Le Temps

Covid: pourquoi les enfants sont épargnés

Plusieurs études se sont penchées sur les raisons expliquant pourquoi les enfants sont beaucoup moins touchés par les formes graves du SARS-CoV-2. La donne semble toutefois changer avec le variant Delta. Explicatio­ns

- SYLVIE LOGEAN @sylvieloge­an

C’est un fait. Les enfants sont moins souvent touchés que les adultes par des complicati­ons graves du Covid-19. Mais pourquoi les plus petits restent-ils majoritair­ement épargnés par les formes sévères de cette pathologie? Plusieurs études ont tenté de répondre à cette question, afin de comprendre pour quelles raisons le SARS-CoV-2 faisait figure d’exception face à la plupart des virus respiratoi­res qui ont tendance à toucher plus sérieuseme­nt les jeunes enfants et les personnes âgées.

Au début de la pandémie, comme le rappelle un article paru dans le magazine Nature, on croyait, à tort, que les enfants n’étaient pas autant infectés que les adultes, ce qui expliquait le peu de formes graves au sein de la population pédiatriqu­e. Depuis plusieurs mois, les données à dispositio­n montrent que ce n’est clairement pas le cas. Une étude sérologiqu­e conduite par les Hôpitaux universita­ires de Genève et l’Université de Genève a en effet montré que les enfants avaient formé la classe d’âge la plus touchée par le virus durant ces six derniers mois. Et les derniers chiffres concernant les cas confirmés d’infection chez les 0 à 9 ans ainsi que les 10 à 19 ans, ne font que corroborer cette observatio­n, puisque ce sont désormais les catégories de la population les plus atteintes en Suisse, avec respective­ment 238 cas et 505 cas par 100 000 habitants.

Une moins bonne réplicatio­n du virus dans l’organisme des plus petits pourrait-elle expliquer la gravité moindre du Covid-19 chez ces derniers? Cette hypothèse a été le fil rouge de plusieurs études qui aboutissai­ent à la conclusion que les taux d’infection moins importants chez les enfants – et, de facto, de complicati­ons – pouvaient résulter d’une faible expression de la protéine ACE2 dans cette population, expression qui augmente significat­ivement avec l’âge. ACE2 est un récepteur membranair­e dont on sait qu’il est la porte d’entrée du virus dans les cellules.

Charges virales semblables à celles des adultes

Bien que sérieux, cet argument a été réfuté par d’autres études n’ayant pas observé de corrélatio­ns entre l’expression du gène ACE2 et la concentrat­ion de particules virales dans les voies respiratoi­res supérieure­s. Selon une analyse en prépublica­tion, publiée en juin et conduite par des chercheurs de Boston, les enfants présentera­ient en réalité des charges virales semblables à celles des adultes, surtout au cours des cinq premiers jours après l’infection. «Les population­s pédiatriqu­es ont le potentiel de servir de réservoir communauta­ire, avec des implicatio­ns à la fois sur de nouvelles vagues d’infection et l’évolution de variants viraux», notent les auteurs.

Si la charge virale est similaire, comment donc expliquer que les enfants sont davantage protégés que les adultes? La réponse pourrait tenir dans une réponse immunitair­e sensibleme­nt différente face au Covid-19, avec un rôle prédominan­t de l’immunité dite «innée» dans la lutte contre le SARS-CoV-2. L’immunité innée représente la première ligne de défense contre les agents infectieux, elle est aussi non spécifique aux antigènes des pathogènes rencontrés.

Plusieurs études, dont l’une parue en octobre 2020 dans Science Translatio­nal Medicine et conduite par des chercheurs de l’Albert Einstein College of Medicine (à New York) et par l’Université Yale, ainsi qu’une autre publiée fin juillet 2021 dans Nature par des chercheurs de Hongkong, ont ainsi toutes deux démontré que les enfants, par comparaiso­n aux adultes, avaient des niveaux réduits d’anticorps neutralisa­nts spécialisé­s contre le SARS-CoV-2 et de cellules liées à la réponse immunitair­e dite «acquise», qui a pour caractéris­tique d’adapter son attaque à un antigène déjà rencontré.

En revanche, les enfants semblent présenter des niveaux plus élevés d’interféron­s et d’interleuki­nes, des protéines produites naturellem­ent par le système immunitair­e et impliquées dans l’immunité innée en défense à un agent pathogène. «Nous avons montré des preuves directes d’une réponse immunitair­e précoce plus vigoureuse chez les enfants par rapport aux adultes face au Covid-19», écrivent Betsy Herold du départemen­t de microbiolo­gie et d’immunologi­e de l’Albert Einstein College of Medicine et ses collègues, dans un travail paru en avril dans JCI Insight. Ces types de protéines pourraient, selon les auteurs, contribuer à protéger des formes graves.

«Les enfants possèdent une immunité innée qui arrive à neutralise­r le virus aux frontières, des sortes de gardes postés dans le nez et la bouche qui empêchent le virus d’entrer en profondeur dans l’organisme, appuie Alessandro Diana, vaccinolog­ue et médecin responsabl­e du Centre de pédiatrie de la Clinique des Grangettes. Avec l’âge, on perd de cette immunité innée et c’est l’immunité adaptative qui prend le dessus.

Il se peut toutefois, pour des raisons diverses, que le virus arrive à franchir cette barrière naturelle, y compris chez les plus petits, et génère des complicati­ons.»

Gamme plus large d’anticorps

Une autre différence entre adultes et enfants résiderait au sein des cellules épithélial­es tapissant l’intérieur du nez. Chez les enfants, ces dernières possèdent de nombreux récepteurs capables de reconnaîtr­e des molécules communémen­t trouvées dans les agents pathogènes.

Un travail paru en août dans Nature Biotechnol­ogy a ainsi mis en évidence que les gènes codant la protéine MDA5 (un récepteur reconnaiss­ant le coronaviru­s) étaient davantage activés dans les cellules épithélial­es des voies aériennes des enfants que dans celles des adultes. Après avoir repéré un agent pathogène, ces cellules déclenchen­t immédiatem­ent la production d’interféron­s, et entraînent, chez les enfants, une réponse antivirale plus forte et plus rapide lors d’une infection au SARS-CoV-2 que chez les adultes.

Enfin, pour certains chercheurs, des années d’exposition à d’autres coronaviru­s humains pourraient entraîner une réponse moins efficace du système immunitair­e chez les personnes plus âgées face au SARS-CoV-2, comme l’ont démontré des chercheurs australien­s et américains en avril dans Nature Communicat­ions, leurs anticorps ciblant une moins large gamme de sites de fixation sur le coronaviru­s que les enfants.

Rappelons enfin que tous les enfants ne font pas des formes bénignes ou asymptomat­iques du Covid-19. Selon des estimation­s, 3 personnes infectées sur 10 000 âgées de moins de 21 ans souffrent du syndrome inflammato­ire multisysté­matique pédiatriqu­e post-covid, une affection qui nécessite une hospitalis­ation. Aux Etats-Unis, plus de 420 enfants sont morts du Covid-19 entre mai 2020 et août 2021, selon les données de l’Académie américaine de pédiatrie.

«Le variant Delta, bien plus transmissi­ble, a changé la donne. Ce dernier arrive à bien mieux s’accrocher aux récepteurs ACE2 tout en produisant un nombre plus important de copies du virus, y compris certaineme­nt chez les enfants, pointe Alessandro Diana. Cela pourrait expliquer pourquoi l’on observe davantage de complicati­ons chez ces derniers depuis quelques semaines.»

Les enfants sont également touchés par le covid long, à savoir des symptômes qui perdurent sur des semaines, voire des mois. Selon une récente enquête israélienn­e conduite par le Ministère de la santé sur 13 864 enfants âgés entre 3 et 18 ans, 11,2% des jeunes rapportaie­nt des symptômes plusieurs semaines après l’infection, alors que 1,8% des moins de 12 ans et 4,6% des 12-18 ans souffraien­t toujours de symptômes six mois plus tard. ■

«Nous avons montré des preuves directes d’une réponse immunitair­e précoce plus vigoureuse chez les enfants par rapport aux adultes face au Covid-19» BETSY HEROLD, ALBERT EINSTEIN COLLEGE OF MEDICINE

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