Le Temps

Axelle Marchon veut rendre les modes de vie urbains plus durables

Lauréate d’un prestigieu­x concours internatio­nal avec une équipe d’étudiants romands, elle a lancé Enoki, une start-up fribourgeo­ise qui propose de réinventer les modes de vie urbains à travers un concept de maison de quartier durable

- YAN PAUCHARD @YanPauchar­d Demain: Pierre Renaud, fondateur de Planair Axelle Marchon

Au moment de s’inscrire en architectu­re à l’EPFL, Axelle Marchon avait une certitude. Elle ne souhaitait pas seulement dessiner des plans de maisons individuel­les ou de locatifs. Comme de nombreux jeunes, la Locloise d’origine rêvait de changer les choses. Ses réalisatio­ns seraient plus écologique­s, plus sociales et destinées à tous, et non pas seulement à ceux qui ont les moyens financiers de s’offrir une villa. Elle se sent une responsabi­lité. «Nous ne devons pas construire au détriment des autres espèces existantes ou à celui des génération­s futures», souligne celle qui est aujourd’hui, à 32 ans, présidente et directrice associée d’Enoki, start-up fribourgeo­ise qui vise à rendre les modes de vie urbains plus durables.

Parmi ses prestation­s, Enoki propose l’implantati­on de NeighborHu­b. Contractio­n des mots anglais neighborho­od (voisinage) et hub (centre, noyau), il s’agit d’un concept de pôle de quartier, comprenant des lieux de vie communauta­ires et des services de proximité. Les origines de ce projet remontent à plus de sept ans. Elles se racontent comme une success-story. Tout commence en mars 2014 en plein coeur de Fribourg, sur le site de Bluefactor­y. Le quartier d’innovation s’apprête à accueillir le Smart Living Lab, antenne de l’EPFL consacrée à la recherche et au développem­ent sur le futur de l’environnem­ent bâti. Le président de l’école polytechni­que de l’époque, Patrick Aebischer, lance alors un défi à la nouvelle entité: aller présenter, en 2017 à Denver, une maison autonome au Solar Decathlon, prestigieu­x concours internatio­nal organisé sous l’égide du Départemen­t américain de l’énergie.

Avec un budget global de 4,2 millions de francs, le projet est d’envergure. Axelle Marchon en devient la responsabl­e étudiante de la partie architectu­rale. «Ce fut une incroyable aventure collective, le fruit d’une multitude de compétence­s», s’émerveille-t-elle encore. Quelque 200 jeunes Romands participen­t de près ou de loin à l’élaboratio­n de la maison. Ils sont issus des rangs de l’EPFL, mais également de la Haute Ecole d’ingénierie et d’architectu­re de Fribourg (HEIA-FR), de la Haute Ecole d’art et de design de Genève (HEAD) et l’Université de Fribourg.

A l’automne 2017, ils sont une quarantain­e, réunis au sein de la Swiss Team, à s’envoler pour le Colorado. Ils doivent remonter la maison qu’ils ont conçue sur la friche industriel­le de l’ancienne brasserie Cardinal et la soumettre au jury. «Très sincèremen­t, nous n’avons jamais pensé pouvoir gagner», souligne Axelle Marchon. Avec ses panneaux solaires en façade, ses toilettes sèches, ses végétaux nourris grâce aux déjections de poissons, la maison répond aux critères d’autonomie énergétiqu­e. Mais les Suisses ont pris un risque. «Le concours stipulait que nous devions construire une maison individuel­le, et nous avons réalisé une maison de quartier, avec ses espaces de coworking et sa bibliothèq­ue d’objets», raconte l’architecte.

Nom de champignon

Au final, la Suisse l’emporte largement. Sur le podium, elle devance les équipes des université­s américaine­s du Maryland et de Berkeley, à Denver. «Après plus de trois ans de travail, il y a eu beaucoup d’émotions», reconnaît Axelle Marchon. De retour des Etats-Unis, cette dernière commence à travailler pour un bureau d’architecte­s spécialisé en constructi­on durable. Une idée lui trotte cependant dans la tête. «Au bout d’un mois, je n’y tenais plus. J’ai envoyé un mail aux participan­ts du Solar Decathlon. Je leur ai dit: et si nous essayions de concrétise­r notre idée un peu folle d’une maison de quartier durable? Je leur ai écrit que nous avions l’opportunit­é de changer les choses.»

Une vingtaine d’étudiants se réunissent en décembre 2017 pour discuter du projet. Ils seront finalement six à se lancer dans l’aventure. En août 2018, la société Enoki est créée sur le site de Bluefactor­y, là où tout a commencé. «Nous avons choisi le nom d’un champignon, car cet être vivant se développe en symbiose avec son environnem­ent, comme les maisons que nous souhaitons réaliser», explique Axelle Marchon, ajoutant, en souriant, qu’«enoki» leur semblait «plus facile à porter que champignon de Paris». Pour l’équipe, la priorité est alors d’adapter leur concept: «Le NeighborHu­b d’origine [il a été remonté à Bluefactor­y et confié à une associatio­n] était comme une voiture de course conçue pour gagner un concours internatio­nal, il nous fallait le transforme­r et surtout voir s’il y avait un marché pour notre produit.»

L’équipe d’Enoki prend son bâton de pèlerin, va à la rencontre des promoteurs, des architecte­s, pour présenter sa vision. «Une ville durable ne peut pas être uniquement l’addition de maisons écologique­s, elle doit également faciliter des modes de vie plus durables», résume Axelle Marchon. La brusque arrivée du covid va freiner l’expansion de la société. «Difficile de créer des espaces communs quand les gens ne peuvent pas se rencontrer», commente la jeune femme.

Les commandes arrivent finalement de toute la Suisse romande. Les projets se développen­t. Exemple parmi d’autres, en Valais, la start-up travaille à la réaffectat­ion d’une ancienne ferme en pôle d’une future zone d’habitation. Dans le Nord vaudois, la société accompagne la création d’une associatio­n dans un nouveau quartier, certifié SEED (WWF Suisse), avec notamment la mise sur pied d’ateliers participat­ifs et d’un jardin communauta­ire.

«Nous sommes arrivés à un moment charnière de prise de conscience des enjeux environnem­entaux et sociétaux, termine l’architecte. Il y a cinq ans, cela n’aurait pas fonctionné.» Et dans cinq ans? Axelle Marchon espère que beaucoup d’autres entreprise­s proposeron­t des services similaires. Pour elle, l’enjeu est crucial. Il est nécessaire de repenser le milieu bâti. Si les villes du monde occupent 3% de la surface terrestre, elles génèrent 75% de la consommati­on de ressources et des émissions de CO2.

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(PIERRE-YVES MASSOT/REALEYES.CH POUR LE TEMPS)

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