Finance décentralisée: un monde hors les banques
La DeFi offre des possibilités d’investissement et de gestion uniques des cryptoactifs, accessibles et sans intermédiaire traditionnel. Même si le droit n’a pas été conçu pour ce type d’interactions
Mais qu’est-ce donc que la DeFi? Prenez un acheteur et un vendeur d’instruments ou de services financiers; mettez-les en relation, en direct ou dans un groupe de personnes, hors du système bancaire et dans des protocoles informatiques contenant des fonctions d’échange automatisées, le tout sécurisé et transparent grâce à la blockchain. Les transactions s’exécutent alors plus vite que via les banques commerciales, avec des coûts et des risques moindres, et en bénéficiant d’une liquidité augmentée. Cette cryptoéconomie particulière, essentiellement présente sur la blockchain Ethereum, est passée d’un volume d’échange de 15 milliards de dollars en janvier de cette année à 80 milliards aujourd’hui.
En pratique, dans le monde juridique centralisé, la conclusion d’un contrat est le fait de manifestations – expresses ou tacites – concordantes des volontés; il en découle l’application de règles étatiques de protection pour chacun des co-contractants. Or, si l’on agit hors du cadre bancaire (et donc boursier), les garanties légales et réglementaires en matière d’exécution d’une transaction et d’attribution d’un actif n’existent plus.
Rappelons à présent la notion générale de liquidité d’un marché financier, à savoir l’efficacité ou la facilité avec laquelle un actif peut être échangé sans que cela affecte son prix. Deux facteurs ont une influence forte sur la liquidité: le volume des échanges et l’écart entre les prix de vente et d’achat. Souvent, plus un marché est important en termes de volume et de participants, plus il est liquide.
Dans le contexte décentralisé de la blockchain, les acheteurs et vendeurs de cryptoactifs ne se connaissent pas. Historiquement, ces derniers prenaient contact via des forums en ligne pour ensuite négocier individuellement leurs échanges. Des intermédiaires financiers spécialisés, les crypto exchanges (bourses d’échange de cryptoactifs), sont ensuite apparus, tels Coinbase, Kraken, Binance ou encore Bity, Swissquote et Bitcoin Suisse en Suisse romande. Ces derniers nécessitent cependant de renoncer à toute décentralisation puisque chaque échange se fait par leur intermédiaire.
Arrangement avec un bout de code
L’objectif premier de la DeFi est dès lors de proposer des marchés financiers décentralisés et restant cependant très liquides. Lorsque vous transférez un cryptoactif sur une adresse (sorte d’IBAN de la blockchain) propre au protocole concerné, vous avez soit conclu un contrat avec une personne physique identifiée ou non identifiée, soit passé un «arrangement» en direct avec un smart contract, soit encore passé un tel arrangement avec un smart contract gérant automatiquement une multitude d’acteurs.
Dans les deux derniers cas, vous avez ainsi conclu un arrangement en direct avec un bout de code ou alors avec un groupe d’êtres humains non identifiés représentés par un bout de code.Pour faciliter les échanges et fluidifier l’économie des cryptoactifs, la DeFi propose un ensemble de mécanismes de pair-à-pair, régis par des smart contracts, permettant de maximiser la liquidité desdits cryptoactifs.
Tout un chacun a la possibilité de mettre ses cryptoactifs dans un pot commun via un smart contract afin d’augmenter la disponibilité de ceux-ci vis-à-vis de tout acheteur ou emprunteur. Les vendeurs ou prêteurs se partagent ensuite les bénéfices et plus-values associés au sein de la communauté formée pour l’occasion.
Le phénomène le plus populaire de la DeFi est sans aucun doute l’Automated Market Making (AMM). Il s’agit ici d’un distributeur automatique de cryptoactifs, vendant mais aussi achetant ceux-ci en permanence. Le prix d’achat et de vente est automatiquement déterminé en fonction des réserves du cryptoactif concerné détenu par l’AMM consulté. Par conséquent, le prix du cryptoactif baisse lorsque son stock est trop élevé ou augmente au contraire en cas de stock trop faible. C’est ainsi le cas de protocoles comme Uniswap, Sushiswap, Bancor, ou Kyber Networks.
Il existe également des mécanismes décentralisés de prêts de cryptoactifs (tels Aave ou Compound). Un cryptoactif particulier est mis à disposition d’emprunteurs, lesquels doivent le rendre à un terme convenu. Certains de ces mécanismes permettent de réaliser des transactions avec effet de levier – cas déjà bien connu de la finance traditionnelle. Il est par exemple possible pour un connaisseur de réaliser en quelques secondes un profit de centaines de milliers, voire de millions, de francs suisses avec quelques centaines de francs au départ. Et en utilisant des stablecoins (Dai, USDC et Tether, principalement) il est possible de gérer les risques issus de la volatilité entre les cryptoactifs et les actifs traditionnels.
Dans le domaine de la DeFi, l’ingéniosité est reine. De nouveaux protocoles sont expérimentés en permanence, en particulier ceux faisant participer des agrégateurs de prix (comme Paraswap), voire des placements collectifs décentralisés permettant de répartir le risque des divers cryptoactifs sous-jacents (tel Balancer).
Méta-finance
Au-delà de l’accès à une liquidité augmentée, la DeFi offre donc des possibilités d’investissement et de gestion uniques des cryptoactifs, accessibles par tous et en permanence, en s’affranchissant des commissions dues à tout intermédiaire connu de la finance traditionnelle.
On envisage dès lors aisément le caveat principal de ce système, par ailleurs également vrai pour tout ce qui touche à la blockchain: le droit n’a pas été conçu pour ce type d’interactions. Les créateurs de protocoles s’en défendent d’ailleurs dans leurs disclaimers sur internet; et il est effectivement très compliqué de rattacher des opérations de DeFi à un système légal car celles-ci n’ont ni lien géographique ni autre rattachement direct avec un Etat particulier. La DeFi est ainsi une forme de méta-finance. Elle n’est pour l’instant réservée qu’à une élite de cryptotraders et considérée par les autres comme une monstruosité juridique.
Cela étant, la DeFi n’est pas non plus un monde hors la loi au sens large. Les règles algorithmiques sont constamment mises à jour par des communautés de développeurs passionnés. Ces règles s’appliquent automatiquement et sans surprise pour ceux qui savent déchiffrer les smart contracts correspondants. Et qui les comprennent avant de cliquer. Après avoir lu le disclaimer.■
Il est très compliqué de rattacher des opérations de DeFi à un système légal car celles-ci n’ont ni lien géographique ni autre rattachement direct avec un Etat particulier