Le certificat et la fatigue s’abattent sur la Suisse
Fatigue est le mot qui semble s'imposer. Fatigue des vaccinés qui ne comprennent pas la position de la minorité non vaccinée, fatigue de cette même minorité face à l'introduction du certificat covid dans tous les domaines du quotidien. Et fatigue de voir tant de débats déraper sur les réseaux sociaux. Face à cet épuisement généralisé, je pense que nous devons faire un double pari de l'honnêteté et de l'empathie.
En matière d'honnêteté, la condition principale d'un certificat acceptable me semble être d'éviter une obligation détournée de se vacciner. Le propos ne porte pas ici sur un scepticisme face au vaccin. Je suis un fervent promoteur du vaccin, à titre de prévention individuelle et de contribution solidaire. Le danger porte plutôt sur la cohérence de notre position en tant que société: nous avons choisi de protéger l'intégrité physique et de garantir la liberté de ne pas se vacciner, et ce même pour des raisons irrationnelles aux yeux de la majorité. Il faut donc être cohérent avec cet engagement. Dans le cas contraire, nous pouvons passer à un modèle où la vaccination devient obligatoire. En imposant la vaccination au secteur public et à tous ses sous-traitants, le président Biden vient d'opérer ce changement de paradigme. A défaut, l'honnêteté nous appelle à faire un constat: s'il devient impossible de vivre une vie normale sans montrer le certificat et que les tests individuels sont payants (dès le 1er octobre), alors la vaccination devient de facto obligatoire. Le danger ne vient pas d'une activité unique qui serait rendue impossible (par exemple aller au restaurant ou visiter un musée), mais du cumul des activités dépendantes du certificat. Chaque activité prise pour elle-même paraît acceptable mais, mises bout à bout, elles englobent l'entier du quotidien.
Il y a dans le type d'arguments en faveur de l'extension du certificat covid une force inarrêtable, presque effrayante. Il suffit de mettre ensemble deux propositions: «Il est possible de mener une vie normale sans faire X» (remplacez
X par n'importe quelle activité) et «Les gens peuvent aller se faire vacciner, c'est leur faute/responsabilité s'ils refusent ce certificat». Ces deux propositions permettent de justifier toutes les extensions. En mai, le Conseil fédéral prévoyait des activités où le certificat était interdit (le fameux domaine «vert»). Aujourd'hui, l'accès aux hautes écoles dépend du certificat et le lieu de travail peut y être soumis. Les transports publics et les écoles pour les plus de 16 ans ne tiennent qu'à un fil. Le canton des Grisons avait d'ailleurs demandé d'étudier la possibilité d'utiliser le certificat dans les transports publics. Pourquoi pas? Il est possible de vivre normalement sans prendre le train et les gens n'ont qu'à se faire vacciner. Inarrêtable.
Face à cette tentation de la «pente glissante», quelles sont les lignes que nous refuserons de franchir et, surtout, pourquoi? En plus de cette condition générale d'honnêteté par rapport à l'obligation vaccinale, l'utilisation du certificat devrait être soumise à deux conditions supplémentaires. Premièrement, le domaine d'activité soumis au certificat est-il un lieu de contagion? Pour répondre à cette question, nous avons besoin de chiffres – ou au moins de faisceaux d'indices. Si le domaine d'activité visé n'est pas un lieu de contagion (grâce aux mesures actuellement en vigueur ou en raison du type d'activité), alors il n'y a pas de justification pour imposer le certificat. Deuxièmement, l'introduction du certificat dans un domaine d'activité est-elle une mesure d'ultima ratio? Existe-t-il d'autres mesures capables d'atteindre le même objectif de protection, sans mettre à mal la liberté de ne pas se vacciner?
On opposera que tout ceci est bien gentil, mais que l'alternative qui s'offre à nous est la suivante: soit le certificat, soit la fermeture généralisée. Et vous, que choisiriez-vous? Avant toutes choses, cette question rappelle que celui qui décide des termes de l'alternative commande le débat, un grand classique de l'art de la négociation. Avant de discuter la substance, il faut donc se demander si les deux termes proposés sont les bons. Ici, les termes proposés sont trompeurs car d'une part la véritable question se trouve dans les conditions d'accès au certificat, notamment la question du remboursement des tests. D'autre part, il faut ajouter à l'alternative toutes les mesures différentes et moins contraignantes qui permettraient d'atteindre l'objectif de protection. Afin de mettre le débat sur de meilleurs rails, l'alternative devrait donc au moins inclure ces quatre options: certificat avec tests payants, certificat avec tests remboursés, autres mesures équivalentes, fermeture sectorielle.
Ce nouveau cadrage fait clairement apparaître la véritable question politique qui accompagne l'extension du certificat: le remboursement des tests. Ce remboursement devrait être vu comme un investissement consenti par la majorité pour permettre à la minorité des non-vaccinés de continuer à exercer la liberté que la société leur reconnaît. C'est particulièrement vrai lorsque des biens très importants sont en jeu (comme l'accès aux hautes écoles ou au travail). Partout où l'exigence du certificat équivaut de fait à une obligation de vaccination (vie normale impossible), les tests devraient être remboursés. Il serait d'ailleurs intéressant de savoir combien ont coûté l'ensemble des tests payés par la Confédération depuis début 2021. Cette information chiffrée est clé dans un débat qui ne se résume plus à «certificat ou fermeture généralisée». Savoir combien de millions sont en jeu permettrait également de débattre sur une base commune et moins idéologique.
Reste le défi de la fatigue: avonsnous collectivement encore les ressources pour poser cette question en termes de protection d'une liberté de la minorité non vaccinée? La facilité serait de se complaire dans l'invective et le mépris et de passer en force. A l'inverse, continuons à faire le pari de l'honnêteté et de l'empathie. ■