Le Temps

Roman, manga, film d’animation, le parcours du «Sommet des dieux»

Le roman de Baku Yumemakura, adapté en manga par Jirô Taniguchi fait désormais l’objet d’un long métrage d’animation. Un livre retrace le parcours de ce récit qui tient l’Everest pour décor principal

- CAROLINE CHRISTINAZ @Caroline_tinaz

«Marcher, grimper, grimper encore, toujours plus haut… et après?» La montagne a le pouvoir d’ensorceler ceux qui s’en approchent. Au fil du temps, euxmêmes ont tenté de comprendre pourquoi ils grimpaient. Conquérant­s de l’inutile, grimpeurs à la soif inassouvie, les alpinistes cultivent en eux une quête à la fois mystérieus­e et humaine.

C’est précisémen­t elle qui habite l’histoire du Sommet des dieux, manga de Jirô Taniguchi couronné de succès dès son arrivée en Occident en 2004. Désormais adapté en long métrage d’animation par le réalisateu­r Patrick Imbert, le film sort dans les salles françaises le 22 septembre. Il n’est pour l’instant pas prévu de le voir dans les salles suisses, mais en attendant, l’ouvrage Autour du Sommet des dieux, écrit par Thomas Vennin, paraît ces jours aux Editions Guérin. Il retrace l’aventure de ce récit entre roman et réalité, manga et animation.

1700 pages, 5 tomes

Car avant tout, Le Sommet des dieux est un roman issu de la plume de Baku Yumemakura. Il s’agit de 1700 pages écrites en quatre ans qui ont été publiées entre 1993 et 1997 dans la revue Shôsetsu Subaru, au Japon. Mais l’auteur, qui a eu le temps de voir sa passion pour les cimes grandir, n’en restera pas là. Deux ans après avoir inscrit un point final à son histoire, il propose à Jirô Taniguchi de l’adapter en manga.

Pour le célèbre mangaka, à l’origine notamment d’Au temps de Botchan, de L’homme qui marche, ou du Journal de mon père, la propositio­n tombe à pic. Depuis qu’il a lu la biographie de l’alpiniste japonais Masaru Morita, il est fasciné par le personnage et troublé par la passion dévorante que la montagne peut animer chez certains. Il sait que Habu Jôji, le principal héros du Sommet des dieux est largement inspiré de cet himalayist­e décédé en 1980. Très vite, il accepte.

Afin de nourrir son imaginaire, le mangaka accompagne l’auteur à Katmandou. Il n’est sorti qu’une fois de son île pour aller en France – là où le festival d’Angoulême reçoit chaque fois ses oeuvres avec enthousias­me – et l’immersion au Népal le bouleverse. Il y a la misère, mais il y a aussi la montagne. Puissante, rude.

La découverte qui change l’histoire

C’était le printemps 1999. Alors que les deux Japonais s’imprègnent de l’air népalais, cinq alpinistes, menés par l’Américain Conrad Anker, s’élancent sur le versant nord de l’Everest. Le 1er mai, à 8290 mètres d’altitude, le grimpeur tombe sur une masse blanchâtre d’un aspect inhabituel. C’est un corps sans âme, comme on en trouve beaucoup sur le Toit du Monde. Face contre terre, un pied nu, une corde rompue. Mais une inscriptio­n sur les vêtements du cadavre déclenche un tremblemen­t de terre dans l’histoire de l’alpinisme.

«G. Mallory». La dépouille glacée appartient à la légende. Le nom évoque une des plus grandes énigmes de l’himalayism­e et nous ramène au 8 juin 1924. Ce jour-là, George Mallory est vu pour la dernière fois avec Andrew Irvine, à 12h50 sur la crête nord de l’Everest, alors qu’il tentait d’atteindre le sommet. Parvenir au Toit du Monde était devenu une obsession pour le Britanniqu­e connu pour sa réponse laconique, «parce qu’elle est là», lâchée aux journalist­es curieux de savoir pourquoi il devait absolument gravir cette montagne. En 1924, c’était la troisième fois qu’il venait sur la face tibétaine. Cette fois-ci, il y croyait.

Aujourd’hui encore, nul ne sait si la cordée a atteint le sommet. La dépouille d’Andrew Irvine n’a pas été retrouvée et l’appareil photo Kodak Vest Pocket que Mallory avait emporté pour capturer l’image victorieus­e sur le point le plus élevé de la terre non plus. En 1999, il n’est pas présent autour du corps qui gît aux pieds de Conrad Anker.

Mais l’Américain trouve d’autres indices qui laissent libre cours à l’imaginaire. De retour au Japon, bouleversé, Baku Yumemakura décide d’adapter la fin de son roman aux nouvelles découverte­s. Car bien que ses héros soient inspirés de grimpeurs japonais, c’est surtout la légende de Mallory et Irvine qui l’habite. Les cinq tomes du manga sortent en 2004 en France. Un an plus tard, ils valent à Jirô Taniguchi les honneurs du Festival de la bande dessinée d’Angoulême.

Le mangaka avait déjà prêté sa plume à la montagne, mais c’est la première fois que son oeuvre remporte autant de succès en Europe. Même le milieu alpin, plus friand de récits que de romans, est envoûté. «C’est un manga qui sonne juste», explique JeanCharle­s Ostorero. Dès sa publicatio­n, ce producteur amateur de montagne, a vu dans le feuilleton la possibilit­é d’un long métrage. En 2012, il envoie une missive à Jirô Taniguchi lui demandant les droits d’adaptation. Il faudra une année pour que le mangaka accepte.

Par souci de réalisme

«Cela fait huit ans», constate le producteur qui regrette la mort du mangaka en 2017. Huit années ont été nécessaire­s pour adapter cinq tomes en un film d’une heure et demie. «Ça a été un casse-tête. Il s’agissait de trouver la bonne lecture afin d’en développer le meilleur scénario, reprend JeanCharle­s Ostorero. A partir de ce manga, on aurait pu tirer une aventure type Tintin au Tibet ou une autre qui se serait apparentée à Apocalypse Now ou encore une comme Le Grand Bleu.» Ils ont finalement choisi, avec Patrick Imbert et la scénariste Magali Pouzol, de se concentrer sur ce mystère qui pousse les alpinistes comme Habu Jôji ou George Mallory à grimper toujours plus haut.

«Nous voulions nous rapprocher le plus possible de la réalité», poursuit le producteur. Pour répondre à ces souhaits, les paysages sont réalisés sous forme de peintures et s’apparenten­t à des photograph­ies. Le recours à des alpinistes expériment­és a, par ailleurs, été nécessaire pour reproduire les gestes et les méthodes exécutés en altitude. La voie qui mène au sommet a été décortiqué­e dans les moindres détails. Les avalanches, les chutes, les positions des corps et les expression­s ont fait l’objet de longues discussion­s. Dans le même objectif de réalisme, la couleur a été préférée au noirblanc du manga.

Résultat? Qu’il soit passionné ou pas (encore) de montagne, le spectateur est emporté. Le film offre un concentré réussi du manga et la lecture du livre de Thomas Vennin un éclairage de l’oeuvre dans son ensemble bienvenu. L’histoire traverse les siècles et les continents. Et si, autant dans le manga que dans le film, les auteurs semblent avoir pris parti de la destinée de Mallory, ils parviennen­t à laisser planer le mystère. Au fond, face à la montagne, est-ce vraiment le sommet qui importe?

Une inscriptio­n sur les vêtements du cadavre déclenche un tremblemen­t de terre dans l’histoire de l’alpinisme

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 ?? (ÉDITIONS PAULSEN) ?? «Le Sommet des dieux». Un voyage dans l’Himalaya qui part du roman jusqu’au film d’animation en passant par le manga.
(ÉDITIONS PAULSEN) «Le Sommet des dieux». Un voyage dans l’Himalaya qui part du roman jusqu’au film d’animation en passant par le manga.

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