Tokyo 2020+1 et le «miracle helvétique»
L’été 2021 a permis au monde du sport et à la Suisse de retrouver la joie des grandes compétitions internationales. Les performances de classe mondiale de la Nati lors de l’Euro 2020+1 et la moisson de médailles remportées par la délégation suisse aux Jeux olympiques de Tokyo sont venues réveiller des sentiments de fierté et d’émotion que la pandémie nous avait presque fait oublier.
Lors des JO japonais, la performance du sport suisse a été au-delà de toutes lesespérances, les 13 médailles remportées dépassant largement l’objectif de 7 médailles fixé par Swiss Olympic. Ce succès doit cependant être mis en perspective avec l’évolution des Jeux d’été. En effet, le nombre d’épreuves, et donc de médailles en jeu, est en constante augmentation édition après édition, avec 339 épreuves (pour 1017 médailles) en 2021 à Tokyo contre 306 épreuves (pour 918 médailles) en 2016 à Rio, soit une augmentation de plus de 10% des médailles en jeu.
Pourtant, même en valeur relative, la performance suisse de cet été est la meilleure de ces trente dernières années. Comment peut-on expliquer ce «miracle helvétique»? La lecture du rapport «Sports Policy Factors Leading to International Sporting Success» (SPLISS) 2019 – publié en juin 2021 par l’Office fédéral du sport, Swiss Olympic et la Haute Ecole de Macolin – donne des pistes d’explication.
Un budget rehaussé
Il montre que la politique suisse en matière de sport d’élite a été profondément transformée durant la dernière décennie. Dès 2011, la loi fédérale sur le sport fait apparaître explicitement le soutien au sport d’élite comme une mission de la Confédération, et elle a été déclinée dès 2015 dans un «concept pour la relève et le sport d’élite en Suisse».
Dans le même temps, les structures du sport d’élite suisse ont été consolidées par diverses mesures, comme l’obligation de développer un concept pour le sport de performance au sein de chaque fédération nationale, la création de centres de performance nationaux (Granges pour le cyclisme,
Bienne pour le tennis, Tenero pour la natation, etc.) et régionaux, une meilleure rémunération des entraîneurs, l’introduction d’un concept de développement de l’athlète, de tests de détection et d’un système de cartes Swiss Olympic assorti de prestations, ou encore le renforcement des dispositifs sport-études dans les cantons et dansles hautes écoles.
De plus, dans un système où les moyens financiers demeurent déterminants, notamment dans la capacité des sportives et sportifs à délivrer des performances de haut niveau, les ressources allouées au sport d’élite ont été augmentées. Les moyens octroyés par la Confédération et les cantons, via les bénéfices des fonds de la Loterie, ont augmenté durablement de 30 millions de francs dès 2017, faisant passer le budget de Swiss Olympic de 43 millions de francs en 2010 à plus de 75 millions en 2019, soit une augmentation de 74%. Et cela sans parler de la mise à disposition exceptionnelle par la Confédération des fonds Covid-19 qui ont permis de passer le cap difficile des années 2020 et 2021.
La réussite du sport d’élite suisse aux JO de Tokyo semble ainsi largement trouver son origine dans le développement et la mise en oeuvre, durant la dernière décennie, d’une stratégie claire de soutien au sport d’élite assortie de moyens financiers renforcés. Cette dernière devait logiquement conduire à une amélioration des performances, même dans un contexte d’incertitude du résultat et de concurrence internationale accrue.
Au final, ce ne sont donc pas tant les résultats obtenus par les sportives et sportifs suisses qui auraient dû nous surprendre, mais plutôt la relative timidité des ambitions affichées par Swiss Olympic, soucieuse de rendre une copie réussie plutôt que de valoriser son propre travail et les investissements consentis.
Cela étant dit, les données proposées dans le rapport SPLISS 2019 laissent entrevoir une situation qui est encore loin d’être idyllique. Si la situation financière des athlètes s’est améliorée entre 2010 et 2018 avec un revenu médian qui a doublé, passant de 23 000 à 46 000 francs par an, ces données signifient toutefois que la moitié des athlètes d’élite suisses disposent d’un revenu mensuel inférieur à 4000 francs, cette situation étant particulièrement marquée pour les athlètes féminines qui ont été pourtant tellement louées pour leurs performances olympiques.
De plus, en comparaison internationale, la Suisse demeure en retard dans plusieurs domaines clés de soutien au sport d’élite, que cela soit au niveau des infrastructures, de l’encadrement sportif, des possibilités de compétitions internes, ou de la recherche et de l’innovation.
Objectifs plus lisibles
Même s’il demeure une large marge d’amélioration dans le soutien apporté au sport suisse, l’analyse de la performance globale du sport d’élite suisse fait donc apparaître une forte évolution durant la dernière décennie, qui repose sur des moyens multipliés et des performances sportives en progression. Le tout repose sur une stratégie déployée de manière très méthodique par Swiss Olympic et dont on espère qu’elle confirmera ses bons résultats lors des JO d’hiver de Pékin 2022, alors même que la performance suisse lors des JO d’hiver 2018 avait déjà été en forte progression.
La contrepartie de cette institutionnalisation du soutien au sport d’élite devrait être de renforcer la lisibilité des objectifs fixés par Swiss Olympic, et de les évaluer régulièrement. Car en sport comme dans d’autres domaines, il existe rarement de «miracle helvétique», mais plus souvent des politiques dont l’efficacité et l’efficience doivent être mesurées et évaluées à partir du moment où des deniers publics sont engagés.
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La performance suisse de cet été est la meilleure de ces trente dernières années