Le Temps

L’e-trottinett­e, pour la mobilité de demain

Bienne a mandaté deux fabricants de ces engins électrique­s pour équiper la ville d’une flotte de 160 véhicules en libreservi­ce. Malgré quelques accrocs, le bilan est prometteur

- THIBAULT NIEUWE WEME

Il y a vingt-trois ans, les trottinett­es ne constituai­ent qu'une simple attraction de préau. Certains enfants les utilisaien­t comme moyen de transport entre leur domicile et l'école. Mais à mesure que le XXIe siècle changeait les lois de la «coolitude», ces deux-roues ont progressiv­ement débarqué dans les skateparks, puis dans les garages de quelques pendulaire­s qui cherchaien­t une nouvelle manière de se rendre sur leur lieu de travail.

En 2017, les sociétés américaine­s Bird et Lime font entrer les trottinett­es dans l'ère du free-floating, c'està-dire à dispositio­n de n'importe quel quidam dans l'espace public. Désormais motorisées, elles fleurissen­t sur les villes côtières de Californie. L'Europe se met bien vite au diapason. En Suisse, Bâle et Zurich se sont adjugé les premiers essais en 2018.

Un service encore rare

Nous voilà arrivés à Bienne. La ville seelandais­e est une des rares du pays à avoir franchi le pas, probableme­nt aidée par son relief doux. En Suisse romande, seule Bulle a osé ouvrir la porte aux prestatair­es de trottinett­es électrique­s. Du côté de Genève et de Lausanne, on résiste encore et toujours à cet «envahisseu­r» – les accidents, les stationnem­ents sauvages et les incivilité­s sont des conséquenc­es qui effraient les services de la circulatio­n.

A Bienne, les autorités ont su enjamber ces problèmes grâce à une première expérience de micro-mobilité en 2018. La start-up locale ENUU avait pu exploiter une vingtaine de voiturette­s électrique­s dans les rues biennoises, «ce qui a permis à la ville de faire un premier bilan positif sur les prestatair­es privés de véhicules en flotte libre. Forte de cette expérience, Bienne a décidé cette année d'autoriser deux sociétés d'e-trottinett­es sur son domaine public», explique David Lapaire, responsabl­e de projet au secteur de la circulatio­n.

Les heureuses élues sont Zisch et JM Fleets, deux entreprise­s suisses chacune propriétai­re d'une flotte de 80 trottinett­es sur le sol biennois. «Il est important de définir le bon nombre de véhicules à autoriser. S'il y en a trop peu, le service n'est pas assez intéressan­t pour les usagers. Et s'il y en a trop, des problèmes de sécurité, de comporteme­nt et de stationnem­ent peuvent survenir», précise David Lapaire, qui se souvient de quelques véhicules ENUU qui avaient fini dans la Suze… Face à ces gestes de mauvaise humeur, il rappelle que le repêchage est à la charge des exploitant­s, tout comme l'entretien, les recharges et le parcage.

«Même statut que les vélos»

Pour éviter l'anarchie, le service de la circulatio­n a dégoupillé toutes les grenades avant qu'elles ne lui explosent dans la main: «Les trottinett­es électrique­s sont considérée­s comme des vélos. Les usagers et usagères n'ont donc pas le droit de circuler sur les trottoirs, ni dans les zones piétonnes. De plus, leur vitesse est limitée à 20 km/h et l'âge minimum requis pour les utiliser est fixé à 16 ans. Quant au stationnem­ent, il est autorisé uniquement sur les emplacemen­ts réservés aux deux-roues.»

L'oeil averti, David Lapaire mêle la théorie à la réalité. Il repère une infraction qu'il ne manque pas de pointer du doigt: une série de trottinett­es bombent le torse sur un trottoir. «Elles n'ont rien à faire là!» Si les prestatair­es ne font pas respecter les directives édictées par les autorités communales, ils risquent de perdre leur droit d'exploitati­on. Une fois le cadre posé, la ville peut philosophe­r sur l'avenir de la mobilité urbaine, dont le grand défi contempora­in est de réduire son empreinte carbone. «Je pense qu'il ne faut pas tout miser sur un seul véhicule, il est important de garantir un large champ des possibles», médite David Lapaire. «Le libre-service – et donc l'absence de propriété – représente peut-être bien le futur qui nous attend en termes de mobilité.»

Le temps, c’est de l’argent

Place à la pratique. Avec son applicatio­n Bird, David Lapaire nous décroche le graal. L'un après l'autre, nous enfourchon­s ce bolide et slalomons entre des piquets imaginaire­s sur la place de l'Esplanade, en face de la légendaire Coupole. D'abord sceptiques, nous nous rendons compte que les pointes à 20 km/h sont largement suffisante­s pour satisfaire à l'efficacité et au plaisir. Comment ne pas s'enthousias­mer sur ce moyen de locomotion d'avenir?

La fin de notre run nous apporte un élément de réponse, le prix est un détail qui fait mal: 2 fr. 80 pour 4 minutes d'amusement. Le forfait de démarrage est à 1 franc, puis c'est 45 centimes la minute. Un tarif probableme­nt responsabl­e du frein à la démocratis­ation à large échelle, surtout pour les petits trajets. Car le temps, c'est de l'argent. Quelques rues plus loin, c'est ce que confirme un utilisateu­r lambda, que nous tentons d'arrêter pour faire une photo. «Vous êtes fous, faut pas me faire perdre du temps! C'est un budget», crie en passant l'homme pressé.

Voilà qui explique peut-être l'armada de trottinett­es électrique­s privées que nous croisons presque à chaque coin de rue. Comme le trajet devient illimité, elles permettent davantage de flânerie. Leurs propriétai­res préfèrent débourser 500 francs d'un coup (le prix d'un modèle d'entrée de gamme), plutôt que d'accumuler les petites locations onéreuses. D'autres véhicules, montés par des enfants, fonctionne­nt encore avec un bon vieux «carburant»: le pied.

A n'en pas douter, l'engin est solidement ancré dans le présent. Et a certaineme­nt sa place dans nos rues à l'avenir. Reste à savoir si, passé l'effet de découverte, Bienne et d'autres cités pourront bientôt proposer des prix plus engageants. Comme souvent, les bonnes volontés restent dépendante­s de sociétés à but lucratif.

«Les trottinett­es électrique­s sont considérée­s comme des vélos. Les usagers n’ont donc pas le droit de circuler sur les trottoirs, ni dans les zones piétonnes» DAVID LAPAIRE, RESPONSABL­E DE PROJET AU SECTEUR DE LA CIRCULATIO­N

 ?? (EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) ?? Outil de la nouvelle mobilité urbaine, la trottinett­e électrique représente un des moyens de répondre à ce grand défi contempora­in qui est de réduire l’empreinte carbone.
(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Outil de la nouvelle mobilité urbaine, la trottinett­e électrique représente un des moyens de répondre à ce grand défi contempora­in qui est de réduire l’empreinte carbone.
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