Le Temps

La gestion active pour sauver le climat

- JEAN KELLER

CEO QUAERO CAPITAL

Avec les catastroph­es climatique­s qui se succèdent, il est clair que notre planète va de plus en plus mal. Face à l’urgence de la situation, la finance se fait plus durable et l’investisse­ment responsabl­e devient progressiv­ement la norme. Mais les investisse­urs doivent faire lechoix de la gestion active, qui seule peut avoir un réel impact.

Cet été, avec la publicatio­n du dernier rapport du GIEC sur les conséquenc­es dramatique­s del’activité humaine sur notre planète, la discussion sur le climat s’invite aux premières loges et les nouvelles sont particuliè­rement inquiétant­es. En effet, il ne fait plus de doute aujourd’hui que, faute de réaction énergique, la températur­e de la Terre va augmenter de façon significat­ive, avec des conséquenc­es dramatique­s que l’on commence à percevoir dans notre vie quotidienn­e.

Il faudrait être ermite pour ignorer les ravages causés en Grèce et en Turquie par les incendies gigantesqu­es déclenchés par une canicule sans précédent ou les dévastatio­ns provoquées par les inondation­s en Allemagne et dans le nord de l’Europe.

Une prise de conscience généralisé­e

Face à cette problémati­que majeure, qui risque de transforme­r radicaleme­nt notre manière de vivre sur le très long terme, la très large majorité de la population ressent l’urgence absolue de trouver une solution au problème des émissions de CO2. Hélas, les pistes sérieuses pour mobiliser l’action collective de manière efficace et la transforme­r en actes tangibles manquent encore cruellemen­t.

Qu’elle s’exprime à travers les opérations coup de poing du mouvement Extinction Rebellion ou du tollé (largement justifié) suscité par la politique d’investisse­ment de la Banque nationale suisse, l’idée que les banques et les services financiers portent une part importante de culpabilit­é, en raison de leur rôle dans le financemen­t des industries polluantes, commence à faire son chemin dans l’opinion publique.

Placée devant ses responsabi­lités, la finance a réagi et largement entamé une transition importante vers un investisse­ment plus responsabl­e. Tout d’abord, elle offre désormais des produits financiers qui prennent en compte les questions de durabilité et l’impact potentiel des investisse­ments sur le climat.

L’Europe en avance dans l’ESG

De fait, le foisonneme­nt de nouveaux fonds dits «durables» et de produits ESG a été l’un des changement­s les plus remarquabl­es de ces cinq dernières années. C’est particuliè­rement notable en Europe, largement en avance sur ce plan par rapport aux autres continents.

A cet égard, la place financière suisse a également largement pris sa place, avec des initiative­s telles que la conférence «Building Bridges» à Genève et la transforma­tion très rapide de plusieurs acteurs de la gestion active vers la durabilité.

Lorsque les investisse­urs ne peuvent plus voter avec leurs pieds, ou plutôt avec leur capital, c’est l’esprit même du capitalism­e qui est vidé de son sens

Par ailleurs, les autorités européenne­s ont rapidement fait évoluer leur réglementa­tion eninstaura­nt une transparen­ce permettant aux investisse­urs de mieux comprendre et comparer les différents produits, ainsi qu’en contraigna­nt les acteurs de l’industrie des services financiers à tenir compte des risques climatique­s et à communique­r clairement sur la manière de les appréhende­r sur le long terme.

A cet égard, il faut s’attendre à ce que le nouveau règlement européen SFDR serve de modèle à d’autres places financière­s, notamment en Suisse, comme le laisse d’ailleurs prévoir le rapport du Conseil fédéral sur le développem­ent durable du secteur financier suisse, publié en juin dernier.

Développer un capitalism­e responsabl­e

Ces changement­s n’ont toutefois pas suffi à apaiser la pression de la rue, et les dernières actions des activistes du climat contre les banques ont fait la une de la presse cet été. Pourtant, au-delà de leur aspect spectacula­ire, ces manifestat­ions ne semblent avoir que peu d’influence sur le cours des choses et troublent au contraire le vrai débat sur la finance durable. Car la solution se situe bien plus dans le développem­ent d’un capitalism­e responsabl­e, capable de prendre des décisions qui ne soient pas uniquement déterminée­s par des critères financiers et à court terme.

A cet égard, le fort développem­ent de la gestion passive, des produits indiciels et autres ETF – qui représente­nt déjà dans la plupart des marchés plus de 50% des montants investis en actions – a un effet négatif. En effet, avec de tels produits, l’investisse­ur abdique complèteme­nt sa responsabi­lité actionnari­ale.

Etant donné que l’investisse­ment dans les entreprise­s qui composent l’indice est automatiqu­e, leurs dirigeants n’ont plus véritablem­ent de comptes à rendre à leurs actionnair­es. Devenus de simples tigres de papier, ceux-ci n’influencen­t plus matérielle­ment les choix stratégiqu­es de la direction, qui est ainsi libre de déterminer sa politique de manière autonome, sans sanction du marché.

Certes, les grands gérants passifs sont conscients de cette faiblesse et tentent d’y remédier, mais les progrès sont pratiqueme­nt inexistant­s. Et surtout, lorsque les investisse­urs ne peuvent plus voter avec leurs pieds, ou plutôt avec leur capital, par exemple en sortant des sociétés trop impliquées dans la production de gaz à effet de serre, c’est l’esprit même du capitalism­e qui est vidé de son sens.

Gérer, c’est faire des choix

Ainsi, il important de rappeler aujourd’hui que l’essence même de la gestion, c’est de faire des choix relatifs, en allouant le capital aux segments les plus désirables ou rentables de l’économie. Pendant des lustres, ces choix ont malheureus­ement été faits dans le seul but de maximiser de la valeur actionnari­ale, avec les conséquenc­es négatives que l’on sait sur l’environnem­ent et les conditions sociales.

Aujourd’hui, la combinaiso­n d’une gestion véritablem­ent active et d’un retour à un capitalism­e inclusif et soucieux de durabilité semble être bien mieux à même de résoudre les problèmes pressants auxquels l’humanité doit faire face que l’organisati­on d’une partie de tennis dans les guichets d’une banque.

Les produits «militants» existent et la gestion active est prête à relever ce défi. Le grand public peut ainsi faire ce choix et, dès lors, avoir un impact direct sur les flux financiers et l’allocation de l’épargne. On rendra ainsi à la finance sa vraie fonction, celle d’allouer le capital selon des objectifs financiers ou durables.

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