L’Europe qui pique
La Commission européenne peut se targuer d’avoir relevé le défi de la vaccination sur le continent. Le véritable succès se mesurera toutefois à la capacité d’aider les autres régions du monde à accéder à leur tour au vaccin
Souvenez-vous, c’était en début d’année, l’Union européenne (UE) semblait dépassée par les événements. Face à la pandémie de Covid-19, sa capacité à produire un vaccin était soi-disant en berne. Que n’at-on pas dit sur l’incurie de Bruxelles, la compétition vaccinale perdue, le retard sur les Etats-Unis, l’humiliation face au Royaume-Uni post-Brexit, l’incurie des industriels européens et le manque de vision des politiques du continent? La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, était alors la cible privilégiée des détracteurs de l’Europe.
Six mois plus tard, devant son parlement, la présidente peut sans rougir affirmer que «l’Europe a démenti toutes les critiques». Elle a pour cela des arguments à faire valoir: plus de 70% des personnes adultes vaccinées dans l’Union européenne; 1,4 milliard de doses produites, la moitié pour ses concitoyens, l’autre pour l’exportation (130 pays dont la Suisse); création d’un pass sanitaire; 450 millions de doses promises pour l’Afrique; développement de la technique révolutionnaire de l’ARN messager par des laboratoires européens… Qui dit mieux?
L’Europe est aujourd’hui le continent le plus vacciné et de la façon la plus solidaire. C’est un succès et il compte. Car dans la lutte contre le covid, il en va aussi d’un combat des Etats pour préserver leur légitimité, affirmer leur capacité à protéger leur population. Un échec de la Commission aurait été dévastateur pour l’idée européenne. Et l’on a vu, depuis de nombreux mois, à quel point le virus pouvait être un poison pour l’idée même de démocratie. La tentation de recourir à des méthodes autoritaires face à un danger en grande partie imprévisible est grande.
C’est ce que nous rappelle l’exemple chinois, Pékin ayant un temps voulu profiter de la crise pour valoriser son propre système politique présenté comme plus soucieux du bien-être sanitaire de la population, chiffre des morts du covid à l’appui. Mais à quel prix?
Ce succès n’en sera pourtant véritablement un que lorsque le reste de la planète pourra bénéficier de cette recette. «Nous l’avons fait, à l’européenne, explique Ursula von der Leyen. Et ça a fonctionné. Notre priorité – et la plus urgente – est d’accélérer la vaccination mondiale.» Et c’est en effet à cette aune que se jugera le leadership européen.
Dans ce domaine, la concurrence sera rude avec les Etats-Unis et la Chine, qui tous deux promettent également de vacciner le monde après avoir mis leur population à l’abri. Pour éviter une compétition malsaine, il sera important de respecter les engagements à agir à travers le système de distribution des vaccins Covax sous l’égide de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), seul organe garant d’une certaine équité pour atteindre les personnes les plus dans le besoin. Il est de ce point de vue regrettable que la présidente de la Commission n’ait pas mentionné l’ONU.
Tout comme on peut s’interroger sur la crispation européenne – et suisse – sur la question des brevets.