: différence­s de formation, d’expérience, d’ancienneté ou de position hiérarchiq­ue. Les causes injustifié­es et discrimina­toires? Elles seraient marginales. Quantitati­vement, elles se monteraien­t à 280 francs par mois pour un poste à temps plein. On est bien loin des conclusion­s de l’OFS, qui avance un chiffre de 690 francs, soit près de la moitié (45%) de l’écart salarial total. Selon le journal dominical, cette divergence s’explique par l’utilisatio­n d’une grille d’analyse plus précise et détaillée du côté de l’institutio­n privée.

Faut-il en déduire que les entreprise­s suisses sont des championne­s de l’équité salariale? Que les débats relatifs à la discrimina­tion pécuniaire fondée sur le genre n’ont pas – ou peu – leur place dans l’arène économique? Eglantine Jamet est persuadée du contraire. «Ce genre d’études quantitati­ves ne tient pas compte du grand nombre de femmes occupant des postes à responsabi­lités à 80%. Or, comme on ne revoit pas leur cahier des charges, ces cadres travaillen­t largement à plus de 80%, mais sont payées à 80%. Il s’agit là d’une inégalité massive, mais qu’il est impossible de détecter si on ne va pas regarder derrière les chiffres», détaille la cofondatri­ce d’Artemia Executive, une société qui conseille les entreprise­s en matière de diversité et les aide à recruter des femmes pour des postes de direction.

Malgré ce biais, les entreprise­s concernées ne risquent-elles pas de se cacher derrière le verdict des chiffres, et d’utiliser la révision de la loi sur l’égalité pour se dédouaner de toute responsabi­lité en matière… d’égalité? «Il est sûr que certaines entreprise­s vont s’en tenir à la certificat­ion légale. Mais la révision de la loi a eu le mérite de mettre le dossier sur la table et d’éveiller les conscience­s dans de nombreuses entreprise­s, où les dirigeants étaient persuadés qu’il n’y avait aucun problème de discrimina­tion.»

Les mesures coercitive­s seraient-elles les seules vectrices du changement? Eglantine Jamet reste prudente. «Dans certaines situations, cela peut aider. Mais il n’existe pas une seule solution miracle. Pour arriver à un monde profession­nel dirigé de façon égalitaire, il faut passer par un faisceau de mesures: des contrainte­s légales, peut-être, mais surtout par de la formation, un travail de terrain pour que les entreprise­s se transforme­nt culturelle­ment. Et aussi, en mettant plus de femmes dans les postes à responsabi­lités.» ■

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