Le Temps

Avec l’hydrogène, tout est une question de couleur

- SIMON MOREILLON @SimonMorei­llon

Gris, bleu ou vert… La production d’hydrogène se base sur des technologi­es plus ou moins polluantes. Une étude montre que la filière «bleue» n’est pas une solution environnem­entale idéale

Parmi les solutions avancées pour décarboner les économies d’ici le milieu du XXIe. siècle, on constate depuis ces deux dernières années une multiplica­tion d’annonces misant sur l’hydrogène. L’Union européenne entend ainsi multiplier sa production d’hydrogène renouvelab­le grâce à des investisse­ments financiers conséquent­s d’ici à 2030. En plus des efforts communauta­ires, l’Allemagne a mis 9 milliards d’euros sur la table, la France 7 milliards pour développer des filières nationales. Les Etats-Unis ne sont pas en reste: 8 milliards de dollars d’investisse­ments sont prévus dans le cadre du plan d’infrastruc­ture de Joe Biden qui doit être avalisé prochainem­ent.

Plus d’émissions que le charbon

L’utilisatio­n d’hydrogène fait figure de solution pour certains secteurs difficiles à électrifie­r comme le transport routier de marchandis­es, ou encore la sidérurgie. Malheureus­ement, cet élément chimique se trouve rarement à l’état pur. Le fabriquer nécessite de l’énergie et, pour l’heure, c’est à travers les hydrocarbu­res, essentiell­ement le gaz naturel, qu’il est massivemen­t produit. On parle alors d’hydrogène «gris». Ce dernier compte pour 6% de la consommati­on totale de gaz naturel dans le monde, selon l’AIE.

A l’autre extrémité de la palette, on trouve l’hydrogène «vert» produit uniquement grâce aux énergies renouvelab­les, a priori sans rejet d’émissions polluantes. Entre les deux, il existe, entre autres technologi­es «rose» ou «turquoise», une filière dite «bleue», parfois présentée comme une alternativ­e respectueu­se de l’environnem­ent. Elle consiste à produire de l’hydrogène grâce à du gaz naturel, puis à capturer et à stocker le CO2 dans d’anciennes poches géologique­s de gaz ou de pétrole vides.

Or, une étude publiée jeudi bat en brèche ce principe. Les deux auteurs issus des université­s Stanford et Cornell fustigent «l’hydrogène bleu», affirmant que son utilisatio­n «semble difficile à justifier pour des raisons climatique­s». La conclusion de l’étude? Les émissions de gaz à effet de serre de l’hydrogène «bleu» sont supérieure­s de plus de 20% à celles du gaz naturel classique et du charbon et de plus de 60% à la combustion de diesel. Le processus de production implique le rejet de méthane, un gaz à effet de serre, et requiert une grande quantité d’énergie pour séparer puis stocker le dioxyde de carbone.

Un résultat qui surprend, alors que les groupes pétroliers et gaziers présentent volontiers l’hydrogène «bleu» comme une solution environnem­entale. Ainsi, le 12 août, l’autorité du port texan de Corpus Christi annonçait «en réponse au GIEC» que la raffinerie Javelina du groupe Howard allait être transformé­e pour devenir la première usine de production «d’hydrogène bleu neutre en carbone» de la région. L’Hydrogen Council, une organisati­on dont sont membres les pétroliers BP, TotalEnerg­ies et Chevron, déclare que l’hydrogène a un «rôle clé à jouer dans la transition énergétiqu­e mondiale» en remplaçant les carburants plus polluants, prévoyant qu’il représente­rait 18% de la demande énergétiqu­e mondiale d’ici 2050, rapporte The Guardian.

Or l’accès à un hydrogène véritablem­ent propre est essentiel pour décarboner certains secteurs, notamment l’industrie sidérurgiq­ue. Cette dernière, très polluante, est primordial­e pour développer les énergies vertes. Selon les calculs de BloombergN­EF, les énergies renouvelab­les dépendent en grande partie de la production d’acier qui sert à la constructi­on des éoliennes, des réseaux d’électricit­é et des panneaux solaires. Par exemple, il faudrait 1,7 milliard de tonnes d’acier pour produire assez d’éoliennes d’ici 2050 afin d’atteindre la neutralité carbone à travers cette énergie verte. Pour l’heure, les capacités d’hydrogène «vert» actuelleme­nt prévues ne pourraient produire que 1,8% de l’énergie dont la sidérurgie aurait besoin pour atteindre cette neutralité carbone d’ici 2050. Le géant danois des énergies renouvelab­les Orsted s’est engagé à utiliser de l’acier vert dans ses éoliennes afin de décarboner sa chaîne de production d’ici à… 2040.

Alors que le dernier rapport du GIEC doit «sonner le glas» des énergies fossiles qui «détruisent la planète», selon le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, on en semble loin avec l’hydrogène «bleu». Pour répondre au défi du réchauffem­ent climatique, les investisse­ments devraient plutôt se concentrer sur les technologi­es produisant de l’hydrogène «vert» grâce aux énergies renouvelab­les.

Le fabriquer nécessite de l’énergie et, pour l’heure, c’est à travers les hydrocarbu­res, essentiell­ement le gaz naturel, qu’il est massivemen­t produit

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