Les jeunes n’aspirent plus à devenir maîtres chez eux
Trois quarts des jeunes adultes souhaiteraient devenir propriétaires, estime Credit Suisse dans son étude de marché de 2021. Mais plus les années passent, plus les prix grimpent, et plus le rêve de propriété des jeunes générations devient inatteignable.
C'est la conclusion de l'étude de Raiffeisen sur le 2e trimestre 2021, qui indique que les obstacles sont de plus en plus nombreux pour les nouveaux acheteurs – tous biens confondus – ou encore du communiqué de la plateforme immobilière Immoscout24, qui a annoncé une hausse de 1,5% du prix des maisons individuelles durant le mois de juillet 2021.
Réussir autrement
Cependant, le désir de propriété n'est pas aussi répandu qu'il en a l'air. Pour Vincent Kaufmann, sociologue urbain à l'EPFL et au Forum Vies mobiles, seulement 50% de la population suisse aspire à la propriété ou possède déjà un bien immobilier. «Le rêve de maison et de réussite matérielle s'estompe», explique-t-il.
Car posséder quatre murs et un toit, une famille et un travail bien rangé, c'était pour beaucoup de nos parents (ou grands-parents) un idéal de vie. Mais aujourd'hui, ces «bases de réussite» ne sont plus aussi évidentes. Et les raisons ne sont pas seulement liées à la hausse des prix de l'immobilier. Solenne, 26 ans, reflète cette évolution. «Devenir propriétaire n'est pas mon objectif de vie, explique la jeune femme. Si j'en avais les moyens, c'est clair qu'acheter pourrait être positif au niveau des économies sur le long terme.» Mais pour l'enseignante en formation, d'autres contraintes rentrent en jeu, comme l'entretien du logement ou la gestion administrative. «Si je vis dans endroit qui me plaît bien et que le loyer n'est pas trop cher, je pense que je choisirais cette option», poursuit-elle.
Si le prix pèse dans la balance, les modes de vie aussi. «Je pense que l'on va vers une transformation lente, mais assez radicale de la composition des ménages, explique Vincent Kaufmann. On a par exemple des couples avec des partenaires qui habitent chacun de leur côté. Dans ce genre de cas, on n'a peut-être pas envie de posséder un grand appartement ou une maison individuelle.» Le spécialiste pointe également du doigt les séparations ou les divorces, qui restructurent le nid familial et donc son lieu de vie. L'Office fédéral de la statistique estime que deux mariages sur cinq (39,5%) en Suisse pourraient se terminer par un divorce. Dès lors, l'imaginaire de la réussite par l'acquisition d'une maison s'éloigne.
Transports et services de proximité
Aujourd'hui, les décisions se prennent plutôt en fonction de ce que le lieu d'habitat offre, selon le chercheur. Les transports, les commodités et éventuellement les services de garde d'enfants mis à disposition pour les jeunes familles font partie des éléments décisifs, plutôt que l'envie (ou non) de devenir propriétaire. «Ces nouveaux modes de vie prennent de l'ampleur, bien que le rêve traditionnel «maison-famille» reste d'actualité pour une partie des jeunes générations provenant généralement de milieux périurbains ou ruraux», précise-t-il.
Pour Marie-Paule Thomas, docteure en sociologie urbaine et directrice au sein de l'équipe de recherche de CBRE (entreprise de conseil en immobilier), l'élément le plus déterminant concernant le choix d'habitat serait le «lifestyle», soit les valeurs et aspirations. Ainsi, une personne souhaitant pouvoir obtenir son panier de légumes bio et accéder à des friperies choisira plutôt un appartement dans un quartier urbain, dit gentrifié. Le reste dépendra de son porte-monnaie.
Raréfaction des biens
Ainsi, Yoan, 26 ans, qui a pris ses quartiers dans une villa en semi-campagne, en colocation avec quatre de ses collègues ambulanciers, prise le confort de grands espaces, le jardin et le «vivre-ensemble». Toutefois, le jeune homme ne rejette pas l'idée de devenir propriétaire un jour. «Je sais que dans la location, tout l'argent que je paie, c'est de l'argent perdu. Le mieux, c'est d'acheter.»
Et si Yoan fait encore partie de ceux qui apprécient la stabilité que peut offrir la propriété, une part grandissante des jeunes adultes préfèrent la flexibilité. Louer pour rester libre, en somme, c'est ce qui motive Alexandre, un étudiant qui héritera un jour de la propriété de ses parents. «Je n'aime pas l'idée de me restreindre à un seul endroit jusqu'à la fin de mes jours», explique-t-il.
Au-delà de la diversité des modes de vie et aspirations, un constat concerne néanmoins tous les profils: plus le temps passe, plus l'acquisition d'une maison deviendra deviendra délicate. «Il faut s'attendre à ce qu'il y ait de moins en moins de maisons individuelles, affirme Vincent Kaufmann. En Suisse, avec les lois sur l'aménagement du territoire qui ont été votées, de préservation des zones agricoles ou encore les limitations de résidences secondaires par communes, en construire sera difficile. Et ces dernières seront de plus en plus chères.»
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