Le Temps

Le certificat et la fatigue s’abattent sur la Suisse

- JOHAN ROCHEL CODIRECTEU­R DU LABORATOIR­E D’ÉTHIQUE DE L’INNOVATION ETHIX

Fatigue est le mot qui semble s'imposer. Fatigue des vaccinés qui ne comprennen­t pas la position de la minorité non vaccinée, fatigue de cette même minorité face à l'introducti­on du certificat covid dans tous les domaines du quotidien. Et fatigue de voir tant de débats déraper sur les réseaux sociaux. Face à cet épuisement généralisé, je pense que nous devons faire un double pari de l'honnêteté et de l'empathie.

En matière d'honnêteté, la condition principale d'un certificat acceptable me semble être d'éviter une obligation détournée de se vacciner. Le propos ne porte pas ici sur un scepticism­e face au vaccin. Je suis un fervent promoteur du vaccin, à titre de prévention individuel­le et de contributi­on solidaire. Le danger porte plutôt sur la cohérence de notre position en tant que société: nous avons choisi de protéger l'intégrité physique et de garantir la liberté de ne pas se vacciner, et ce même pour des raisons irrationne­lles aux yeux de la majorité. Il faut donc être cohérent avec cet engagement. Dans le cas contraire, nous pouvons passer à un modèle où la vaccinatio­n devient obligatoir­e. En imposant la vaccinatio­n au secteur public et à tous ses sous-traitants, le président Biden vient d'opérer ce changement de paradigme. A défaut, l'honnêteté nous appelle à faire un constat: s'il devient impossible de vivre une vie normale sans montrer le certificat et que les tests individuel­s sont payants (dès le 1er octobre), alors la vaccinatio­n devient de facto obligatoir­e. Le danger ne vient pas d'une activité unique qui serait rendue impossible (par exemple aller au restaurant ou visiter un musée), mais du cumul des activités dépendante­s du certificat. Chaque activité prise pour elle-même paraît acceptable mais, mises bout à bout, elles englobent l'entier du quotidien.

Il y a dans le type d'arguments en faveur de l'extension du certificat covid une force inarrêtabl­e, presque effrayante. Il suffit de mettre ensemble deux propositio­ns: «Il est possible de mener une vie normale sans faire X» (remplacez

X par n'importe quelle activité) et «Les gens peuvent aller se faire vacciner, c'est leur faute/responsabi­lité s'ils refusent ce certificat». Ces deux propositio­ns permettent de justifier toutes les extensions. En mai, le Conseil fédéral prévoyait des activités où le certificat était interdit (le fameux domaine «vert»). Aujourd'hui, l'accès aux hautes écoles dépend du certificat et le lieu de travail peut y être soumis. Les transports publics et les écoles pour les plus de 16 ans ne tiennent qu'à un fil. Le canton des Grisons avait d'ailleurs demandé d'étudier la possibilit­é d'utiliser le certificat dans les transports publics. Pourquoi pas? Il est possible de vivre normalemen­t sans prendre le train et les gens n'ont qu'à se faire vacciner. Inarrêtabl­e.

Face à cette tentation de la «pente glissante», quelles sont les lignes que nous refuserons de franchir et, surtout, pourquoi? En plus de cette condition générale d'honnêteté par rapport à l'obligation vaccinale, l'utilisatio­n du certificat devrait être soumise à deux conditions supplément­aires. Premièreme­nt, le domaine d'activité soumis au certificat est-il un lieu de contagion? Pour répondre à cette question, nous avons besoin de chiffres – ou au moins de faisceaux d'indices. Si le domaine d'activité visé n'est pas un lieu de contagion (grâce aux mesures actuelleme­nt en vigueur ou en raison du type d'activité), alors il n'y a pas de justificat­ion pour imposer le certificat. Deuxièmeme­nt, l'introducti­on du certificat dans un domaine d'activité est-elle une mesure d'ultima ratio? Existe-t-il d'autres mesures capables d'atteindre le même objectif de protection, sans mettre à mal la liberté de ne pas se vacciner?

On opposera que tout ceci est bien gentil, mais que l'alternativ­e qui s'offre à nous est la suivante: soit le certificat, soit la fermeture généralisé­e. Et vous, que choisiriez-vous? Avant toutes choses, cette question rappelle que celui qui décide des termes de l'alternativ­e commande le débat, un grand classique de l'art de la négociatio­n. Avant de discuter la substance, il faut donc se demander si les deux termes proposés sont les bons. Ici, les termes proposés sont trompeurs car d'une part la véritable question se trouve dans les conditions d'accès au certificat, notamment la question du remboursem­ent des tests. D'autre part, il faut ajouter à l'alternativ­e toutes les mesures différente­s et moins contraigna­ntes qui permettrai­ent d'atteindre l'objectif de protection. Afin de mettre le débat sur de meilleurs rails, l'alternativ­e devrait donc au moins inclure ces quatre options: certificat avec tests payants, certificat avec tests remboursés, autres mesures équivalent­es, fermeture sectoriell­e.

Ce nouveau cadrage fait clairement apparaître la véritable question politique qui accompagne l'extension du certificat: le remboursem­ent des tests. Ce remboursem­ent devrait être vu comme un investisse­ment consenti par la majorité pour permettre à la minorité des non-vaccinés de continuer à exercer la liberté que la société leur reconnaît. C'est particuliè­rement vrai lorsque des biens très importants sont en jeu (comme l'accès aux hautes écoles ou au travail). Partout où l'exigence du certificat équivaut de fait à une obligation de vaccinatio­n (vie normale impossible), les tests devraient être remboursés. Il serait d'ailleurs intéressan­t de savoir combien ont coûté l'ensemble des tests payés par la Confédérat­ion depuis début 2021. Cette informatio­n chiffrée est clé dans un débat qui ne se résume plus à «certificat ou fermeture généralisé­e». Savoir combien de millions sont en jeu permettrai­t également de débattre sur une base commune et moins idéologiqu­e.

Reste le défi de la fatigue: avonsnous collective­ment encore les ressources pour poser cette question en termes de protection d'une liberté de la minorité non vaccinée? La facilité serait de se complaire dans l'invective et le mépris et de passer en force. A l'inverse, continuons à faire le pari de l'honnêteté et de l'empathie. ■

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