Covid: pourquoi les enfants sont épargnés
Plusieurs études se sont penchées sur les raisons expliquant pourquoi les enfants sont beaucoup moins touchés par les formes graves du SARS-CoV-2. La donne semble toutefois changer avec le variant Delta. Explications
C’est un fait. Les enfants sont moins souvent touchés que les adultes par des complications graves du Covid-19. Mais pourquoi les plus petits restent-ils majoritairement épargnés par les formes sévères de cette pathologie? Plusieurs études ont tenté de répondre à cette question, afin de comprendre pour quelles raisons le SARS-CoV-2 faisait figure d’exception face à la plupart des virus respiratoires qui ont tendance à toucher plus sérieusement les jeunes enfants et les personnes âgées.
Au début de la pandémie, comme le rappelle un article paru dans le magazine Nature, on croyait, à tort, que les enfants n’étaient pas autant infectés que les adultes, ce qui expliquait le peu de formes graves au sein de la population pédiatrique. Depuis plusieurs mois, les données à disposition montrent que ce n’est clairement pas le cas. Une étude sérologique conduite par les Hôpitaux universitaires de Genève et l’Université de Genève a en effet montré que les enfants avaient formé la classe d’âge la plus touchée par le virus durant ces six derniers mois. Et les derniers chiffres concernant les cas confirmés d’infection chez les 0 à 9 ans ainsi que les 10 à 19 ans, ne font que corroborer cette observation, puisque ce sont désormais les catégories de la population les plus atteintes en Suisse, avec respectivement 238 cas et 505 cas par 100 000 habitants.
Une moins bonne réplication du virus dans l’organisme des plus petits pourrait-elle expliquer la gravité moindre du Covid-19 chez ces derniers? Cette hypothèse a été le fil rouge de plusieurs études qui aboutissaient à la conclusion que les taux d’infection moins importants chez les enfants – et, de facto, de complications – pouvaient résulter d’une faible expression de la protéine ACE2 dans cette population, expression qui augmente significativement avec l’âge. ACE2 est un récepteur membranaire dont on sait qu’il est la porte d’entrée du virus dans les cellules.
Charges virales semblables à celles des adultes
Bien que sérieux, cet argument a été réfuté par d’autres études n’ayant pas observé de corrélations entre l’expression du gène ACE2 et la concentration de particules virales dans les voies respiratoires supérieures. Selon une analyse en prépublication, publiée en juin et conduite par des chercheurs de Boston, les enfants présenteraient en réalité des charges virales semblables à celles des adultes, surtout au cours des cinq premiers jours après l’infection. «Les populations pédiatriques ont le potentiel de servir de réservoir communautaire, avec des implications à la fois sur de nouvelles vagues d’infection et l’évolution de variants viraux», notent les auteurs.
Si la charge virale est similaire, comment donc expliquer que les enfants sont davantage protégés que les adultes? La réponse pourrait tenir dans une réponse immunitaire sensiblement différente face au Covid-19, avec un rôle prédominant de l’immunité dite «innée» dans la lutte contre le SARS-CoV-2. L’immunité innée représente la première ligne de défense contre les agents infectieux, elle est aussi non spécifique aux antigènes des pathogènes rencontrés.
Plusieurs études, dont l’une parue en octobre 2020 dans Science Translational Medicine et conduite par des chercheurs de l’Albert Einstein College of Medicine (à New York) et par l’Université Yale, ainsi qu’une autre publiée fin juillet 2021 dans Nature par des chercheurs de Hongkong, ont ainsi toutes deux démontré que les enfants, par comparaison aux adultes, avaient des niveaux réduits d’anticorps neutralisants spécialisés contre le SARS-CoV-2 et de cellules liées à la réponse immunitaire dite «acquise», qui a pour caractéristique d’adapter son attaque à un antigène déjà rencontré.
En revanche, les enfants semblent présenter des niveaux plus élevés d’interférons et d’interleukines, des protéines produites naturellement par le système immunitaire et impliquées dans l’immunité innée en défense à un agent pathogène. «Nous avons montré des preuves directes d’une réponse immunitaire précoce plus vigoureuse chez les enfants par rapport aux adultes face au Covid-19», écrivent Betsy Herold du département de microbiologie et d’immunologie de l’Albert Einstein College of Medicine et ses collègues, dans un travail paru en avril dans JCI Insight. Ces types de protéines pourraient, selon les auteurs, contribuer à protéger des formes graves.
«Les enfants possèdent une immunité innée qui arrive à neutraliser le virus aux frontières, des sortes de gardes postés dans le nez et la bouche qui empêchent le virus d’entrer en profondeur dans l’organisme, appuie Alessandro Diana, vaccinologue et médecin responsable du Centre de pédiatrie de la Clinique des Grangettes. Avec l’âge, on perd de cette immunité innée et c’est l’immunité adaptative qui prend le dessus.
Il se peut toutefois, pour des raisons diverses, que le virus arrive à franchir cette barrière naturelle, y compris chez les plus petits, et génère des complications.»
Gamme plus large d’anticorps
Une autre différence entre adultes et enfants résiderait au sein des cellules épithéliales tapissant l’intérieur du nez. Chez les enfants, ces dernières possèdent de nombreux récepteurs capables de reconnaître des molécules communément trouvées dans les agents pathogènes.
Un travail paru en août dans Nature Biotechnology a ainsi mis en évidence que les gènes codant la protéine MDA5 (un récepteur reconnaissant le coronavirus) étaient davantage activés dans les cellules épithéliales des voies aériennes des enfants que dans celles des adultes. Après avoir repéré un agent pathogène, ces cellules déclenchent immédiatement la production d’interférons, et entraînent, chez les enfants, une réponse antivirale plus forte et plus rapide lors d’une infection au SARS-CoV-2 que chez les adultes.
Enfin, pour certains chercheurs, des années d’exposition à d’autres coronavirus humains pourraient entraîner une réponse moins efficace du système immunitaire chez les personnes plus âgées face au SARS-CoV-2, comme l’ont démontré des chercheurs australiens et américains en avril dans Nature Communications, leurs anticorps ciblant une moins large gamme de sites de fixation sur le coronavirus que les enfants.
Rappelons enfin que tous les enfants ne font pas des formes bénignes ou asymptomatiques du Covid-19. Selon des estimations, 3 personnes infectées sur 10 000 âgées de moins de 21 ans souffrent du syndrome inflammatoire multisystématique pédiatrique post-covid, une affection qui nécessite une hospitalisation. Aux Etats-Unis, plus de 420 enfants sont morts du Covid-19 entre mai 2020 et août 2021, selon les données de l’Académie américaine de pédiatrie.
«Le variant Delta, bien plus transmissible, a changé la donne. Ce dernier arrive à bien mieux s’accrocher aux récepteurs ACE2 tout en produisant un nombre plus important de copies du virus, y compris certainement chez les enfants, pointe Alessandro Diana. Cela pourrait expliquer pourquoi l’on observe davantage de complications chez ces derniers depuis quelques semaines.»
Les enfants sont également touchés par le covid long, à savoir des symptômes qui perdurent sur des semaines, voire des mois. Selon une récente enquête israélienne conduite par le Ministère de la santé sur 13 864 enfants âgés entre 3 et 18 ans, 11,2% des jeunes rapportaient des symptômes plusieurs semaines après l’infection, alors que 1,8% des moins de 12 ans et 4,6% des 12-18 ans souffraient toujours de symptômes six mois plus tard. ■
«Nous avons montré des preuves directes d’une réponse immunitaire précoce plus vigoureuse chez les enfants par rapport aux adultes face au Covid-19» BETSY HEROLD, ALBERT EINSTEIN COLLEGE OF MEDICINE