Le Temps

Bourg-de-Four, la sobriété en héritage

La fontaine de la Vieille-Ville de Genève dévoile des motifs de style Renaissanc­e et une simplicité toute calviniste

- LAURE LUGON ZUGRAVU t@LaureLugon Demain: La fontaine de la Justice, à Lausanne

Place du Bourg-de-Four, Vieille-Ville de Genève, 2021. Le joyeux ruissellem­ent de la fontaine au bassin ovale est couvert par les conversati­ons et les verres qui s'entrechoqu­ent aux terrasses des bistrots. On s'approche. Sur le socle du monument, on lit la date de 1817. Un leurre. Car l'histoire patrimonia­le requiert quelque talent de limier.

Le voici incarné par Isabelle Brunier, historienn­e à l'Etat de Genève et auteure de nombreuses publicatio­ns: «On n'aurait pas réalisé un tel pilier au XIXe siècle, aux motifs de style Renaissanc­e. En réalité, la partie sommitale doit remonter à la première fontaine, construite en 1576.» Un piédestal soutient une urne cannelée, posée sur un socle orné de pointes de diamant. Au sommet, fleurs, palmettes et artichaut décoratif. «Les fontaines genevoises font dans la sobriété, elles ne sont pas aussi monumental­es que dans les cantons de Vaud ou Berne, d'inspiratio­n germanique», explique Isabelle Brunier.

Une petite révolution

Bourg-de-Four, un matin de 1600. Un cheval s'abreuve au bassin en calcaire alors octogonal, des habitants y lavent les légumes achetés au marché de cette même place, des porteurs d'eau ambulants font le plein dans leurs hottes, quelques servantes viennent y puiser la ration quotidienn­e qu'elles verseront dans la pierre à eau, au-dessus des éviers.

L'eau, en ces temps-là, inspire la méfiance, on lui préfère le vin (un penchant qui semble avoir perduré au Bourgde-Four). Alimentée par des sources et des tuyaux de bois ou de terre cuite, la fontaine a alors un débit capricieux et les tentatives de pomper l'eau du Rhône ont jusqu'ici échoué. Mais au XVIIIe siècle, une petite révolution va provoquer la multiplica­tion des fontaines: la Machine hydrauliqu­e, qui permettra de tirer l'eau du fleuve. Cette invention, Genève la doit à un ingénieur et architecte breton, Joseph Abeille.

Genève, 1709: le sieur Abeille, plein d'ambition, ne se contente pas de sa prouesse technique. Dans la foulée, il soumet des plans et devis pour cinq fontaines, dont celle de la mythique place de la Vieille-Ville. Mais ce projet n'est pas retenu, il n'obtiendra l'aval des autorités que pour celles de Saint-Gervais et du Molard. Sans doute le prix et les ornements prévus, dans une Genève qui affectionn­e une certaine austérité, auront-ils compté davantage que les rumeurs circulant à son sujet: catholique, l'habile architecte était soupçonné, dans la Cité de Calvin, d'empoisonne­r l'eau des fontaines.

Ce qui n'empêchera pas Joseph Abeille de réaliser l'obélisque de celle du Molard, avant d'aller butiner chez les Bernois. La mode, par lui lancée, a subsisté. Place du Bourg-deFour, en 2021, on boit un verre à la mémoire de son talent, laissé en héritage.

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