Combien d’Afghans ayant aidé les Américains seront abandonnés?
La procédure pour obtenir un visa pour les Etats-Unis s’avère fastidieuse. Washington compte sur la bonne volonté de certains pays pour accueillir provisoirement des Afghans qui ont travaillé pour eux
«Depuis que les insurgés sont arrivés, je ne dors pas une seule minute.» Interrogé par un journaliste de la radio NPR, «Reggie», qui a travaillé pendant neuf ans comme interprète pour l’armée américaine en Afghanistan, raconte la peur ressentie par des milliers d’entre eux. Près de 80000 interprètes, auxiliaires, chauffeurs ou encore cuisiniers afghans et leurs familles, soit environ 300000 personnes au total, craignent désormais des représailles des talibans. Et attendent désespérément un visa spécial pour les Etats-Unis. Or même dans une situation d’urgence, des tracasseries administratives demeurent. Seuls quelques milliers d’entre eux ont déjà pu être évacués et trouver refuge sur sol américain, dont 2000 arrivés récemment, d’abord accueillis sur une base militaire de Virginie.
L’appel de George W. Bush
Depuis Kaboul, «Reggie», qui souffre des séquelles d’un attentat-suicide, dit craindre que les talibans ne découvrent des photos de lui avec des soldats américains. Il fait partie des près de 75000 Afghans qui ont déclenché une procédure en 14 étapes pour obtenir un «visa d’immigrant spécial» pour les Etats-Unis, programme pour la première fois approuvé par le Congrès en 2006. Selon l’organisation No One Left Behind, les démarches sont fastidieuses et peuvent prendre jusqu’à trois ans. Plusieurs centaines d’Afghans qui ont travaillé pour les forces occidentales dès 2002 auraient déjà été tués. En tout, 34500 visas spéciaux ont été délivrés et 18000 sont en attente, fait savoir le New York Times. Certains avaient déposé une demande il y a dix ans.
La colère et la frustration grondent. Et c’est avec désespoir que des Afghans constatent, dans le chaos qui prévaut à l’aéroport de Kaboul, que des chiens de service américains ont été évacués avec le personnel diplomatique et humanitaire, mais pas eux. Combien ne parviendront pas à obtenir une protection des Américains à temps? Mardi, la situation s’est dégradée: des talibans cherchent à entraver le départ d’Afghans. Désormais, même l’ex-président George W. Bush, à l’origine de l’envoi des troupes américaines en Afghanistan, donne de la voix pour accélérer les procédures. «Les Afghans les plus menacés aujourd’hui sont ceux-là mêmes qui ont été à l’avant-garde du progrès dans leur pays», écrit-il, mardi, dans un communiqué. «Nous devons avoir la responsabilité et les moyens de leur assurer une sortie sûre dès maintenant, sans délai bureaucratique.»
Pour prétendre à un visa spécial, ces Afghans doivent avoir travaillé pendant au moins deux ans pour le gouvernement américain ou une entité affiliée, bénéficier d’une recommandation pour bons et loyaux services et prouver qu’ils sont menacés parce qu’ils ont aidé les Etats-Unis. Dans son adresse à la nation, le président Biden a bien évoqué la situation de ces Afghans lundi, en assurant que des solutions sont en passe d’être trouvées. Mais sans montrer beaucoup d’empathie. D’anciens soldats américains dénoncent la mise en place tardive d’une cellule de crise ad hoc et multiplient les efforts pour tenter d’accélérer les procédures. Or c’est le Secrétariat d’Etat qui délivre les visas, pas le Pentagone.
Dans ce chaos, des solutions provisoires sont à l’étude. Après l’Albanie et le Kosovo dimanche, c’est la Macédoine du Nord qui a déclaré, mardi, être prête à accueillir 450 Afghans, en attendant qu’ils obtiennent le feu vert pour les Etats-Unis. L’Ouganda a également répondu favorablement à une requête américaine urgente, pour plusieurs centaines d’Afghans. Selon le Pentagone, environ 700 Afghans qui ont travaillé pour les Américains ont été évacués depuis dimanche. Alors que d’autres pays occidentaux entreprennent des démarches similaires, le Département américain de la défense espère en évacuer 5000 par jour d’ici à la fin de la semaine. Mais le temps presse. Et le difficile accès à l’aéroport ainsi que le départ du personnel diplomatique et consulaire ne fait que compliquer encore davantage ces évacuations.
■