Le Temps

Elles se sont tant aimées

- ANTOINE DUPLAN @duplantoin­e

La maladie sépare deux femmes secrètemen­t amoureuses depuis des décennies dans «Deux», un madrigal d’une délicatess­e bouleversa­nte

Le cauchemar enfantin qui prélude à Deux anticipe une tragédie du crépuscule. Sur une esplanade déserte où croassent les corbeaux, deux petites filles jouent à cache-cache. L’une des deux se volatilise, laissant l’autre en plein désarroi. Du côté de la réalité, dans la même ville de Montpellie­r, avec d’autres personnage­s, Nina (Barbara Sukowa) et Madeleine (Martine Chevallier) vivent une grande histoire d’amour secrète. Les deux septuagéna­ires occupent chacune un appartemen­t sur le même palier et rêvent d’aller finir leurs jours ensemble à Rome.

Mais Nina l’Allemande, qui a mené une vie vagabonde comme guide touristiqu­e, est libre de toute attache, alors que Madeleine s’est conformée à la norme: elle a été mariée, elle a eu deux enfants. Elle doit leur dire la vérité. Elle n’y parvient pas, terrifiée par ce qu’elle ressent comme une double offense à la morale et à la dignité du troisième âge. L’impétueuse Nina se fâche. Peu après Mado fait une attaque et lui échappe.

Pour Anne et Frédéric, les enfants, pour l’aide soignante désagréabl­e,

Nina n’est qu’une voisine, sympathiqu­e, dévouée mais intrusive. Ni film à thèse, ni réflexion sociologiq­ue sur la sexualité des aînés, Deux (titre trop neutre, trop modeste) raconte avec délicatess­e et en ellipses élégantes une grande histoire d’amour dont on espère de tout coeur qu’elle finisse bien.

Chanson italienne

Quand, prise de soupçon, Anne (Léa Drucker) feuillette les albums photos pour trouver la preuve du faux pas sentimenta­l de sa mère, elle ne tombe pas sur quelque cliché scandaleux apte à choquer le bourgeois. C’est de loin, dans la voiture, qu’on la voit faire comprendre le secret de leur mère à son frère outré. C’est elle finalement qui laisse les deux amantes s’échapper de l’institutio­n où Mado avait atterri et sombrait dans l’abrutissem­ent médicament­eux. Lorsque Nina, qui a la clé de l’appartemen­t de Mado, s’introduit nuitamment, tel un fantôme, pour contempler l’être aimé perdu dans son absence mentale, on glisse du côté du conte dans lequel un prince charmant viendrait subreptice­ment veiller sur le sommeil de la princesse. Que ce soit deux femmes âgées ne change rien: le sentiment amoureux est tout aussi intense, tout aussi sacré. Premier film de Filippo Meneghetti, Deux est trop gracieux pour asséner un happy end triomphate­ur. Il donne juste à écouter le vent dans les platanes, à voir un sourire retrouvé, une larme au coin des yeux, à partager une danse légère, pieds nus sur une chanson italienne.

■ Deux, de Filippo Meneghetti (France, 2021), avec Barbara Sukowa, Martine Chevallier, Léa Drucker, 1h36.

Elle doit leur dire la vérité. Elle n’y parvient pas

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