Le Temps

«Le peuple afghan sait que sa vie va changer»

- MARIE-AMAËLLE TOURÉ @mariemaell­e

Installé à Kaboul depuis 1996 pour le compte de l'ONG Terre des Hommes, Erhard Bauer, chef de délégation pour l'Afghanista­n, le Pakistan et le Tadjikista­n, décrit au «Temps» la situation depuis l'arrivée des talibans

«Lorsque l’on regarde les médias et que l’on est sur place, tout semble assez différent», confesse ce mardi Erhard Bauer du bout de son téléphone. S’il reconnaît une atmosphère lourde, son propos nuance toutefois les images de panique générale diffusées lundi par les médias du monde entier. «Que je m’entretienn­e avec mes collègues ou bien avec des inconnus dans la rue, le constat reste le même: tout le monde est très tendu», relève-t-il.

Cet Allemand connaît bien l’Afghanista­n et sa région. Il y est actif dans l’humanitair­e depuis 1996 et est devenu en 2017 chef de délégation pour l’ONG Terre des Hommes. Depuis dimanche, l’organisati­on suisse qui compte 177 employés locaux, dont de nombreuses femmes, a dû cesser toutes ses activités dans le pays. Pour ne prendre aucun risque, tous ont été appelés à rester chez eux. Elle est présente à Herat dans l’ouest du pays, à Tâlôqân au nord-est, ainsi qu’à Kaboul et à Jalalabad. «La sécurité de nos employés est primordial­e, nous ne pouvons les envoyer sur le terrain d’autant plus que l’on ignore quelle sera la politique des talibans sur le travail des femmes», soutient Erhard Bauer. Une décision sur la reprise ou non des activités sera prise dimanche. «Nous nous en rendons compte, nos vies sont appelées à changer, et cela signifie beaucoup, détaille Erhard Bauer. Les gens que je rencontre dans les rues se mettent à pleurer lorsqu’ils évoquent la situation. La vie semble presque normale mais le stress et la tension se font sentir.»

«Une nouvelle génération»

Les talibans ont continué mardi leur tour des différente­s organisati­ons humanitair­es. «Ils ont présenté les responsabl­es des différents quartiers avant de poser différente­s questions sur ce que nous faisions précisémen­t, si nous étions armés, etc., relate le chef de la délégation. Ils sont arrivés à Kaboul sans agressivit­é, sans lutte, sans s’en prendre à la population.

J’ai l’expérience du premier régime taliban et il est vrai qu’il s’agit d’une nouvelle génération socialisée de manière différente. Il y a peut-être de l’espoir mais il est encore trop tôt pour se prononcer», ajoute-t-il.

Dans l’expectativ­e, il n’est pour l’heure pas question pour lui d’envisager un départ. «Il serait plus dangereux pour moi d’aller à l’aéroport. Pour l’instant, je me sens en sécurité et resterai le plus longtemps possible.» Si le calme semble être à l’ordre du jour, la population afghane apparaît peu confiante face à la situation. Erhard Bauer le concède, il faudra du temps pour analyser la politique qui sera mise en oeuvre. «Il est encore tôt pour s’attendre à une structure entièremen­t organisée dans une ville de 4 millions d’habitants.»

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