Un grand jeu contre Pékin
GÉOPOLITIQUE Les Etats-Unis, le RoyaumeUni et l’Australie viennent de sceller une alliance de défense
■ Baptisé «Aukus», ce partenariat vise avant tout les prétentions chinoises. Et il risque de compliquer encore un peu plus les relations géostratégiques entre Canberra et Pékin. Explications
Mercredi, le nom de la Chine n’a jamais été mentionné, ni par Joe Biden, ni par Scott Morrison ou Boris Johnson. Pourtant, en scellant un nouvel axe stratégique de défense dénommé Aukus, le président américain ainsi que les premiers ministres australien et britannique contrent Pékin et sa volonté d’accroître ses capacités militaires. En promettant de doter l’Australie de sous-marins d’attaque à propulsion nucléaire, les EtatsUnis semblent mettre en oeuvre de façon plus concrète et agressive le «pivot vers l’Asie» décidé par l’administration de Barack Obama.
Ilots militarisés
La marine australienne verra ses capacités considérablement augmentées avec des sous-marins plus rapides, plus difficilement détectables et plus puissants. Elle pourra mener des patrouilles en mer de Chine du Sud, que la Chine considère comme sa zone d’influence exclusive. Une perspective qui va à coup sûr contribuer à augmenter les tensions régionales. A l’époque de l’administration Obama, Pékin avait déjà commencé à occuper différents îlots en mer de Chine en aménageant des pistes d’atterrissage, des hangars pour avions de combat et des systèmes de missiles. Aujourd’hui, la marine chinoise aurait au moins six sous-marins à propulsion nucléaire et envisagerait d’en construire davantage ces prochaines années. Elle dispose aussi de sous-marins à propulsion classique.
Cette alliance n’est pas surprenante, si l’on songe au partenariat de défense Five Eyes, qui unit les services de renseignement des trois pays avec la Nouvelle-Zélande et le Canada. Ou au pacte militaire Anzus, conclu en 1951 par les EtatsUnis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande et dont cette dernière s’est extraite, explique Marc Finaud, chercheur au Centre de politique de sécurité (GCSP) à Genève et spécialiste des questions d’armement. Elle n’en marque pas moins un moment important dans la manière dont les trois pays entendent affirmer leur présence stratégique dans la région indo-pacifique.
Jusqu’ici, les Etats-Unis n’ont livré des sous-marins à propulsion nucléaire qu’au Royaume-Uni dans le cadre de la guerre froide et de l’opposition de l’Occident à l’Union soviétique. Le fait qu’ils en livreront à l’Australie, si l’accord est mis en oeuvre, est nouveau. Pour Canberra, c’est un tournant. L’Australie, dont le tiers des exportations est destiné à l’Empire du Milieu, est très dépendante de la Chine. Après avoir fait le pari d’interdire le géant des télécommunications Huawei dans ses réseaux, elle fait un pas de plus, militaire celui-là, qui pourrait avoir un sérieux impact sur ses relations commerciales. Ces dernières années, l’Australie avait trouvé un équilibre entre ses intérêts commerciaux avec la Chine et sécuritaires avec les Etats-Unis. Là, elle le rompt radicalement. A voir si la Chine, qui dépend fortement des minerais australiens, choisira la voie de la confrontation.
Uranium hautement enrichi
Marc Finaud le relève: «Face à la crainte de l’hégémonie de Pékin dans la région indo-pacifique et à sa montée en puissance militaire, il y avait une fenêtre d’opportunité. La Chine est devenue l’adversaire idéal. Mais c’est à double tranchant. Certains experts mettent en garde contre le risque de paranoïa qui pourrait encourager les va-t-en-guerre et le complexe militaro-industriel.» Que l’Australie ait choisi des sous-marins américains et non français ne le surprend pas: «L’Australie a déjà un système de radars de détection au service de la dissuasion américaine, des bases américaines sur son sol. Et elle a été très proche de Washington dans les guerres en Irak et en Afghanistan.»
Le chercheur du GCSP met toutefois en garde: «Contrairement aux sous-marins français qui sont à propulsion classique, les sous-marins américains à propulsion nucléaire posent des questions en termes de non-prolifération. Non pas qu’ils soient dotés d’armes nucléaires, mais parce qu’ils fonctionnent avec de l’uranium hautement enrichi. Or, avec l’uranium hautement enrichi, on produit des bombes. Il y a un risque de prolifération, même s’il est contenu par le fait que les Etats-Unis vont garder l’Australie sous contrôle.»
Ce qui est dommageable, ajoute Marc Finaud, c’est que cette alliance de défense envoie un message très négatif, alors qu’est entré en vigueur voici plus d’un an le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires. Au même moment, le Pakistan, l’Inde, voire le Royaume-Uni, accroissent leurs arsenaux nucléaires. «Il aurait peut-être été plus constructif de prendre langue avec les Chinois pour les inciter à être plus transparents quant à leurs arsenaux nucléaires et à mener une politique responsable», conclut-il. Il est vrai qu’il y a quelques mois, des photos satellites américaines montraient plus d’une centaine de silos installés par Pékin dans le désert de Gobi. ■
«Contrairement aux français, les sous-marins américains sont à propulsion nucléaire»
MARC FINAUD, SPÉCIALISTE DES QUESTIONS D’ARMEMENT