Le Temps

Deux gifles aux Européens

- LUIS LEMA @luislema

C’était il y a tout juste un mois. Le retrait précipité des Américains d’Afghanista­n avait laissé l’Europe sans voix. En spectateur­s impuissant­s, les alliés européens assistaien­t à l’évacuation chaotique de l’aéroport de Kaboul, sur laquelle ils n’avaient aucune prise. Le goût était d’autant plus amer que plusieurs armées du Vieux-Continent avaient combattu pendant des années en Afghanista­n. Or non seulement les Européens n’ont jamais été réellement consultés par Washington sur les modalités de ce retrait, mais ce sont eux qui devront sans doute payer bon nombre des conséquenc­es, en termes d’instabilit­é de la région et de regain possible du terrorisme.

Certes, vu d’Europe, le calcul des Etats-Unis demeurait parfaiteme­nt compréhens­ible: assez de ces guerres «périphériq­ues» sans fin, ne cesse de répéter l’administra­tion américaine actuelle, comme l’avaient fait avant elle les deux précédente­s. Il est temps de redéployer les ressources américaine­s vers une bataille qui s’annonce autrement plus importante, celle de la confrontat­ion avec la Chine.

C’est dans ce contexte qu’intervient aujourd’hui la décision de l’Australie – très fortement encouragée dans ce sens par les Etats-Unis et le RoyaumeUni – de déchirer «l’accord du siècle» conclu avec Paris, soit l’achat de 12 sous-marins de fabricatio­n française. Des 35 milliards d’euros que représenta­it ce contrat, 8 revenaient directemen­t aux Français, le reste servant à «armer» les sous-marins, grâce à la technologi­e américaine.

Dotés désormais de propulsion nucléaire, les sous-marins seront finalement une coproducti­on entre Washington, Londres et Canberra. Ces équipement­s sont bien sûr destinés à figurer au coeur de la nouvelle stratégie américaine en Asie, pour faire face à la puissance chinoise. Mais que ce soit en «périphérie» ou au centre du jeu, la méthode est devenue la même face aux vieux alliés européens dépités. La France aurait ainsi été à peine informée de cette soudaine mise à l’écart, qualifiée par le chef de la diplomatie française Jean Yves Le Drian de «coup dans le dos».

Des différends sur l’applicatio­n des termes du contrat et des retards, côté français, sont évoqués par l’Australie. Mais que cela soit vrai ou non, la France, et derrière elle l’Europe dans son ensemble, n’a plus que les yeux pour pleurer. Que ce soit au Moyen-Orient ou dans le Pacifique, les Etats-Unis leur signifient qu’ils entendent agir seuls, ce que Donald Trump avait déjà fait comprendre brutalemen­t avec son «America First». Reste que la pilule est encore plus difficile à avaler lorsqu’elle est imposée par Joe Biden, tout en mesure et en amabilités apparentes. Proposé mercredi par Ursula von der Leyen, le sommet européen sur la défense, qui devrait se tenir en février à Toulouse sous présidence tournante française, ne pourra pas éviter le sujet…

Voilà des décennies que l’Europe ne fait que rêver mollement à une défense commune, ayant accepté d’elle-même de se placer sous la tutelle des Américains. Ironie du calendrier, c’est hier, en pleine débâcle sous-marine australien­ne, que la Commission européenne a publié sa «stratégie pour la région indo-pacifique». Une collision de dates fatale alors que l’UE est, sur le plan stratégiqu­e, en train de devenir «périphériq­ue». ■

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