Désarroi en Inde, attentisme en Chine
Le chaos afghan n’est pas sans conséquences pour les pays à proximité. En Inde, alliée des Etats-Unis, la chute de Kaboul ne laisse pas beaucoup d’options. Du côté de la Chine, l’échec américain n’est pas complètement une raison pour se réjouir
Les analyses de la presse indienne traduisent le désarroi de New Delhi par rapport au chaos qui règne en Afghanistan. Ces dernières années, les bonnes relations indo-américaines y ont favorisé une percée diplomatique, politique et économique de l’Inde. La chute de Kaboul laisse donc un goût amer. Selon le quotidien The Hindu de lundi, l’accord de Doha signé en février 2020 entre les Etats-Unis et les talibans a donné depuis lors un sentiment de victoire à ces derniers.
«Pendant la guerre, le principal défi des talibans était la puissance aérienne américaine qui avait porté des coups dévastateurs à l’insurrection, relève le journal. Depuis l’accord de Doha, les frappes aériennes américaines ont cessé, en échange de l’arrêt des attaques des talibans contre les forces américaines. Cela a permis aux insurgés de se regrouper, de planifier leur offensive.»
Nouvelle source d’inquiétudes
Les projets d’infrastructures financés et construits par New Delhi, dont l’autoroute Zaranj-Delaram et le Salma Dam sont passés sous le contrôle des insurgés. L’avenir de tous les autres projets est désormais incertain. Mais ce qui tracasse les Indiens, c’est qu’un pouvoir inamical à Kaboul a de quoi compliquer les options stratégiques indiennes. Avec deux pays frontaliers déjà hostiles – Chine et Pakistan –, l’Afghanistan pourrait devenir une nouvelle source d’inquiétudes. «L’une des craintes est que des groupes tels que le Lashkar-e-Taiba et le Jaish-e-Mohammad, qui disposent de bases au Pakistan, puissent désormais disposer de davantage d’espaces pour mener des attaques terroristes en l’Inde», avance The Hindi.
Pour le quotidien, l’Inde ne dispose dès lors pas de beaucoup d’options. La première est d’assurer le rapatriement de ses ressortissants coincés en Afghanistan. La seconde serait de soutenir les anti-talibans en leur fournissant des armes en passant par l’Iran. Cette possibilité a été évoquée vendredi dernier lors d’un débat télévisé sur une télévision indienne et le porte-parole des talibans Suhail Shaheen a mis en garde contre une telle tentation.
Troisième option: prendre contact avec le nouveau pouvoir dès que possible. The Hindu ne se fait pas d’illusion à ce propos, mais affirme qu’elle ne doit pas être éliminée d’emblée. Enfin, New Delhi pourrait simplement attendre et observer dans quelle direction souffle le vent avant de décider de ses futures actions. Le journal sait que l’Inde ne sera pas invitée à la grande table de négociations.
La presse chinoise n’est pas moins prolifique sur l’Afghanistan, pays avec laquelle la Chine partage une frontière commune de 76 kilomètres. Pékin maintient une présence forte dans le pays, notamment par le biais des projets dans le cadre des nouvelles Routes de la soie. Il y a quelques semaines, une délégation des talibans s’est rendue à Pékin; autant dire que pour les Chinois, un nouveau chapitre s’ouvre pour le pays. «Ce qui vient de se produire n’était même pas prévisible dans les pires scénarios américains et occidentaux», a commenté lundi le Global Times, journal en ligne proche du pouvoir chinois.
Le commentaire du Global Times n’est toutefois pas dépourvu de craintes. Il évoque le East Turkestan Islamic Movement (ETIM) qui, avec le soutien des talibans, pourrait s’engager dans des actions terroristes dans la province chinoise du Xinjiang en soutien à la revendication d’indépendance de la minorité musulmane. «Dans ce contexte, la Chine doit se préoccuper des événements en Afghanistan, affirme le journal. Il assure que la frontière est bien gardée et que les «indépendantistes, extrémistes et terroristes ne pourront pas passer par là. Par-dessus tout, si les talibans veulent construire un nouveau pays, ils doivent être capables de se séparer de ces derniers.»
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«Ce qui vient de se produire n’était même pas prévisible dans les pires scénarios américains et occidentaux» GLOBAL TIMES, JOURNAL EN LIGNE PROCHE DU POUVOIR CHINOIS