Le Temps

Sur la route...

- SAMI ZAÏBI @ZaibiSami

Gorges du Taubenloch, vendredi, 16 heures. Depuis La Chaux-de-Fonds, nous avons effectué ce qui a sans doute été le plus beau tronçon de notre itinéraire. Poussés par un vent généreux le long de la Suze, nous avons traversé les pâturages bucoliques du Jura bernois et leurs douces pentes. Mais qui dit Suisse de carte postale, dit montagnes. Et qui dit montagnes, dit tunnels. Et qui dit tunnels, dit «attention vélos». Parvenus au bout de la vallée, nous voilà donc face à un choix cornélien: s'engouffrer dans le long tunnel qui traverse la montagne entre La Heutte et Bienne, ou craquer et prendre le train. Juste avant le virage qui mène au tunnel, un panneau routier se veut dissuasif. Il conseille aux cyclistes de monter dans un wagon juste le temps de ce trajet, pour le prix spécial d'un franc… Si proches du but, se laissera-t-on donc corrompre par le rail? Il faut dire que tout dépend de la nature du tunnel: s'il monte, ce sera un calvaire, sinon ce sera certes bruyant, mais faisable. Soyons honnêtes: le franc symbolique a fait son effet, et nous avons commencé à regarder les horaires quand un affable automobili­ste du coin s'est arrêté à notre hauteur, alerté par notre égarement criant. Mis au courant de notre dilemme, il nous a évité ce qui aurait été vécu comme une compromiss­ion. «Le tunnel est tout le long en descente, et il y a une piste cyclable, c'est plus que praticable», nous a-t-il rassurés. Ni une ni deux, nous voici lancés à toute allure dans le tunnel honni. Trois longs tubes et une descente jouissive plus tard, nous voilà dans le Seeland, non sans avoir frémi devant le vrombissem­ent des gros camions qui nous ont dépassés…

***

Bienne, vendredi, 18 heures. C'est sur les rives de l'Aar que s'achève notre périple. Plusieurs conclusion­s s'offrent à nous: être végane sur la route, c'est manger beaucoup de pâtes sauce tomate; en Suisse, quoi que prévoie la météo, il finit par pleuvoir; pour peu qu'on ose demander, il y a toujours une bonne âme pour nous héberger. Mais surtout, ce qu'on a appris sur nos vélos sans volts, c'est que la ressource la plus précieuse n'est pas l'argent, mais bien le temps. Avec notre tente et nos sacs de couchage, on aurait pu continuer bien plus loin pour quelques sous, en s'enrichissa­nt de magnifique­s rencontres et expérience­s que nous n'aurions sans doute pas faites en voiture. Car voyager à vélo et faire du camping, c'est dilater le temps, rendre leur valeur aux kilomètres, magnifier l'espace. En ce sens, la route classique, par opposition à la route à vélo, est une «perte de temps», pour reprendre les mots de Milan Kundera, dans son livre

L’Immortalit­é:

«La route se distingue du chemin non seulement parce qu'on la parcourt en voiture, en ce qu'elle est une simple ligne reliant un point à un autre. La route n'a elle-même aucun sens; seuls en ont un les deux points qu'elle relie. Le chemin est un hommage à l'espace. Chaque tronçon du chemin est en lui-même doté d'un sens et nous invite à la halte. La route est une triomphale dévalorisa­tion de l'espace, qui aujourd'hui n'est plus rien d'autre qu'une entrave aux mouvements de l'homme, une perte de temps.»

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RÉALISÉ AVEC L’AIDE DU TCS
Hashtag du tour de Suisse: #LeTempsAVé­lo RÉALISÉ AVEC L’AIDE DU TCS

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