La crise afghane laisse les marchés de marbre
La prise de pouvoir des talibans est d’une grande importance géostratégique. Elle traduit l’incapacité des Etats-Unis à s’imposer comme un allié durable. En bourse, l’effet immédiat est toutefois minime
Kaboul est tombée. Les talibans ont pris le pouvoir en Afghanistan. Les Etats-Unis ont quitté le pays. Les conséquences de cette crise sont considérables sur le plan géopolitique, mais dérisoires sur les marchés financiers.
Lundi matin, les indices boursiers étaient en léger repli. La raison de ce recul tient moins aux événements afghans qu’à la publication d’une croissance de la production chinoise inférieure aux attentes en juillet (+6,4% sur base annuelle, contre une prévision de 7,8%).
Valeur refuge par excellence, le franc suisse profite tout de même de l’incertitude politique et s’apprécie de 0,54% contre l’euro, à 1,0762 franc, et de 0,33% contre le dollar à 0,9129 franc. Le pétrole baisse aussi légèrement, mais uniquement en réaction aux statistiques chinoises, selon John Plassard, spécialiste des investissements auprès de la Banque Mirabaud.
«Les projets américains d’édification d’un ordre économique, politique et juridique se sont tous soldés par un échec» BEAT WITTMANN, FONDATEUR ET ASSOCIÉ DE LA SOCIÉTÉ FINANCIÈRE PORTA ADVISORS
Sur les chaînes financières, de CNBC à Bloomberg TV, la crise afghane est à peine mentionnée en début de semaine. «L’impact financier est minime, d’autant que les spécialistes ne sont pas vraiment surpris par l’arrivée des talibans à Kaboul», résume Beat
Wittmann, fondateur et associé de la société financière Porta Advisors.
Perte de crédibilité
Mais les répercussions pourraient être lourdes à moyen terme. L’Afghanistan est un pont entre la Chine et le MoyenOrient. Or Joe Biden a décidé de placer en tête de ses priorités les relations avec la Chine. La prise de Kaboul, délaissée par les EtatsUnis, est donc d’un intérêt significatif. «La crise afghane exprime une perte de crédibilité de la stratégie d’alliance des Etats-Unis. Le message est fort à l’égard de partenaires américains tels que Taïwan», ajoute Beat Wittmann. Pékin ne manquera pas d’utiliser les événements à son profit. Du Vietnam à la Syrie en passant par l’Irak et maintenant l’Afghanistan, «les projets américains d’édification d’un ordre économique, politique et juridique se sont tous soldés par un échec», ajoute-t-il. Les réussites sont très anciennes et remontent à l’après-1945, avec l’Allemagne et le Japon.
Les Américains ont pourtant dépensé à cet effet 2261 milliards de dollars en vingt ans, selon les estimations du Watson Institute of International Public Affairs de la Brown University. Le coût humain de l’intervention est également très important, avec 241000 morts.
«Le coût du conflit afghan est très lourd. Mais le conflit n’a pas freiné la hausse des bourses. L’indice S&P 500 a gagné 300% en vingt ans», indique John Plassard. Sur le plan des marchés financiers, la crise afghane renforce les interrogations des investisseurs, ajoute-t-il. «Ajoutée au développement du variant Delta, à la valorisation élevée des marchés et à l’attente d’une normalisation de la politique monétaire, l’actualité afghane devrait inciter les investisseurs à modifier la construction de leur portefeuille au profit de valeurs défensives», conclut John Plassard.
Un Etat en faillite
Les investisseurs sont aussi incités à porter leur regard sur une région qu’ils délaissaient et sur un pays méconnu. Après le départ des Etats-Unis, l’Afghanistan rejoint la liste de pays en faillite, à l’image du Venezuela, dont les ressources sont grandement
80%
L’Afghanistan représente la majeure partie de la production mondiale d’opium et d’héroïne.
60%
C’est la part du financement des talibans issue du commerce de drogue, selon des sources américaines.
dépendantes du commerce d’armes et de drogues, selon Beat Wittmann. Les talibans seraient financés à 60% par le commerce de drogues, selon des sources américaines citées par Swissinfo. La culture du pavot s’est d’ailleurs accrue de 37% l’an dernier. L’Afghanistan représenterait même 80% de la production d’opium et d’héroïne.
A l’indice de liberté économique 2021, publié par la Heritage Foundation, l’Afghanistan n’est que 146e sur 178. Sur le plan financier, les talibans seront, selon Beat Wittmann, aidés par des pays tels que la Chine, la Russie, l’Iran et le Pakistan. Trois d’entre eux sont des puissances nucléaires.
Sur le plan conjoncturel, le FMI prévoyait en juin une croissance économique afghane de 2,7% cette année, après une contraction de 2% l’an dernier. Le gouvernement afghan a, depuis un an, concentré ses efforts sur l’allégement des conséquences de la pandémie, à travers des programmes alimentaires, sanitaires et sociaux représentant 2,1% du PIB.
La vaccination a commencé en février dernier. Et les premiers signes de normalisation sont clairement apparus. La mobilité des ménages, l’emploi et les échanges commerciaux étaient de retour à l’avant-crise, selon le FMI. Mais les récents événements modifient les scénarios. «Des craintes de transformer le pays en bastion terroriste aux prévisions de vague de réfugiés dans les pays voisins, les répercussions pourraient être insoupçonnées», juge John Plassard.
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