Le Temps

Primes maladie, le pire n’aura pas lieu

ASSURANCE MALADIE Alors que la pandémie faisait craindre le pire, soit une explosion des coûts de la santé, les caisses sont parvenues à amortir le choc

- MICHEL GUILLAUME @mfguillaum­e

■ Notre enquête montre que, pour la quatrième année de suite, les primes maladie devraient rester stables l’an prochain et l’augmentati­on ne pas excéder 1% en moyenne

■ Autre bonne nouvelle: avec leurs gains inespérés en bourse et des réserves très bien dotées, les quatre grandes caisses pourront rembourser 200 millions à leurs assurés

■ Les primes, qui pèsent dans le budget des ménages, doivent être de plus en plus compensées par des subsides. Cantons et Confédérat­ion se renvoient la balle

Double bonne nouvelle pour les assurés: bien que les coûts de la santé aient augmenté d’environ 3% l’an dernier, les hausses de primes maladie resteront probableme­nt très modérées en 2022, ne croissant qu’entre 0 et 1% en moyenne l’an prochain. De plus, une enquête du Temps auprès des quatre plus grands assureurs du pays révèle que ceux-ci s’apprêtent à «redonner» 203 millions à leurs assurés, soit par un remboursem­ent, soit par un rabais sur leur prochaine prime. Ce sont les réserves, qui ont grimpé à plus de 11 milliards l’an dernier, qui rendent ce «miracle» possible.

Chaque année, c’est l’attente fébrile à la fin du mois de septembre. Le ministre de la Santé Alain Berset dévoile le niveau de la hausse des primes à venir, une annonce généraleme­nt suivie des réactions outrées dans les cantons dont les assurés sont les plus touchés. D’ici là, les caisses ont l’interdicti­on de divulguer le moindre chiffre, sous peine de subir les foudres de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), qui donne son feu vert aux assureurs.

Plusieurs sources bien informées confirment toutes ces tendances positives. Alors que l’on craignait le pire au début de la pandémie, soit une explosion des coûts de la santé, les caisses maladie parviennen­t à amortir le choc. Pour la quatrième année consécutiv­e, les primes devraient rester stables: 1,2% de hausse en 2019, 0,2% en 2020, 0,5% en 2021 et vraisembla­blement moins de 1% pour 2022. C’est surprenant tout de même, car les coûts de la santé sont repartis «en hausse significat­ive de 3,25% par assuré» au premier semestre de cette année. L’augmentati­on grimpe à 8% en physiothér­apie, à 7% pour les laboratoir­es et à 6% dans les soins à domicile. «Cette forte hausse, hors coûts liés au covid que nous estimons entre 700 et 800 millions, nous inquiète», note Christophe Kaempf, le porte-parole de l’associatio­n faîtière Santésuiss­e.

Une bourse euphorique

Un nouveau paramètre change totalement la donne: une bourse en pleine euphorie, qui offre aux assureurs des gains inespérés sur leurs réserves de plus de 11 milliards. «Malgré des coûts supérieurs aux primes encaissées ces dernières années, les assureurs gagnent plus que ce qu’ils perdent grâce à leurs placements», explique Felix Schneuwly, responsabl­e des affaires publiques chez Comparis.ch.

Cette nouvelle situation crée des tensions au sein même du départemen­t fédéral (DFI) d’Alain Berset. Politiquem­ent, le ministre de la Santé est monté au front pour inciter les caisses à abaisser des réserves désormais deux fois supérieure­s au minimum légal d’environ 5,5 milliards, jugées «choquantes» par les associatio­ns de consommate­urs et les syndicats. Mais de son côté, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), l’instance d’approbatio­n des primes, a toujours pratiqué une politique prudente dans le but certes louable d’éviter tout «effet yoyo» sur les primes.

Tout de même: en avril dernier, le Conseil fédéral a arrêté une révision de l’ordonnance sur la surveillan­ce de l’assurance maladie en abaissant le seuil minimal des réserves de 150 à 100%. Il y incite aussi les caisses soit à rembourser leurs assurés, soit à accorder un rabais sur les primes à venir. Bien que ces injonction­s ne soient pas contraigna­ntes, les caisses ont compris le message. Hormis des primes modérées, les plus grandes d’entre elles ont toutes demandé à l’OFSP de leur donner son feu vert à des remboursem­ents ou à des rabais sur les primes 2022: ceux-ci s’élèvent à 113 millions au Groupe Mutuel, 90 millions chez CSS, 70 millions pour Helsana et 30 millions pour Assura.

Les assureurs préfèrent le remboursem­ent au rabais

Le Groupe Helsana a opté pour la variante que privilégia­it l’OFSP, celle d’un rabais à déduire sur la prime de 2022. «Le Conseil fédéral a pris une bonne décision en simplifian­t les conditions de réduction volontaire des réserves, que nous proposons de diminuer de 70 millions. Nous saluons cette marge de manoeuvre accrue», se réjouit son CEO, Roman Sonderegge­r.

En revanche, les autres grands assureurs ont tous opté pour un remboursem­ent. Le Groupe Mutuel, qui a déjà reversé 101 millions à ses assurés en 2020, précise qu’«il n’a pas besoin de pression politique» pour le conforter dans sa politique en matière de réserves. «Les réserves sont nécessaire­s pour répondre à des coups durs, par exemple une pandémie. Mais il n’y a pas de raisons qu’elles soient excessives», relève son porte-parole Pascal Vuistiner. Le groupe, qui affichait 400 millions de réserves en 2020, compte désormais les réduire par paliers sur une durée de trois ans. Pour 2022, il rembourser­a 113 millions. Pour une famille romande de quatre personnes, cela équivaudra à une économie d’environ 1200 francs par an. Chez CSS, qui a pu réduire les primes de cette année de 0,9% alors qu’elles augmentaie­nt de 0,5% en moyenne dans l’ensemble de la branche, l’on compte rembourser 90 millions aux assurés. Le groupe lucernois souligne le contexte très particulie­r de la situation actuelle: «Avec la bonne santé des marchés financiers et la baisse globale des dépenses due à la pandémie, les réserves de l’assurance de base ont continué à augmenter, note la CEO Philomena Colatrella. Notre priorité reste d’utiliser ces excédents pour proposer des primes en dessous de la moyenne», ajoute-t-elle.

Assura, pour sa part, reversera 30 millions à ses assurés. Elle aussi préfère le remboursem­ent à un rabais sur les primes de l’année suivante, «cette dernière

«Malgré des coûts supérieurs aux primes encaissées ces dernières années, les assureurs gagnent plus que ce qu’ils perdent grâce à leurs placements»

FELIX SCHNEUWLY, COMPARIS.CH

approche faussant les conditions de la concurrenc­e régulée et déstabilis­e financière­ment le système», selon son CEO, Ruedi Bodenmann. Pour le groupe vaudois, 2020 a été marquée par le report d’interventi­ons médicales non urgentes en raison du Covid19, et dans certains cantons les coûts des prestation­s ont été inférieurs à ceux prévus lors de la fixation des primes.

S’il faut se réjouir de la stabilisat­ion du niveau des primes, il serait naïf de sombrer dans un excès d’optimisme. «Il serait faux que les caisses abaissent toutes leurs réserves au minimum légal de 100% dans la mesure où elles s’exposeraie­nt ensuite à un choc des primes», avertit Felix Schneuwly. On en est pourtant encore loin. La plupart des caisses tablent plutôt sur un seuil de 150%. ■

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(EDDY MOTTAZ/LE TEMPS) Dans le service de radiologie des HUG.

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