Bâle, toujours plus verte et ambitieuse
La candidature de la ville-canton au Prix européen de la capitale verte rencontre un certain scepticisme. Aux yeux des spécialistes en politiques climatiques, ce type de démarche est néanmoins utile pour susciter l’adhésion de la population
Bâle veut devenir la capitale verte de l’Europe en 2025. C’est du moins l’ambition affichée par le président du gouvernement cantonal de Bâle-Ville, Beat Jans, qui a annoncé au milieu de l’été la candidature de la cité rhénane au European Green Capital Award, une distinction décernée par la Commission européenne aux villes qui mènent des politiques particulièrement durables.
L’accusation de «greenwashing» n’a pas tardé à surgir, mais pas forcément d’où on pourrait l’attendre: des rangs de l’UDC bâloise, qui reproche au ministre ses contradictions. Une ville qui projette de déraciner 17 arbres pour construire un nouvel arrêt de bus peut-elle prétendre à l’exemplarité? Et que dire du projet de ligne aérienne directe avec Shanghai, voulu par le canton?
Susciter la sympathie
«Notre société se développe et nous aurons toujours des situations contradictoires, c’est inévitable. Cela ne doit pas nous empêcher d’avoir des ambitions», défend Beat Jans. Le socialiste, qui a siégé dix ans au Conseil national notamment au sein de la Commission pour l’énergie, et a travaillé à Pro Natura, s’est profilé sur les questions environnementales durant la campagne qui l’a mené au conseil d’Etat bâlois.
Cette candidature représente aussi pour Bâle, qui partage ses frontières avec l’Allemagne et la France, un projet de politique extérieure: «Nous avons un problème avec l’Europe. Dans ce contexte, c’est une bonne chose que des villes, en Suisse, renforcent les contacts avec nos voisins au moyen de projets positifs, suscitant la sympathie», souligne le conseiller d’Etat.
Mais le ministre assure qu’il ne s’agit pas seulement d’une affaire de prestige: le canton compte investir 5 millions pour de nouvelles mesures de protection du climat liées à cette candidature. Elles seront soumises au vote du parlement en 2022. La candidature elle-même coûte 300000 francs. Elle implique aussi de réaliser un bilan de ce qui a été fait jusqu’ici et d’identifier les domaines à améliorer. Dans le cas de Bâle: «La mobilité électrique et le tri des déchets, en particulier le compost, ainsi que la lutte contre le littering», souligne Beat Jans.
Cette candidature vise enfin à motiver les entreprises et les citoyens à adopter des modes de vie plus durables. «Je sens chez de nombreux employeurs la volonté d’en faire davantage. Ils reconnaissent que la durabilité est un investissement pour l’avenir et qui contribue à faire de Bâle un lieu attractif sur le plan international», relève le socialiste.
Lancer une dynamique
«L’échec de la loi CO2 laisse un vide: il n’y a pas de cadre légal pour les politiques climatiques. Dans ce contexte, les villes ont un rôle de premier plan à jouer», souligne Romano Wyss, du laboratoire Herus de l’EPFL. Pour le spécialiste, de telles distinctions sont utiles surtout pour lancer une dynamique politique favorable au climat. «On sait qu’avec le réchauffement climatique, il faut avancer vite. Mais pas trop vite non plus, car on risque l’échec, comme le montre le rejet de la loi CO2. La possibilité de trouver des accords avec la population et certains acteurs économiques clés est centrale pour la réussite d’une politique climatique.»
Ce n’est pas la première fois que Bâle se profile sur le thème de la durabilité. En 2019, dans la foulée des grands rassemblements pour le climat, le grand conseil de Bâle-Ville approuvait une résolution proclamant «l’urgence climatique», soutenue par l’ensemble des partis sauf l’UDC, et dans laquelle le Grand Conseil s’engage à reconnaître le changement climatique comme une «priorité absolue». Une décision avant tout symbolique, mais qui témoigne d’une volonté politique de porter davantage d’attention à l’environnement sur les bords du Rhin.
En 2020, le gouvernement bâlois annonçait un investissement de 11 millions de francs d’ici à 2025 pour installer 200 nouvelles stations de charge sur le territoire.
Trop peu, estime la Commission pour l’environnement du parlement, créée en 2020, qui a proposé de monter à 4000 le nombre de bornes. Une idée validée par le parlement au printemps dernier.
En 2017, le canton de Bâle-Ville a mis en oeuvre une loi énergétique présentée aujourd’hui comme un modèle. Elle vise le remplacement de l’ensemble des chauffages au pétrole ou au gaz par des sources d’énergie renouvelable en soumettant les nouvelles installations à une obligation de déclaration. S’il existe une solution renouvelable moins chère ou équivalente, le chauffage à l’énergie fossile est exclu. Et, avec les subventions de la ville, les coûts supplémentaires d’une telle transition sont quasiment éliminés.
«Depuis que cette loi est entrée en vigueur, la transition vers des installations renouvelables a connu une accélération: elles représentent 90% des nouveaux chauffages, des valeurs qu’aucune autre ville n’atteint», affirme Reto Rigassi, consultant pour l’association Cité de l’énergie. «Bâle a un rôle de pionnière, car elle ne se contente pas de se fixer des objectifs, mais sait aussi trouver des moyens pour les atteindre, au quotidien, en impliquant les gens. On n’arriverait à rien s’il n’y avait pas une conscience écologique au sein de la population.»
A en croire plusieurs votations récentes, la population se montre plutôt favorable à davantage de mesures pour le climat. C’est à Bâle-Ville que la loi sur le CO2 a été acceptée le plus nettement, le 13 juin dernier. Les citoyens bâlois ont aussi accepté en 2020 une loi limitant le trafic motorisé, qui vise la fin des voitures à essence d’ici trente ans.
Des penchants écologistes liés à l’histoire de la ville rhénane: Bâle a vu la naissance du mouvement antinucléaire dans les années 1970, avec l’occupation du site de Kaiseraugst dans l’agglomération bâloise. Des images qui ont laissé des traces dans les esprits, tout comme l’accident chimique de Schweizerhalle, dans les années 1980.
Pas un but, mais un moyen
«Bâle attire des gens sensibles à l’environnement», relève Anouk Feurer, coprésidente de l’alliance des Jeunes Verts du Nord-Ouest et activiste au sein du mouvement de la Grève pour le climat. Que pense la nouvelle génération écologiste des ambitions affichées par le gouvernement local? «Ce prix est une bonne chose, mais uniquement s’il est utilisé comme un moyen et non comme un but en soi. Bâle-Ville se targue souvent d’avoir une longueur d’avance par rapport aux autres cantons. Mais avec la publication du dernier rapport du GIEC, on voit bien que même nos ambitions actuelles ne suffisent pas», relève la militante.
L’organisation de la Grève du climat vise la neutralité carbone en 2030 – contre 2050 pour la Confédération – et a rassemblé son propre catalogue d’idées «afin de faire de Bâle un modèle». Pour n’en citer que quelques-unes: réduction des places de parc et création de pôles de mobilité avec vélos en libre-service et stations de charge pour voitures électriques. Amélioration des pistes cyclables. Journées sans voitures. Ou encore une «offensive de panneaux solaires» sur toutes les surfaces des bâtiments publics.
Le mouvement participe actuellement à des discussions avec le gouvernement bâlois pour «réfléchir à de meilleures politiques environnementales au-delà des querelles partisanes», souligne encore Anouk Feurer. Mais, ajoute-t-elle: «Bâle ne peut pas résoudre le problème seule, il faut que l’ensemble de la Suisse suive la même dynamique. Si nous attendons trop, la carotte ne suffira pas, il faudra des décisions plus radicales.»
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«On n’arriverait à rien s’il n’y avait pas une conscience écologique au sein de la population» RETO RIGASSI, CONSULTANT POUR L’ASSOCIATION CITÉ DE L’ÉNERGIE