Le Temps

La crainte d’un nouvel exode des Afghans

Les nouveaux maîtres de Kaboul ont assuré mardi que le pays ne servirait pas de havre pour des groupes terroriste­s et que les femmes auraient une place «dans le cadre des lois islamiques»

- FILIPPO ROSSI, ISTANBUL @Filippo_Rossi90

Avant la chute de Kaboul, quelque 2,6 millions d’Afghans étaient déjà réfugiés dans différents pays, résultat des guerres successive­s en Afghanista­n. Auxquels s’ajoutent aujourd’hui ceux qui tentent de fuir le retour au pouvoir des talibans

Pour le président allemand, Frank-Walter Steinmeier, «les images de désespoir à l’aéroport de Kaboul sont une honte pour l’Occident politique»; et l’ONU appelle les Etats d’accueil à cesser les renvois forcés vers l’Afghanista­n, même en cas de refus d’asile

Tandis que l’Europe s’inquiète ouvertemen­t d’un nouvel afflux d’exilés et tente de convaincre l’Asie de les accueillir, les Etats-Unis multiplien­t les tracasseri­es administra­tives à l’égard des 300000 Afghans qui, pour les avoir aidés, veulent désormais s’enfuir

C’était une prise de parole très attendue. Mardi, les représenta­nts talibans ont tenu leur première conférence de presse, deux jours après leur entrée victorieus­e à Kaboul. Le mouvement, poussé dans la clandestin­ité depuis vingt ans, n’avait pas pour habitude de révéler les visages de ses hommes. Dont celui de son porte-parole, Zabihullah Mujahid.

L’homme a bien sûr célébré l’avènement de l’émirat islamique d’Afghanista­n et la libération face à l’occupation étrangère. Mais le véritable but de la manoeuvre était ailleurs. Il s’agissait avant tout de rassurer le monde extérieur quant à la nature du nouveau pouvoir. A commencer par la place qu’occuperont les femmes dans la société qu’il entend bâtir. «Les femmes pourront travailler partout et participer au gouverneme­nt, mais dans le cadre d’un régime de loi islamique. Nous sommes en train de travailler sur cette question», a indiqué Zabihullah Mujahid sans préciser ce à quoi les Afghanes auront désormais le droit d’aspirer.

Amnistie générale

L’homme a dressé le nouveau cadre de travail des journalist­es présents dans la salle: «Les médias pourront rester libres et indépendan­ts et pourront nous critiquer. Mais ils devront suivre des valeurs et règles islamiques. Ils ne devront pas oeuvrer contre nous. Ils ne devront surtout pas parler des divisions ethniques entre Afghans et ne suivre aucun agenda.»

Une amnistie générale est enfin à l’ordre du jour, selon le porte-parole. Il a réitéré ce que les dirigeants talibans avaient déjà annoncé plus tôt dans la journée: toute personne qui a collaboré avec les étrangers ou a travaillé pour le gouverneme­nt en bénéficier­a, sans crainte de subir une vengeance. Quant à ce que les Occidentau­x redoutent le plus, à savoir que l’Afghanista­n redevienne une terre de djihadiste­s ayant l’intention de commettre des attentats à l’étranger, le message se veut aussi rassurant. «Le sol afghan ne sera pas utilisé contre qui que ce soit.»

Qui siégera au sein du gouverneme­nt? Le représenta­nt a évoqué un projet faisant en ce moment l’objet de pourparler­s à Kandahar, la capitale historique du pays dont les Afghans disent que «celui qui la contrôle, contrôle l’Afghanista­n». Le mollah Abdul Ghani Baradar, cofondateu­r du mouvement aux côtés du mollah Omar, y est arrivé mardi à son retour au pays après vingt ans d’exil. «Nous aurons un nouveau gouverneme­nt inclusif de tous les partis et de tous les groupes éthiques, y compris avec des femmes, a assuré Zabihullah Mujahid. Mais il devra être islamique.» Sa compositio­n, son nom, de même que le drapeau qui fera office d’emblème national sont, à l’en croire, toujours en discussion.

«Ils mentent»

Le contraste est frappant. D’un côté, des paroles montrant une certaine ouverture. De l’autre, les craintes de plus en plus répandues parmi de nombreux Afghans. Alors que les talibans affirment que les femmes auront un rôle à jouer, de nombreux témoignage­s font état de familles dont les filles ont été mariées de force ou de discrimina­tions pour emprunter les transports publics. Une ancienne journalist­e, qui préfère rester anonyme, se méfie: «Il ne faut pas les croire. Ils mentent.»

Alors que la conférence de presse se déroulait, à quelques kilomètres de là, les évacuation­s se poursuivai­ent à l’aéroport. Après les scènes de chaos vécues lundi, les rotations ont pu reprendre mardi. Dans les rues de la capitale, les miliciens patrouilla­ient le long d’échoppes aux devantures le plus souvent fermées. La normalisat­ion souhaitée par les nouveaux maîtres de la ville n’est encore que très balbutiant­e. R., une jeune femme qui attendait de quitter le pays depuis dimanche en craignant pour sa vie, ne souhaite pas en voir plus. Elle a appris mardi qu’elle serait évacuée dans la soirée: «C’est le moment le plus tragique de ma vie. Mon coeur est brisé. Partir n’a jamais été si dur.»

 ??  ??
 ??  ?? Ce cliché devenu viral montre environ 640 Afghans entassés dans un Boeing C-17 de l’US Air Force, certains s’y étant engouffrés au dernier
Ce cliché devenu viral montre environ 640 Afghans entassés dans un Boeing C-17 de l’US Air Force, certains s’y étant engouffrés au dernier
 ?? (JAVED TANVEER) ??
(JAVED TANVEER)
 ?? (JANET LAWRENCE/REUTERS) ?? moment.
(JANET LAWRENCE/REUTERS) moment.

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland