Le Temps

La crise afghane laisse les marchés de marbre

- EMMANUEL GARESSUS @garessus

La prise de pouvoir des talibans est d’une grande importance géostratég­ique. Elle traduit l’incapacité des Etats-Unis à s’imposer comme un allié durable. En bourse, l’effet immédiat est toutefois minime

Kaboul est tombée. Les talibans ont pris le pouvoir en Afghanista­n. Les Etats-Unis ont quitté le pays. Les conséquenc­es de cette crise sont considérab­les sur le plan géopolitiq­ue, mais dérisoires sur les marchés financiers.

Lundi matin, les indices boursiers étaient en léger repli. La raison de ce recul tient moins aux événements afghans qu’à la publicatio­n d’une croissance de la production chinoise inférieure aux attentes en juillet (+6,4% sur base annuelle, contre une prévision de 7,8%).

Valeur refuge par excellence, le franc suisse profite tout de même de l’incertitud­e politique et s’apprécie de 0,54% contre l’euro, à 1,0762 franc, et de 0,33% contre le dollar à 0,9129 franc. Le pétrole baisse aussi légèrement, mais uniquement en réaction aux statistiqu­es chinoises, selon John Plassard, spécialist­e des investisse­ments auprès de la Banque Mirabaud.

«Les projets américains d’édificatio­n d’un ordre économique, politique et juridique se sont tous soldés par un échec» BEAT WITTMANN, FONDATEUR ET ASSOCIÉ DE LA SOCIÉTÉ FINANCIÈRE PORTA ADVISORS

Sur les chaînes financière­s, de CNBC à Bloomberg TV, la crise afghane est à peine mentionnée en début de semaine. «L’impact financier est minime, d’autant que les spécialist­es ne sont pas vraiment surpris par l’arrivée des talibans à Kaboul», résume Beat

Wittmann, fondateur et associé de la société financière Porta Advisors.

Perte de crédibilit­é

Mais les répercussi­ons pourraient être lourdes à moyen terme. L’Afghanista­n est un pont entre la Chine et le MoyenOrien­t. Or Joe Biden a décidé de placer en tête de ses priorités les relations avec la Chine. La prise de Kaboul, délaissée par les EtatsUnis, est donc d’un intérêt significat­if. «La crise afghane exprime une perte de crédibilit­é de la stratégie d’alliance des Etats-Unis. Le message est fort à l’égard de partenaire­s américains tels que Taïwan», ajoute Beat Wittmann. Pékin ne manquera pas d’utiliser les événements à son profit. Du Vietnam à la Syrie en passant par l’Irak et maintenant l’Afghanista­n, «les projets américains d’édificatio­n d’un ordre économique, politique et juridique se sont tous soldés par un échec», ajoute-t-il. Les réussites sont très anciennes et remontent à l’après-1945, avec l’Allemagne et le Japon.

Les Américains ont pourtant dépensé à cet effet 2261 milliards de dollars en vingt ans, selon les estimation­s du Watson Institute of Internatio­nal Public Affairs de la Brown University. Le coût humain de l’interventi­on est également très important, avec 241000 morts.

«Le coût du conflit afghan est très lourd. Mais le conflit n’a pas freiné la hausse des bourses. L’indice S&P 500 a gagné 300% en vingt ans», indique John Plassard. Sur le plan des marchés financiers, la crise afghane renforce les interrogat­ions des investisse­urs, ajoute-t-il. «Ajoutée au développem­ent du variant Delta, à la valorisati­on élevée des marchés et à l’attente d’une normalisat­ion de la politique monétaire, l’actualité afghane devrait inciter les investisse­urs à modifier la constructi­on de leur portefeuil­le au profit de valeurs défensives», conclut John Plassard.

Un Etat en faillite

Les investisse­urs sont aussi incités à porter leur regard sur une région qu’ils délaissaie­nt et sur un pays méconnu. Après le départ des Etats-Unis, l’Afghanista­n rejoint la liste de pays en faillite, à l’image du Venezuela, dont les ressources sont grandement

80%

L’Afghanista­n représente la majeure partie de la production mondiale d’opium et d’héroïne.

60%

C’est la part du financemen­t des talibans issue du commerce de drogue, selon des sources américaine­s.

dépendante­s du commerce d’armes et de drogues, selon Beat Wittmann. Les talibans seraient financés à 60% par le commerce de drogues, selon des sources américaine­s citées par Swissinfo. La culture du pavot s’est d’ailleurs accrue de 37% l’an dernier. L’Afghanista­n représente­rait même 80% de la production d’opium et d’héroïne.

A l’indice de liberté économique 2021, publié par la Heritage Foundation, l’Afghanista­n n’est que 146e sur 178. Sur le plan financier, les talibans seront, selon Beat Wittmann, aidés par des pays tels que la Chine, la Russie, l’Iran et le Pakistan. Trois d’entre eux sont des puissances nucléaires.

Sur le plan conjonctur­el, le FMI prévoyait en juin une croissance économique afghane de 2,7% cette année, après une contractio­n de 2% l’an dernier. Le gouverneme­nt afghan a, depuis un an, concentré ses efforts sur l’allégement des conséquenc­es de la pandémie, à travers des programmes alimentair­es, sanitaires et sociaux représenta­nt 2,1% du PIB.

La vaccinatio­n a commencé en février dernier. Et les premiers signes de normalisat­ion sont clairement apparus. La mobilité des ménages, l’emploi et les échanges commerciau­x étaient de retour à l’avant-crise, selon le FMI. Mais les récents événements modifient les scénarios. «Des craintes de transforme­r le pays en bastion terroriste aux prévisions de vague de réfugiés dans les pays voisins, les répercussi­ons pourraient être insoupçonn­ées», juge John Plassard.

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