En Italie, le droit du sol refait surface
Le président du Comité olympique transalpin a profité du succès des Azzurri aux Jeux de Tokyo pour réclamer un droit du sol pour les sportifs. Rouvrant un vieux débat politique chargé émotionnellement
Fausto Desalu est l’un des dix médaillés d’or italiens à Tokyo. Mais son nom est apparu dans la presse moins à cause de sa participation à l’exploit sur le 4x100 mètres qu’en raison de ses racines. Originaire du Nigeria, né en Lombardie, il est l’un des sportifs naturalisés Italiens à 18 ans ayant pu défendre les couleurs transalpines lors des derniers Jeux olympiques.
Son cas a inspiré le président du Comité olympique italien (CONI): Giovanni Malago a profité du succès de sa délégation pour rouvrir le débat sur le droit du sol des sportifs. L’ancien footballeur craint que les champions de demain puissent fuir l’Italie faute de pouvoir la représenter. «A 18 ans et une minute, quiconque a les prérequis doit, et je souligne bien doit, avoir la citoyenneté italienne, lâchait-il depuis Tokyo, dès la fin des JO, dans les colonnes de La Repubblica. Ne pas la reconnaître est aberrant, fou. Il ne faut pas faire commencer à cet âge-là un chemin de croix entre préfectures et ministères, et peut-être en avoir marre et s’en aller dans un autre pays.»
«La société de demain»
Il n’y a pas de cas éclatant pour nourrir cette inquiétude. De champion qui aurait offert des médailles à son pays d’origine après avoir été découragé par la complexité des démarches. Mais Fausto Desalu était loin d’être le seul Italien d’origine étrangère cet été au Japon. C’était aussi le cas, en volleyball, de Paola Egonu et d’Ivan Zaytsev ou, en course à pied, de Vladimir Aceti et Yenameberhan Crippa, comme de 59 des 384 athlètes de la délégation transalpine selon un calcul de médias italiens.
Giovanni Malago a ainsi rouvert un vaste et vieux débat en Italie. La droite, et surtout l’extrême droite menée par Matteo Salvini, le chef de la Ligue, s’y est tout de suite farouchement opposée. Mais le dirigeant sportif a reçu le soutien de toute la gauche, notamment de l’ancien premier ministre et secrétaire du Parti démocrate (PD). Enrico Letta avait déjà évoqué la question en reprenant en main la formation le printemps dernier.
Il a d’ailleurs appelé un ancien entraîneur pour le conseiller sur les questions sportives. Mauro Berruto a mené l’équipe nationale masculine de volleyball de 2010 à 2015. Il est devenu l’un des responsables du secrétariat national des démocrates en mars dernier. «Fais un tour auprès de n’importe quelle équipe junior de n’importe quelle discipline sportive: tu verras la société de demain qui te fait tant peur, a-t-il lancé à Matteo Salvini à travers les réseaux sociaux. Le sport anticipe les temps, il suffit de copier.»
Mais le ius soli – les Italiens utilisent l’appellation en latin pour le droit du sol – est un «fait de civilisation, un droit qui ne peut pas dépendre du talent», ajoute-t-il encore. Mauro Berruto précise ainsi pour Le Temps ne pas être favorable à une voie préférentielle pour un seul domaine. «Il y a un 1,3 million de jeunes étrangers nés en Italie, commente-t-il. Il y a certainement parmi eux des talents sportifs, mais pas seulement. De futurs intellectuels, des architectes, des réalisateurs se cachent parmi eux.» Il défend, comme son secrétaire de parti, le droit du sol pour tous.
Différentes législations
Pour l’heure, une loi demeure perdue dans les méandres du parlement. Une version modérée du ius soli avait en effet été votée en 2017 par la Chambre des députés. Il ne manque que l’approbation des sénateurs. Elle prévoyait certaines conditions pour l’obtention de la nationalité locale: un enfant pouvait devenir Italien si l’un des deux parents se trouvait légalement dans le pays depuis au moins cinq ans. Les jeunes sportifs étrangers peuvent néanmoins profiter d’une autre législation. Les mineurs «qui ne sont pas des citoyens italiens mais résidents sur le territoire au moins depuis leur dixième anniversaire peuvent s’inscrire auprès de sociétés sportives appartenant aux fédérations nationales», stipule une ordonnance promulguée en 2016.
Le texte vise à «favoriser l’intégration sociale des mineurs étrangers résidant en Italie» mais ne tient pas compte du lieu de naissance. La CONI interprète la loi comme «une substantielle mise à égalité des mineurs étrangers avec les mineurs italiens». L’inquiétude de Mauro Berutto est ainsi en partie apaisée: l’ancien entraîneur pense surtout à tous ces «jeunes étrangers de 13 à 15 ans, faisant partie d’une équipe, s’entraînant avec elle mais qui, le dimanche, doivent rester sur la touche car ils ne sont inscrits à aucune fédération».
Giovanni Malago craint que ces jeunes se découragent et abandonnent le sport ou s’en aillent à l’étranger s’inscrire dans d’autres fédérations. Sa proposition vise donc à simplifier les procédures, pourquoi pas en les ouvrant avant l’âge de la majorité afin que les athlètes deviennent Italiens dès les 18 ans fêtés. Son espoir est de voir les sportifs d’origine étrangère endosser le maillot italien le plus tôt possible. Le responsable sportif du PD se rappelle avoir suivi quelques volleyeurs dans leurs procédures pour obtenir le passeport transalpin. Il y voit seulement, à regret, une «épreuve de résistance et de résilience» opposée à ce qui devrait simplement être un «droit».
Le cas Balotelli
Pour Mauro Berutto, le problème n’est pas tant ces jeunes choisissant de tenter une carrière à l’étranger mais ceux, découragés, abandonnant le sport professionnel. Ce qui est plus facilement le cas dans le volleyball, concède le dirigeant démocrate. «Il est plus difficile pour les volleyeurs de jouer à l’étranger que pour les footballeurs», concède-t-il.
L’athlète italien d’origine étrangère le plus fameux joue justement avec un ballon rond au pied. Mario Balotteli naît à Palerme en 1990 de parents ghanéens. Il devient Italien en août 2008. Ce n’est qu’alors que, comme Fausto Desalu, il peut être appelé en équipe nationale pour représenter la Péninsule à l’étranger. «Je suis Italien, je me sens Italien, je jouerai toujours avec l’équipe nationale italienne», lâchait-il en recevant sa nouvelle carte d’identité.
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