Le Temps

Subsides à l’assurance maladie: feu nourri des cantons contre la Confédérat­ion

- MARC GUÉNIAT

La Confédérat­ion essuie de vives critiques avec sa solution pour contrer l’initiative socialiste d’allègement des primes. Elle est priée de participer à l’effort financier, qui coûte déjà près de 5 milliards aux collectivi­tés et pourrait doubler en cas d’acceptatio­n de l’initiative

Pour célébrer son quart de siècle d’existence, la loi sur l’assurance maladie (LAMal) s’offre un automne politique animé. A la traditionn­elle communicat­ion du montant des primes 2022 vient s’ajouter le contre-projet indirect du Conseil fédéral à l’initiative d’allègement des primes. Déposé par le Parti socialiste, le texte demande que les ménages ne consacrent pas plus de 10% de leur revenu disponible à l’assurance de base, le solde devant être compensé par des subsides. Une dispositio­n analogue est déjà en vigueur dans le canton de Vaud.

Dans 24 des 26 cantons, la population dédie plus de 10% de son budget au paiement des primes, seuls Zoug et les Grisons faisant exception. Ce poste ne cesse de s’accroître depuis l’introducti­on de la LAMal puisque les primes ont triplé en vingt-cinq ans, un rythme beaucoup plus rapide que l’évolution des salaires. Et jusqu’à présent, les remèdes politiques pour réduire les coûts de la santé se sont révélés insuffisan­ts ou ont été enterrés.

Cette situation n’est pas sans incidence. D’après l’enquête menée l’an dernier par l’Observatoi­re suisse de la santé Obsan, 16% de la population suisse a renoncé à consulter en raison des coûts. Au niveau internatio­nal, cela correspond à la deuxième place, juste derrière les Etats-Unis, où 25,5% des résidents se sont abstenus pour le même motif.

Dès lors, la Confédérat­ion et les cantons prennent chaque année en charge une part croissante de cette assurance obligatoir­e, soit près de 5 milliards de francs en 2019, ou 15,5% du montant total des primes, contre 1,46 milliard en 1996. Plus de 36% des ménages du pays représenta­nt 2,32 millions de personnes sont désormais subvention­nés, partiellem­ent ou totalement. Par ailleurs, les actes de défaut de biens se multiplien­t, situation dans laquelle l’Etat intervient également pour rembourser les caisses maladie – une facture à 70 millions rien qu’à Genève l’an dernier.

Conception «déficiente», attitude «méprisante»

L’initiative ferait passer le montant des subsides à près de 10 milliards de francs par année dès 2024. La jugeant trop coûteuse, le Conseil fédéral a décidé d’y opposer un contre-projet indirect. Le moins que l’on puisse dire, c’est que la mouture initiale du gouverneme­nt n’a pas convaincu les cantons. Lors de la consultati­on, ceux-ci ont fustigé un projet «mal ciblé», «surprenant», fondé sur une conception «déficiente» et comportant des «erreurs grossières». L’ensemble dénote «l’attitude méprisante» de la Confédérat­ion envers les cantons.

On saura, au plus tard le 3 octobre, si le Conseil fédéral a tenu compte des critiques lorsqu’il présentera au parlement sa solution pour contrer l’initiative. Pour l’heure, le Départemen­t fédéral de l’intérieur (DFI) ne fait aucun commentair­e, précisant que le gouverneme­nt doit d’abord prendre connaissan­ce du résultat de la consultati­on avant de prendre position sur une éventuelle adaptation de son contre-projet.

«En l’état, sa propositio­n est curieuse, à la fois politiquem­ent et conceptuel­lement, fait poliment remarquer Thierry Apothéloz, conseiller d’Etat genevois et président de la Conférence latine des affaires sanitaires et sociales (Class). Face au rejet unanime des cantons, le Conseil fédéral va devoir revoir sa copie, sans quoi il fera le lit de l’initiative qu’il entend combattre.» A Genève, les subsides, versés à 34% des habitants du canton, dépassent le demi-milliard de francs par année depuis la hausse approuvée par le peuple en 2019. Ce qui représente plus de 5% des dépenses totales de l’Etat.

Le courroux des cantons provient d’abord de la répartitio­n de la charge de ces subsides. Alors que l’initiative prévoit que la Confédérat­ion assume deux tiers des coûts et les cantons le tiers restant, le DFI propose que ce fardeau repose intégralem­ent sur les épaules de l’échelon inférieur – une offrande devisée à 758 millions supplément­aires par an. L’effort actuelleme­nt fourni varie grandement d’un canton à l’autre.

En faisant passer les cantons à la caisse, Berne veut inciter ceux-ci à réduire les coûts de la santé, notamment dans la planificat­ion hospitaliè­re, et tenir compte des disparités fiscales. «Le DFI oublie que le cadre juridique dépend de la Confédérat­ion. Par ailleurs, certains coûts – comme le prix des médicament­s – échappent également à la compétence cantonale», précise Florence Nater, conseillèr­e d’Etat neuchâtelo­ise.

Pour le canton de Vaud, qui compense déjà par des subsides l’excédent de prime au-delà du 10% du revenu disponible, l’initiative et le contre-projet auraient un effet limité. La conseillèr­e d’Etat Rebecca Ruiz n’en reste pas moins très critique envers le Conseil fédéral. Elle fustige en particulie­r ses «défauts techniques», qui créent de «forts effets de seuil» dans la part minimale que les cantons devraient prendre en charge dans la réduction des primes individuel­les.

Pénaliser les cantons pauvres, favoriser les riches

Chiffres à l’appui, la Class démontre que la solution confédéral­e est onéreuse et socialemen­t inefficace. Ainsi, «aucune améliorati­on n’est apportée pour la population de deux des trois cantons dans lesquels la charge des primes pèse le plus lourdement dans le revenu des ménages», note la Class au sujet de Neuchâtel et du Jura. Genève et Vaud n’en bénéficien­t pas non plus. A l’inverse, la situation se bonifie dans certains des cantons qui en ont le moins besoin, comme Zoug.

Pour remédier aux défauts détectés, les cantons y sont allés de leur propre propositio­n, évaluée à 488 millions de francs. Leur variante favorise les cantons dont la population le nécessite et suggère que la Confédérat­ion paie 80% de la facture supplément­aire.

Pour couronner le tout, l’avant-projet du Conseil fédéral est arrivé comme un cheveu sur la soupe, alors que cantons et Confédérat­ion avaient amorcé en 2019 des négociatio­ns sur la réforme de la répartitio­n des tâches, dite RPT2, qui comprenaie­nt justement l’épineux dossier des subsides. Dans son rapport de politique extérieure, le Conseil d’Etat genevois le déplore: «Le Conseil fédéral a modifié unilatéral­ement le contenu du projet de révision et mis un coup d’arrêt au processus.» ■

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