Le Temps

Rusé comme un Indien canadien

A Panex, dans le Chablais vaudois, il fait bon se balader en forêt. A condition de ne pas réveiller l’Hutzeran

- MARIE-AMAËLLE TOURÉ t@mariemaell­e

Dans les années 1540, mandaté par le roi François Ier, le navigateur Jacques Cartier arpente le golfe du Saint-Laurent à la recherche d’un passage vers ce fameux eldorado du nord dont lui a parlé l’Iroquois Donnacona. Sans se douter qu’il a été victime d’une ruse d’Indien.

Il existe dans l’imaginaire populaire des adages dont on peine parfois à identifier les origines. C’est le cas de la locution «Jamais deux sans trois». Sur Europe 1, Stéphane Bern détaillait l’année passée les conjecture­s de certains linguistes. L’expression viendrait ainsi d’un jeu populaire au Moyen Age et désigne la règle principale de ce jeu. D’autres spécialist­es estiment, eux, que l’expression s’inspire d’une locution du XIIIe siècle: «Tierce fois c’est droit», qui signifiait qu’une action pouvait être correcteme­nt réussie uniquement si elle était exécutée trois fois. Quelques siècles plus tard, «Jamais deux sans trois» s’utilise lorsque l’on rate son créneau deux fois d’affilée, ou son examen final du brevet d’avocat. Avec l’espoir que la troisième fois sera la bonne. Sauf dans le Chablais vaudois.

A 950 mètres au-dessus de la commune d’Ollon, trône le village de Panex. Entouré d’une forêt luxuriante, le village et ses environs abritent une légende: celle de l’Hutzeran. «Ce mauvais génie, dont le nom patois vient de hutsi, soit hucher, […] est un grand gaillard tout habillé de vert, se cachant dans les bois dont il est l’esprit sauvage susceptibl­e et jaloux», écrivait Alfred Cérésole dans son ouvrage consacré aux légendes des Alpes vaudoises. «Il est le protecteur des forêts qui huche et se venge», poursuivai­t-il.

Siffloter à bon escient

Au XIXe siècle, un habitant de la commune de Huémoz entendit «hucher» dans un pré au-dessus de Panex. Il répondit joyeusemen­t à plusieurs reprises. «Il constata cependant qu’à chaque cri la voix se faisait toujours plus rapprochée, plus forte et plus irritée, jusqu’à ce qu’enfin ce fut un cri formidable accompagné d’un grand fracas de branches et de rochers qui dégringola­ient de son côté. Il eut peur et s’enfuit se cacher dans un chalet. […] Il vit comme dans un tourbillon de feuilles emportées, passer un grand homme vert, qui descendait en bonds furieux dans la vallée. C’était le terrible hutzeran», raconte Alfred Cérésole. Alors si l’envie vous prend soudaineme­nt de fredonner ou de siffloter un air dans la quiétude et la contemplat­ion, que l’on ne vous y prenne pas à trois fois. On raconte que l’Hutzeran n’est indulgent que deux.

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