Au skatepark, éloge de la cohabitation
Le «bowl» de Vidy-Lausanne réunit des moins de 10 ans et des quadragénaires, ainsi que des adeptes de skateboard, de rollers ou de trottinette. Il faut oser y faire sa place, mais la famille ne demande en fait qu’à s’agrandir
Dans les années 1990, il n’y en avait que pour les rollers, puis sont arrivés les skates. Aujourd’hui, on voit quelques BMX mais c’est bien la trottinette qui a la plus grosse cote. Bienvenue au skatepark de Vidy-Lausanne qui attire aussi bien des enfants de moins de 10 ans que des quadragénaires. Ici, il faut oser faire sa place, mais la famille ne demande en fait qu’à s’agrandir.
Les riders de Vidy disent qu'il s'agit de «la dernière méga rampe en libre accès dans tout le pays». Elle impressionne par sa taille, son inclinaison et la liste des légendes qui s'y sont illustrées, dont un certain Tony Hawk. Mais elle commence à fatiguer sous le poids des années, alors la question se pose: faut-il la rénover, l'élargir peut-être, ou la raser au profit d'une zone dite de «street», avec des éléments reproduisant le mobilier urbain, disposés à plat?
L'opinion de Greg, membre de l'équipe de Suisse de skateboard passé près d'une qualification pour les Jeux de Tokyo, est sans appel: «Il s'agit de la dernière courbe verticale à disposition dans la région, du seul élément qui permet aux gars comme moi de vraiment s'entraîner. Aujourd'hui, notre sport est olympique. On doit certes proposer des infrastructures adaptées aux débutants mais aussi d'autres qui sont susceptibles de faire monter le niveau.»
Fluidifier le trafic
Le truc, c'est que les kids sont de plus en plus nombreux à s'éclater dans le coin. Juste à côté, le bowl – un élément de skatepark en cuvette – ne désemplit pas, et rares sont les téméraires qui visitent la vieille rampe. Le dilemme est tel qu'un sondage est actuellement mené auprès des utilisateurs des lieux pour nourrir le processus de décision. «Je n'ose pas consulter l'évolution des votes», sourit Danny (28 ans), connu pour ses dreadlocks autant que pour ce qu'il envoie sur sa planche. La population des parks a bien changé. Dans les années 1990, il n'y en avait que pour les rollers, puis sont arrivés les skates. Aujourd'hui, on voit quelques BMX mais c'est bien la trottinette qui a la plus grosse cote. «Au début, ce n'était que pour les bouffons et les enfants, s'amuse Lorris. Mais les petits ont grandi, ils ont continué et la trott' a pris sa place dans le milieu. Aujourd'hui, à Vidy en tout cas, tous les engins cohabitent sans problème.»
Cet adepte de BMX freestyle travaille à 80% pour La Fièvre, une association qui gère sur mandat de la ville de Lausanne le skatepark de Sévelin, pas loin du centre, et tient une roulotte à Vidy. On y vend des boissons, loue du matériel et propose des cours. Surtout, on est là pour fluidifier le trafic, au propre comme au figuré, de ce grand carrefour que constitue le bowl.
Posté en haut des gradins d'où il a une vue d'ensemble, le profane ne distingue qu'une pagaille de trajectoires. Il s'étonne de l'âge des benjamins, autour des 6 ans, autant que de celui des aînés, la quarantaine passée. Et il redoute l'accident, qui semble guetter sans jamais frapper. «Ah, si, il peut y avoir des collisions, sourit Lorris. Souvent, elles impliquent des enfants car avant 10-11 ans, certains sont peu attentifs à ce que font les autres. Mais cela reste rare.»
A y regarder plus attentivement, le ballet des skates et autres trottinettes est très organisé. Chaque groupe s'en tient à une même ligne, empruntée tour à tour par ceux qui le souhaitent, de sorte que tout le monde sait où les autres vont passer. L'usage veut que n'importe qui puisse s'insérer dans le manège. Dans la pratique, il faut se faire sa place dans un univers «qui peut être intimidant au début», nous dit-on.
Lorris se souvient de ses débuts: «Quand des gars forts arrivaient, cela mettait fin à ma session, direct.» Sentiment éprouvé par tous les débutants, pense-t-il. «Actuellement, il y a un groupe de trott' qui vient régulièrement déchirer le bowl, comme on dit. Très vite, tous les autres se retrouvent spectateurs…» C'est que les moins aguerris veulent apprendre en observant. Et éviter de s'afficher, aussi.
Les cracks sont conscients que quand ils débarquent, les novices se cachent. Alors ils évitent de venir à certains moments où le skatepark se fait plus familial, notamment les samedis et dimanches après-midi. Et certains tentent autant que possible d'intégrer les débutants dans la communauté. «Si l'on veut que la scène progresse, il n'y a pas de miracle, sourit Danny. Il faut enseigner le plus vite possible aux petits ce qu'on a appris à faire, pour qu'ils puissent ensuite nous dépasser. Moi, j'applaudis, j'encourage, je conseille sur la position du corps.» Il rigole en s'entendant dire qu'il joue un rôle de coach. Mais c'est un peu ça quand même.
«Beaucoup de potes»
Les utilisateurs de toutes les générations se saluent, s'interpellent. «En venant au skatepark, tu rencontres beaucoup de gens, tu te fais beaucoup de potes», confirme Luca (19 ans) qui effectue six mois de service civil au sein de La Fièvre.
«La famille va bien au-delà de chez toi, enchaîne Danny. Tu sais qu'en pratiquant le skate, tu t'intégreras facilement que tu ailles n'importe où, de Zurich à Lugano.» Des pèlerinages réguliers. «On est prêt à faire pas mal d'heures de route pour aller découvrir de nouvelles installations», valide-t-il.
A Vidy, le bowl a été creusé en 2008 et n'a plus bougé depuis. Les graffitis qu'il arbore lui donnent du caractère mais il n'est plus trop au goût du jour avec ses longues lignes et son manque de nervosité. «Si tout était rasé et reconstruit à neuf, je ne m'en plaindrais pas», lance Danny. «C'est assez plat donc il est difficile de s'envoler, mais pour passer un après-midi à rigoler, c'est parfait», nuance Greg, en s'apprêtant à s'élancer. A peine dans la cuvette, tous les regards des kids sont déjà braqués sur lui.
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LES CRACKS SONT CONSCIENTS QUE QUAND ILS DÉBARQUENT, LES NOVICES SE CACHENT