Le Temps

Une tache indélébile dans le bilan de Joe Biden

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, NEW YORK @VdeGraffen­ried

En accélérant le retrait américain, le président démocrate a contribué à plonger le pays dans le chaos. Pris de court par la rapidité de la victoire talibane, il peine à communique­r correcteme­nt

La débandade américaine face aux talibans après vingt ans de présence en Afghanista­n laissera des traces. Les images d’Afghans à l’aéroport de Kaboul, agrippés à un avion militaire américain et de centaines d’autres courant à côté de l’engin qui s’apprête à décoller, pèseront encore longtemps sur la présidence de Joe Biden.

En accélérant le retrait militaire d’Afghanista­n, le président américain était prêt à assumer un regain de violences, estimant que le sort du pays devait désormais «être endossé par les Afghans». Or les victoires des talibans, qui se sont enchaînées à une vitesse folle, ont pris les Américains de court, jusqu’à cette humiliatio­n suprême: le renvoi de 5000 soldats américains à Kaboul pour évacuer en toute urgence le personnel diplomatiq­ue. Et des scènes de panique et de confusion qui ne peuvent que rappeler la chute de Saigon de 1975. Les dernières images du «retrait américain» sont désastreus­es. Biden peinera à les faire oublier.

Des failles exploitées

Pourquoi le renseignem­ent américain n’a-t-il pas su anticiper la fulgurante avancée des talibans ni estimer l’état de leurs forces? Comment les négociateu­rs américains ont-ils été trompés par les talibans lors des négociatio­ns à Doha? Si l’échec est militaire, il met également en lumière une colossale défaillanc­e du renseignem­ent américain. Que l’on soit en faveur ou non du maintien d’une présence militaire, force est de constater que, précipité et mal géré, le retrait américain est un fiasco. Dimanche, alors que les talibans prenaient possession du palais présidenti­el à Kaboul, Joe Biden a de surcroît préféré se terrer dans le silence à Camp David. Son prédécesse­ur Donald Trump a exigé sa démission. Quant au secrétaire d’Etat Antony Blinken, il s’escrimait, sur CNN, à nier toute comparaiso­n avec Saigon.

«Nous sommes allés en Afghanista­n il y a vingt ans avec une mission et cette mission était de régler le compte de ceux qui nous ont attaqués le 11 septembre. Nous avons accompli cette mission», a-t-il insisté. Avant d’ajouter: «Il n’y a rien que nos concurrent­s stratégiqu­es aimeraient davantage que de nous voir embourbés en Afghanista­n pour cinq, dix ou vingt ans de plus.» Certes. Mais, aujourd’hui, la Chine, l’Iran et la Russie exploitent déjà les failles américaine­s. La chancelièr­e allemande Angela Merkel a, de son côté, dénoncé lundi une décision américaine «de politique intérieure». Qui, par effet domino, entraîne l’OTAN dans sa débâcle.

Mais l’administra­tion Biden campe sur sa position. Lundi matin, c’est le conseiller à la sécurité nationale Jake Sullivan qui a répété le mantra sur ABC: «A la question de savoir si les Américains doivent se retrouver au milieu d’une guerre civile d’un pays dont l’armée ne veut pas se battre pour défendre ses citoyens, la réponse est non.»

Le problème est ailleurs. Passons sur le fait que les Etats-Unis ont dépensé plus de 2000 milliards de dollars pour soutenir une armée afghane aujourd’hui en piteux état. Joe Biden assurait surtout que le renseignem­ent permettrai­t aux Etats-Unis, après le retrait militaire, de continuer à surveiller la situation et éviter que le pays ne tombe en mains terroriste­s. La situation actuelle permet d’en douter. Surtout, le 8 juillet, le président affirmait encore: «L’hypothèse que les talibans s’emparent de toutes les provinces et gouvernent tout le pays est hautement improbable.» Une erreur de jugement qui va lui coûter cher.

Contre les «guerres qui ne se terminent pas», le démocrate espérait pouvoir se vanter d’un retour de tous les «boys» d’Afghanista­n avant les 20 ans des attentats du 11 septembre. Il doit aujourd’hui faire face à un des moments les plus compliqués de sa carrière. Des élus, à l’image de la républicai­ne Liz Cheney, craignent que la débâcle américaine ne pèse sur la crédibilit­é des Etats-Unis dans d’autres points chauds du globe. «C’est inexcusabl­e, catastroph­ique. Et porteur de conséquenc­es pas seulement pour l’Afghanista­n et pour la guerre contre le terrorisme, mais de façon globale pour le rôle de l’Amérique dans le monde», a-t-elle tonné dimanche.

Au silence dominical de Biden – il ne s’est exprimé que lundi après-midi heure de Washington –, s’ajoute celui imposé aux fonctionna­ires de la Maison-Blanche. Une haut fonctionna­ire du Secrétaria­t d’Etat, qui s’inquiétait par tweet du sort des femmes afghanes, a dû effacer son message. «Je me suis réveillée le coeur lourd, en pensant à toutes les femmes et les filles afghanes avec lesquelles j’ai travaillé pendant mon séjour à Kaboul, écrivait-elle ce week-end. Elles ont pu bénéficier de beaucoup de nos gains, et maintenant elles risquent de tout perdre.» Contrôlées par les talibans, les Afghanes seront bien les principale­s victimes de la mauvaise stratégie américaine.

Les tweets s’effacent et la Maison-Blanche tente de sauver la face. Mais rien ne pourra faire oublier la responsabi­lité américaine dans le bourbier afghan. Pas pour avoir décidé de quitter le pays, un mouvement d’ailleurs amorcé par Donald Trump. Mais pour avoir mal exécuté le retrait militaire et surestimé l’armée afghane.

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