Les Emirats arabes unis et Israël poursuivent leur lune de miel
Les «Accords d’Abraham» étaient signés en grande pompe à Washington il y a un an. Le résultat est spectaculaire
Sur quatre pleines pages, les Emirats arabes unis (EAU) tentent de ne rien oublier: de l'établissement de lignes aériennes directes à l'exemption de visas, des collaborations entre dentistes aux échanges dans le secteur du diamant, de l'installation de startups dans le domaine de la hi-tech à l'organisation de matchs amicaux de football… Une année après avoir normalisé leurs relations, les EAU et Israël ont accru leur partenariat de manière spectaculaire, avec quelque 10 milliards de dollars d'investissements prévus pour les premiers, et des échanges commerciaux qui dépassent les 500 millions de dollars. «C'est un progrès incroyable», en vient à affirmer la note officielle des Emirats, qui détaille ce rapprochement.
Le 15 septembre dernier, sur la pelouse de la Maison-Blanche, le président Donald Trump présidait la cérémonie de signature des «Accords d'Abraham», entouré du premier ministre d'Israël Benyamin Netanyahou, et des responsables des Emirats et du Bahreïn, la petite monarchie du Golfe totalement inféodée à l'Arabie saoudite. Entre-temps, le Soudan et le Maroc se sont aussi joints à cette initiative, normalisant à leur tour leurs liens avec Israël.
La prime de Washington
Chacun des Etats, dans cette affaire, y trouvait un avantage immédiat, offert en prime par Washington: aux EAU, la vente d'avions de combat F-35, réservés d'ordinaire aux alliés les plus proches des Etats-Unis; au Soudan, le retrait de la liste des Etats terroristes; au Maroc, la reconnaissance de sa souveraineté sur le Sahara occidental… «Cette dimension transactionnelle était importante. Mais cela ne se résume pas à une pure opération de communication, note David Khalfa, chercheur associé au Center for Peace Communications de New York. En réalité, ces accords, du moins en ce qui concerne les Emirats et le Maroc, s'inscrivent dans un tissu de relations secrètes qui durent déjà depuis des décennies.»
Il n'empêche. Au-delà des accords économiques, plus de 200 000 Israéliens ont profité de ces nouvelles relations pour se rendre aux EAU, et particulièrement à Dubaï, où les hôtels servent désormais des menus kasher et où les salles de réunion se transforment en synagogues à l'occasion des fêtes juives. «Un an après, les monarchies continuent de considérer que ce partenariat stratégique avec Israël leur est bénéfique, aussi bien du point de vue géopolitique que des échanges économiques et technologiques», affirme Karim Emile Bitar, professeur associé à l'Université Saint-Joseph de Beyrouth. «Ces jours, ces pays communiquent beaucoup sur cette question, mais exclusivement en anglais, à destination du public américain. Ils sont plus prudents en langue arabe, car ils savent que cette politique continue d'être mal perçue par les opinions publiques.» Le spécialiste de la région rappelle que l'Arabie saoudite n'a pas encore fait le pas: «Les Saoudiens ont pleinement conscience du gouffre qui existe encore entre les dirigeants et la population.»
Etonnamment, aussi bien Donald Trump que Benyamin Netanyahou ont entre-temps été obligés de quitter le pouvoir, malgré cet accord qui visait aussi à asseoir leur carrure internationale auprès de leurs électeurs. Le gendre de Trump, Jared Kushner, vient de créer à Washington le Abraham Accords Peace Institute, dans lequel il entend continuer de tirer profit de cet événement. De son côté, David Friedman, l'ambassadeur américain de Donald Trump en Israël, multiplie aussi les commémorations de cet accord avec son Center for Peace through Strength (Centre pour la paix au moyen de la force). Première personnalité mise en avant: Mike Pompeo, l'ancien chef de la diplomatie trumpienne, à qui l'ancien ambassadeur a remis un prix d'honneur.
«Cet accord reste marqué par l'empreinte de Donald Trump et ses manières… disruptives, résume David Khalfa. Ainsi, Joe Biden n'a pas fait une priorité de l'élargissement de cet accord à d'autres pays.» De même, pour l'administration Biden, pas question de parler de l'«Accord d'Abraham». Un terme jugé trop pompeux, qui est remplacé par celui d'«accord de normalisation» avec Israël, autrement plus neutre.
Le président démocrate n'est toutefois revenu sur aucun des «cadeaux» offerts par son prédécesseur (livraison de F-35 aux Emirats, reconnaissance du Sahara occidental marocain, proclamation de Jérusalem comme capitale d'Israël…). «Ce rapprochement entre Israël et les pays sunnites est, à terme, dans l'intérêt des Etats-Unis, notamment face à l'Iran, constate encore David Khalfa. Mais à plus court terme, cela complique considérablement les choses vis-àvis de Téhéran. Surtout à l'heure où il s'agit pour les Etats-Unis de réintégrer l'accord sur le nucléaire iranien.» ■