Avec l’hydrogène, tout est une question de couleur
Gris, bleu ou vert… La production d’hydrogène se base sur des technologies plus ou moins polluantes. Une étude montre que la filière «bleue» n’est pas une solution environnementale idéale
Parmi les solutions avancées pour décarboner les économies d’ici le milieu du XXIe. siècle, on constate depuis ces deux dernières années une multiplication d’annonces misant sur l’hydrogène. L’Union européenne entend ainsi multiplier sa production d’hydrogène renouvelable grâce à des investissements financiers conséquents d’ici à 2030. En plus des efforts communautaires, l’Allemagne a mis 9 milliards d’euros sur la table, la France 7 milliards pour développer des filières nationales. Les Etats-Unis ne sont pas en reste: 8 milliards de dollars d’investissements sont prévus dans le cadre du plan d’infrastructure de Joe Biden qui doit être avalisé prochainement.
Plus d’émissions que le charbon
L’utilisation d’hydrogène fait figure de solution pour certains secteurs difficiles à électrifier comme le transport routier de marchandises, ou encore la sidérurgie. Malheureusement, cet élément chimique se trouve rarement à l’état pur. Le fabriquer nécessite de l’énergie et, pour l’heure, c’est à travers les hydrocarbures, essentiellement le gaz naturel, qu’il est massivement produit. On parle alors d’hydrogène «gris». Ce dernier compte pour 6% de la consommation totale de gaz naturel dans le monde, selon l’AIE.
A l’autre extrémité de la palette, on trouve l’hydrogène «vert» produit uniquement grâce aux énergies renouvelables, a priori sans rejet d’émissions polluantes. Entre les deux, il existe, entre autres technologies «rose» ou «turquoise», une filière dite «bleue», parfois présentée comme une alternative respectueuse de l’environnement. Elle consiste à produire de l’hydrogène grâce à du gaz naturel, puis à capturer et à stocker le CO2 dans d’anciennes poches géologiques de gaz ou de pétrole vides.
Or, une étude publiée jeudi bat en brèche ce principe. Les deux auteurs issus des universités Stanford et Cornell fustigent «l’hydrogène bleu», affirmant que son utilisation «semble difficile à justifier pour des raisons climatiques». La conclusion de l’étude? Les émissions de gaz à effet de serre de l’hydrogène «bleu» sont supérieures de plus de 20% à celles du gaz naturel classique et du charbon et de plus de 60% à la combustion de diesel. Le processus de production implique le rejet de méthane, un gaz à effet de serre, et requiert une grande quantité d’énergie pour séparer puis stocker le dioxyde de carbone.
Un résultat qui surprend, alors que les groupes pétroliers et gaziers présentent volontiers l’hydrogène «bleu» comme une solution environnementale. Ainsi, le 12 août, l’autorité du port texan de Corpus Christi annonçait «en réponse au GIEC» que la raffinerie Javelina du groupe Howard allait être transformée pour devenir la première usine de production «d’hydrogène bleu neutre en carbone» de la région. L’Hydrogen Council, une organisation dont sont membres les pétroliers BP, TotalEnergies et Chevron, déclare que l’hydrogène a un «rôle clé à jouer dans la transition énergétique mondiale» en remplaçant les carburants plus polluants, prévoyant qu’il représenterait 18% de la demande énergétique mondiale d’ici 2050, rapporte The Guardian.
Or l’accès à un hydrogène véritablement propre est essentiel pour décarboner certains secteurs, notamment l’industrie sidérurgique. Cette dernière, très polluante, est primordiale pour développer les énergies vertes. Selon les calculs de BloombergNEF, les énergies renouvelables dépendent en grande partie de la production d’acier qui sert à la construction des éoliennes, des réseaux d’électricité et des panneaux solaires. Par exemple, il faudrait 1,7 milliard de tonnes d’acier pour produire assez d’éoliennes d’ici 2050 afin d’atteindre la neutralité carbone à travers cette énergie verte. Pour l’heure, les capacités d’hydrogène «vert» actuellement prévues ne pourraient produire que 1,8% de l’énergie dont la sidérurgie aurait besoin pour atteindre cette neutralité carbone d’ici 2050. Le géant danois des énergies renouvelables Orsted s’est engagé à utiliser de l’acier vert dans ses éoliennes afin de décarboner sa chaîne de production d’ici à… 2040.
Alors que le dernier rapport du GIEC doit «sonner le glas» des énergies fossiles qui «détruisent la planète», selon le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, on en semble loin avec l’hydrogène «bleu». Pour répondre au défi du réchauffement climatique, les investissements devraient plutôt se concentrer sur les technologies produisant de l’hydrogène «vert» grâce aux énergies renouvelables.
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Le fabriquer nécessite de l’énergie et, pour l’heure, c’est à travers les hydrocarbures, essentiellement le gaz naturel, qu’il est massivement produit