Le Temps

Une cabale au Canada

Dans les années 1540, Jacques Cartier était persuadé d’avoir découvert un eldorado du nord. Mais il a surtout été victime d’une ruse d’Indien

- PHILIPPE SIMON t@PhilippeSm­n Demain: Mercator et la montagne magnétique du pôle Nord

Quand on veut embobiner un roi, la méthode est assez simple: il suffit de lui promettre monts et merveilles. A la fin des années 1530, Jacques Cartier a tenté le coup avec François Ier: le navigateur malouin est alors de retour de son deuxième voyage au Canada (achevé en 1536), et le bilan de ses expédition­s n’est guère folichon – ce Nouveau Monde septentrio­nal n’ouvre aucun point de passage vers la Chine, il est rude, stérile, pauvre et mal habité: «Je pense que ceste terre est celle que Dieu donna à Cain», écrivait-il.

Mais Cartier a la bougeotte, il veut qu’on le laisse repartir, et il se persuade que ces terres nouvelles peuvent, si on les gratte assez longtemps, révéler un eldorado nordique. Face au roi, il conserve un dernier atout dans son jeu: Donnacona. C’est un Iroquois, que Cartier a ramené plus ou moins manu militari de Stadaconé, le village dont il était le chef, sur le site de l’actuel Québec. Or Donnacona connaît un secret: vers Hochelaga (aujourd’hui: Montréal) coule une rivière qui, si on la remonte, mène au

Royaume du Saguenay. Là, explique le chef, «il y a force villes & peuples, & bonnes gens & […] ilz ont grand quantité d’or & cuyvre rouge». Les yeux de François Ier brillent, il y a là matière à tailler des croupières aux Espagnols, Cartier pourra entamer un nouveau voyage.

Profusion de cadeaux

En 1541, il accoste les côtes canadienne­s pour la troisième fois. Donnacona n’est pas avec lui – il est mort deux ans plus tôt en France, loin des siens. Cartier arpente le golfe du Saint-Laurent, à la recherche d’un passage vers ce fameux royaume. Domagaya, le fils de Donnacona, lui indique qu’une rivière, la Pitchitaou­ichetz, le mènera jusque là-bas. Cartier rebaptise le cours d’eau en «Saguenay» (on a presque là une forme d’incantatio­n); il remue tout le coin de pays, mais il ne trouve pas la terre promise.

La déprime guette. Mais alors que l’explorateu­r se morfond dans son fort de Charlesbou­rg-Royal, là où la rivière du Cap-Rouge se jette dans le SaintLaure­nt, arrive un beau matin une cohorte d’Iroquois aux bras chargés de cadeaux. Ça brille – ça vient du coin, disent-ils. Cartier en est sûr: ces pépites et ces pierres sont les avant-goûts du Saguenay. En 1542, avec le sentiment du devoir accompli et celui de la gloire à venir, il rentre en France.

Pierres à feu

Mais il déchante vite: ce qu’on lui a fait prendre pour de l’or et des diamants ne s’avère être, après expertise, que de la pyrite et du quartz. Donnacona l’avait bien compris: quand on veut embobiner un explorateu­r, la méthode est assez simple – il suffit de lui promettre monts et merveilles, et pourquoi pas d’inventer un royaume.

Cartier ne s’en remettra jamais, et sa mésaventur­e deviendra très vite célèbre. Quelques années plus tard, le cosmograph­e d’Henri II, André Thevet (15161590), s’en fera déjà l’écho. Plus que célèbre, elle deviendra même proverbial­e: aujourd’hui encore, principale­ment en Bretagne et en Normandie, on a conservé l’habitude de dire d’un gros bobard qu’il est «faux comme un diamant du Canada». Donnacona, d’où qu’il soit enterré, en ricane encore.

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(AMIN LADHANI POUR LE TEMPS)

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