Elles se sont tant aimées
La maladie sépare deux femmes secrètement amoureuses depuis des décennies dans «Deux», un madrigal d’une délicatesse bouleversante
Le cauchemar enfantin qui prélude à Deux anticipe une tragédie du crépuscule. Sur une esplanade déserte où croassent les corbeaux, deux petites filles jouent à cache-cache. L’une des deux se volatilise, laissant l’autre en plein désarroi. Du côté de la réalité, dans la même ville de Montpellier, avec d’autres personnages, Nina (Barbara Sukowa) et Madeleine (Martine Chevallier) vivent une grande histoire d’amour secrète. Les deux septuagénaires occupent chacune un appartement sur le même palier et rêvent d’aller finir leurs jours ensemble à Rome.
Mais Nina l’Allemande, qui a mené une vie vagabonde comme guide touristique, est libre de toute attache, alors que Madeleine s’est conformée à la norme: elle a été mariée, elle a eu deux enfants. Elle doit leur dire la vérité. Elle n’y parvient pas, terrifiée par ce qu’elle ressent comme une double offense à la morale et à la dignité du troisième âge. L’impétueuse Nina se fâche. Peu après Mado fait une attaque et lui échappe.
Pour Anne et Frédéric, les enfants, pour l’aide soignante désagréable,
Nina n’est qu’une voisine, sympathique, dévouée mais intrusive. Ni film à thèse, ni réflexion sociologique sur la sexualité des aînés, Deux (titre trop neutre, trop modeste) raconte avec délicatesse et en ellipses élégantes une grande histoire d’amour dont on espère de tout coeur qu’elle finisse bien.
Chanson italienne
Quand, prise de soupçon, Anne (Léa Drucker) feuillette les albums photos pour trouver la preuve du faux pas sentimental de sa mère, elle ne tombe pas sur quelque cliché scandaleux apte à choquer le bourgeois. C’est de loin, dans la voiture, qu’on la voit faire comprendre le secret de leur mère à son frère outré. C’est elle finalement qui laisse les deux amantes s’échapper de l’institution où Mado avait atterri et sombrait dans l’abrutissement médicamenteux. Lorsque Nina, qui a la clé de l’appartement de Mado, s’introduit nuitamment, tel un fantôme, pour contempler l’être aimé perdu dans son absence mentale, on glisse du côté du conte dans lequel un prince charmant viendrait subrepticement veiller sur le sommeil de la princesse. Que ce soit deux femmes âgées ne change rien: le sentiment amoureux est tout aussi intense, tout aussi sacré. Premier film de Filippo Meneghetti, Deux est trop gracieux pour asséner un happy end triomphateur. Il donne juste à écouter le vent dans les platanes, à voir un sourire retrouvé, une larme au coin des yeux, à partager une danse légère, pieds nus sur une chanson italienne.
■ Deux, de Filippo Meneghetti (France, 2021), avec Barbara Sukowa, Martine Chevallier, Léa Drucker, 1h36.
Elle doit leur dire la vérité. Elle n’y parvient pas