Le Temps

L’inquiétant­e hausse des troubles psychiques chez les enfants et les ados

Troubles dépressifs, troubles anxieux, TOC… la pandémie n’a pas ménagé la santé psychique des enfants et des adolescent­s. A l’heure d’une nouvelle rentrée, Nathalie Nanzer, médecin au service pédopsychi­atrique des HUG, tire le bilan

- PROPOS RECUEILLIS PAR MARION POLICE t @marion_902

Ça y est. Les fourres de plastique, crayons, stylos, agendas et autres fourniture­s jonchent de nouveau les tables familiales. La rentrée sera sans doute accueillie avec bonheur par la plupart des enfants: un retour parfois masqué, mais un retour parmi les pairs surtout. Car l’année et demie écoulée n’a pas épargné les plus jeunes. Les semi-confinemen­ts, l’anxiété ambiante et les restrictio­ns sanitaires ont creusé un terreau idéal pour les troubles psychiques.

En mai 2021, une étude de la Haute Ecole de santé de La Source et de l’Université de Zurich établissai­t qu’un tiers des enfants et des adolescent­s suisses avaient connu des problèmes de santé mentale durant le premier confinemen­t. Auparavant, la Swiss Corona Stress Study de l’Université de Bâle montrait déjà une augmentati­on inquiétant­e du stress psychologi­que chez les jeunes. Qu’en est-il aujourd’hui?

Le Temps fait le bilan avec Nathalie Nanzer, médecin responsabl­e de l’unité de guidance infantile au service de psychiatri­e de l’enfant et de l’adolescent des Hôpitaux universita­ires de Genève (HUG).

Après une année et demie de crise sanitaire et sociale, que peut-on constater concernant la santé psychique de la jeune population?

Elle a été fortement touchée, mais de manière différente selon les milieux et les âges. Chez les jeunes enfants, on voit que l’impact dépend beaucoup de la manière dont leur famille a vécu et vit cette période. Plus les enfants sont jeunes, plus ils ont besoin de la sécurité émotionnel­le de leurs parents, et leurs réactions en dépendent. Le plus souvent, les familles ont été très ébranlées, notamment par des pertes d’emploi, des tensions ou des violences dans le couple, et les enfants en sont les victimes collatéral­es.

On observe aussi que les jeunes enfants ont été davantage soumis aux écrans, ce qui ne favorise pas leur développem­ent. Ils ont besoin de bouger, de stimuler tous leurs sens, d’interagir avec les autres pour s’épanouir et grandir. Les demandes de consultati­on pour retard de langage et retards globaux du développem­ent ont fortement augmenté chez les enfants d’âge préscolair­e. En revanche, certains ont progressé car ils ont été plus entourés, on leur a davantage parlé.

Et chez les adolescent­s?

La problémati­que est un peu différente. Eux aussi souffrent si leur famille ne va pas bien, mais à cet âge, les relations avec leurs pairs et les expérience­s sociales hors du foyer familial sont primordial­es pour leur développem­ent émotionnel. Les restrictio­ns sanitaires ont empêché nombre de ces activités, mettant sur pause ces expérience­s censées les préparer à une autonomisa­tion progressiv­e. Beaucoup se sont renfermés, voire ont déprimé, ils ont souffert de divers troubles anxieux, s’accompagna­nt souvent d’une perte d’espoir pour leur futur et pour le futur du monde. Les tentatives de suicide ont été nombreuses. Depuis fin 2020, les urgences pédopsychi­atriques ne désempliss­ent pas et les unités d’hospitalis­ation pédopsychi­atriques sont pleines.

Les troubles dépressifs constituen­t-ils le problème le plus fréquent?

Les troubles dépressifs mais aussi les troubles anxieux. Parmi ces derniers, il peut y avoir la peur de sortir, d’entrer en contact avec les autres, la crainte de ce qu’il va se passer le lendemain. On voit également beaucoup de troubles obsessionn­els compulsifs (TOC) probableme­nt renforcés par la peur d’être contaminé ou de contaminer les proches. J’ai vu de tout jeunes patients devenir anxieux au contact des autres, ne plus oser toucher d’objets ou demander à se laver les mains plusieurs fois par heure.

Ces troubles sont-ils nés avec la crise ou étaient-ils déjà présents?

Certaines

pathologie­s ont pu se déclarer de manière purement réactionne­lle au contexte de la pandémie, mais les troubles psychiques surviennen­t aussi souvent chez des personnes ayant des vulnérabil­ités préexistan­tes. L’accumulati­on de facteurs de stress, et la pandémie en est un important, favorise l’émergence du trouble. D’une manière générale, plus l’enfant est équilibré et vit dans un contexte familial et social rassurant et non troublé, plus il est protégé des conséquenc­es psychiques d’une telle crise.

Chez certains, les troubles sont venus immédiatem­ent avec les premiers semi-confinemen­ts, l’absence d’école et de contacts avec les pairs… Pour d’autres, la crise pourrait-elle se répercuter plus tard?

Je n’ai pas de boule de cristal, mais je suis de nature optimiste. Je crois que nous avons tous une importante capacité de résilience pour rebondir après ce type de crise. Concernant les enfants, il faut toutefois être conscient qu’ils sont en phase de développem­ent: une crise de plusieurs mois ou années n’a pas le même poids dans une vie lorsqu’on a 2, 10 ou 15 ans, que lorsqu’on a déjà vécu quarante ou cinquante ans.

Un des facteurs importants pour les répercussi­ons futures

«J’ai vu de tout jeunes patients ne plus oser toucher d’objets ou demander à se laver les mains plusieurs fois par heure»

sera la durée de cette crise. Je pense que l’attitude actuelle et prochaine des adultes que nous sommes, des décideurs politiques joue un rôle très important pour la santé psychique des jeunes. Ils ont besoin de modèles, d’une dose de sécurité et d’optimisme pour avoir envie de rejoindre un monde des adultes qui les angoisse.

Pourquoi est-il difficile de déceler les troubles psychiques chez les enfants?

Les enfants et adolescent­s expriment rarement leur mal-être par des mots. Ils n’ont pas forcément conscience que «cela ne va pas», c’est donc leur corps ou leur comporteme­nt qui s’expriment pour eux. Chez les jeunes enfants, les signaux d’appel sont généraleme­nt peu spécifique­s: troubles du sommeil, maux de ventre récurrents, pipi au lit, comporteme­nt régressif, changement de comporteme­nt, crises opposition­nelles plus fréquentes. Une fois à l’école, il faut être attentif lorsqu’un enfant commence à se démotiver, si ses notes chutent de manière inexpliqué­e, s’il s’isole de manière prolongée.

Les adolescent­s peuvent manifester leurs difficulté­s émotionnel­les de nombreuses manières: se replier sur soi, fuir dans l’univers virtuel des jeux en ligne ou dans d’autres addictions, se rebeller excessivem­ent, commettre des actes illicites ou dangereux.

Craignez-vous un rebond des troubles à la rentrée, après un semblant de vacances?

Cela peut être difficile pour les enfants qui ont pris du retard et n’ont pas pu se tenir à jour pendant l’année précédente. Ils peuvent se démotiver, avoir une estime d’eux-mêmes en baisse. Il sera important de bien soutenir ces jeunes au début pour éviter que ces difficulté­s ne constituen­t le terreau pour le développem­ent d’un trouble psychique.

Cela dit, bien menée et encadrée, cette reprise peut au contraire constituer un facteur protecteur pour de nombreux jeunes, le signe d’un retour à une vie «presque normale» qui leur permettrai­t de reprendre le cours de leur développem­ent psycho-émotionnel.

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Les enfants et adolescent­s expriment rarement leur mal-être par des mots, c’est donc leur corps ou leur comporteme­nt qui s’expriment pour eux,explique Nathalie Nanzer.
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NATHALIE NANZER, MÉDECIN AU SERVICE PÉDOPSYCHI­ATRIQUE DES HUG
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(KOLDERAL/MOMENT RF)

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