Subsides à l’assurance maladie: feu nourri des cantons contre la Confédération
La Confédération essuie de vives critiques avec sa solution pour contrer l’initiative socialiste d’allègement des primes. Elle est priée de participer à l’effort financier, qui coûte déjà près de 5 milliards aux collectivités et pourrait doubler en cas d’acceptation de l’initiative
Pour célébrer son quart de siècle d’existence, la loi sur l’assurance maladie (LAMal) s’offre un automne politique animé. A la traditionnelle communication du montant des primes 2022 vient s’ajouter le contre-projet indirect du Conseil fédéral à l’initiative d’allègement des primes. Déposé par le Parti socialiste, le texte demande que les ménages ne consacrent pas plus de 10% de leur revenu disponible à l’assurance de base, le solde devant être compensé par des subsides. Une disposition analogue est déjà en vigueur dans le canton de Vaud.
Dans 24 des 26 cantons, la population dédie plus de 10% de son budget au paiement des primes, seuls Zoug et les Grisons faisant exception. Ce poste ne cesse de s’accroître depuis l’introduction de la LAMal puisque les primes ont triplé en vingt-cinq ans, un rythme beaucoup plus rapide que l’évolution des salaires. Et jusqu’à présent, les remèdes politiques pour réduire les coûts de la santé se sont révélés insuffisants ou ont été enterrés.
Cette situation n’est pas sans incidence. D’après l’enquête menée l’an dernier par l’Observatoire suisse de la santé Obsan, 16% de la population suisse a renoncé à consulter en raison des coûts. Au niveau international, cela correspond à la deuxième place, juste derrière les Etats-Unis, où 25,5% des résidents se sont abstenus pour le même motif.
Dès lors, la Confédération et les cantons prennent chaque année en charge une part croissante de cette assurance obligatoire, soit près de 5 milliards de francs en 2019, ou 15,5% du montant total des primes, contre 1,46 milliard en 1996. Plus de 36% des ménages du pays représentant 2,32 millions de personnes sont désormais subventionnés, partiellement ou totalement. Par ailleurs, les actes de défaut de biens se multiplient, situation dans laquelle l’Etat intervient également pour rembourser les caisses maladie – une facture à 70 millions rien qu’à Genève l’an dernier.
Conception «déficiente», attitude «méprisante»
L’initiative ferait passer le montant des subsides à près de 10 milliards de francs par année dès 2024. La jugeant trop coûteuse, le Conseil fédéral a décidé d’y opposer un contre-projet indirect. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mouture initiale du gouvernement n’a pas convaincu les cantons. Lors de la consultation, ceux-ci ont fustigé un projet «mal ciblé», «surprenant», fondé sur une conception «déficiente» et comportant des «erreurs grossières». L’ensemble dénote «l’attitude méprisante» de la Confédération envers les cantons.
On saura, au plus tard le 3 octobre, si le Conseil fédéral a tenu compte des critiques lorsqu’il présentera au parlement sa solution pour contrer l’initiative. Pour l’heure, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) ne fait aucun commentaire, précisant que le gouvernement doit d’abord prendre connaissance du résultat de la consultation avant de prendre position sur une éventuelle adaptation de son contre-projet.
«En l’état, sa proposition est curieuse, à la fois politiquement et conceptuellement, fait poliment remarquer Thierry Apothéloz, conseiller d’Etat genevois et président de la Conférence latine des affaires sanitaires et sociales (Class). Face au rejet unanime des cantons, le Conseil fédéral va devoir revoir sa copie, sans quoi il fera le lit de l’initiative qu’il entend combattre.» A Genève, les subsides, versés à 34% des habitants du canton, dépassent le demi-milliard de francs par année depuis la hausse approuvée par le peuple en 2019. Ce qui représente plus de 5% des dépenses totales de l’Etat.
Le courroux des cantons provient d’abord de la répartition de la charge de ces subsides. Alors que l’initiative prévoit que la Confédération assume deux tiers des coûts et les cantons le tiers restant, le DFI propose que ce fardeau repose intégralement sur les épaules de l’échelon inférieur – une offrande devisée à 758 millions supplémentaires par an. L’effort actuellement fourni varie grandement d’un canton à l’autre.
En faisant passer les cantons à la caisse, Berne veut inciter ceux-ci à réduire les coûts de la santé, notamment dans la planification hospitalière, et tenir compte des disparités fiscales. «Le DFI oublie que le cadre juridique dépend de la Confédération. Par ailleurs, certains coûts – comme le prix des médicaments – échappent également à la compétence cantonale», précise Florence Nater, conseillère d’Etat neuchâteloise.
Pour le canton de Vaud, qui compense déjà par des subsides l’excédent de prime au-delà du 10% du revenu disponible, l’initiative et le contre-projet auraient un effet limité. La conseillère d’Etat Rebecca Ruiz n’en reste pas moins très critique envers le Conseil fédéral. Elle fustige en particulier ses «défauts techniques», qui créent de «forts effets de seuil» dans la part minimale que les cantons devraient prendre en charge dans la réduction des primes individuelles.
Pénaliser les cantons pauvres, favoriser les riches
Chiffres à l’appui, la Class démontre que la solution confédérale est onéreuse et socialement inefficace. Ainsi, «aucune amélioration n’est apportée pour la population de deux des trois cantons dans lesquels la charge des primes pèse le plus lourdement dans le revenu des ménages», note la Class au sujet de Neuchâtel et du Jura. Genève et Vaud n’en bénéficient pas non plus. A l’inverse, la situation se bonifie dans certains des cantons qui en ont le moins besoin, comme Zoug.
Pour remédier aux défauts détectés, les cantons y sont allés de leur propre proposition, évaluée à 488 millions de francs. Leur variante favorise les cantons dont la population le nécessite et suggère que la Confédération paie 80% de la facture supplémentaire.
Pour couronner le tout, l’avant-projet du Conseil fédéral est arrivé comme un cheveu sur la soupe, alors que cantons et Confédération avaient amorcé en 2019 des négociations sur la réforme de la répartition des tâches, dite RPT2, qui comprenaient justement l’épineux dossier des subsides. Dans son rapport de politique extérieure, le Conseil d’Etat genevois le déplore: «Le Conseil fédéral a modifié unilatéralement le contenu du projet de révision et mis un coup d’arrêt au processus.» ■