Les leçons de la première campagne post-Merkel
En élisant leurs représentants le 26 septembre, beaucoup d’Allemands espéreront le retour à une stabilité qui fait défaut depuis quelques mois. Le départ de la chancelière et les dynamiques internes aux grands partis ont plusieurs fois bouleversé les pronostics
La peur des «chaussettes rouges», voilà un argument électoral surprenant. C’est pourtant celui que brandissent désormais les conservateurs (CDU/ CSU) à une semaine des législatives. Helmut Kohl avait employé ce sobriquet il y a vingt-sept ans pour désigner les apparatchiks du Parti communiste d’Allemagne de l’Est. Aujourd’hui, la pique vise la possible coalition «Rot-RotGrün» tant redoutée par la droite entre Die Linke – héritier du PC est-allemand –, les sociaux-démocrates (SPD) et les Verts (Bündnis 90/Die Grünen).
Un coup d’oeil sur les derniers sondages le montre: alors qu’Angela Merkel s’apprête à quitter le pouvoir avec une majorité d’avis favorables, rien ne se passe comme prévu pour son camp. Selon le sondage YouGov publié jeudi, le SPD caracole à 25% d’intentions de vote contre 20% à la CDU/CSU et 15% pour les écologistes. Parmi les autres partis, l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) recueille 11%, les libéraux (FDP) 10% et Die Linke 8%.
UNE SUCCESSION QUI A DÉRAILLÉ
Que s’est-il donc passé pour que la CDU/CSU entre dans une phase d’instabilité, entraînant à sa suite l’ensemble du paysage politique allemand lors de cette campagne? Le début de la fin de l’ère Merkel en livre sans doute une première clé: la chancelière a représenté durant seize ans un atout majeur pour sa formation, mais sa succession n’a pu se faire jour. Celle qu’elle avait imaginé jouer ce rôle à la tête de la CDU, Annegret Kramp-Karrenbauer, a trébuché début 2020 pour n’avoir pas empêché la section de Thuringe de joindre ses voix à celles de l’AfD en élisant le président du land. Ceux qui ont repris le flambeau se sont entre-déchirés jusqu’à affaiblir l’homme désigné candidat à la chancellerie: Armin Laschet, ministre président de Rhénanie-du-Nord-Westphalie.
Cet été, alors que s’amorçait déjà la dernière ligne droite de la campagne, celui-ci recevait les piques de son ancien concurrent, le ministre-président de Bavière. «Il est important que nous n’allions pas à la chancellerie en wagon-couchettes», lançait Markus Söder le 23 juillet, dans une critique à peine voilée du style jugé trop conciliant d’Armin Laschet. Une semaine plus tard, il ajoutait que tous deux avaient «convenu qu’il fallait un tempo de campagne plus soutenu».
UNE PERSONNIFICATION INÉDITE
Les chrétiens-démocrates ne sont pas seuls aux prises avec les difficultés de leur candidat. C’est là que réside la deuxième leçon de cette campagne dans un pays qui entretient pourtant une méfiance historique envers toute figure charismatique: la personnification joue en 2021 un rôle plus important que jamais. Armin Laschet, et sa prétendue mollesse, Olaf Scholz, et son austérité, en ont tous deux fait les frais.
Mais personne n’a plus goûté à l’ambivalence de cette personnification qu’Annalena Baerbock. Après avoir connu une ascension
spectaculaire dans les sondages ce printemps, la candidate écologiste a fait face à des accusations de plagiat concernant son dernier livre, d'enjolivement de son CV ou d'inexactitudes dans la déclaration de ses revenus. Celle qui était dépeinte en avril comme la possible première chancelière verte a vu son mouvement rétrogradé en troisième position.
L’ABSENCE DE GRANDS THÈMES
En miroir de l'importance accordée aux candidats se dévoile le troisième enseignement: les grands thèmes ont presque tous été absents de la campagne. Lors du second débat dimanche dernier entre les trois têtes de liste, aucune question n'a été posée quant à la place du pays en Europe et dans le monde. Les critiques – en Allemagne comme à l'étranger – n'ont pas manqué. Pour Thomas Schmid, ancien rédacteur en chef du quotidien Die Welt, la campagne, à l'image de ce débat, est un «scandale». «La CDU/CSU et le SPD se taisent sur les grandes questions de notre époque et traitent les électrices et les électeurs comme des êtres peu exigeants dont on doit s'occuper mais dont il ne faut rien attendre», s'emporte-t-il.
Une seule question majeure, le climat, a pu s'imposer. Mais elle l'a fait au prix de plus de 180 vies emportées par les intempéries qui ont frappé l'ouest du pays à la mi-juillet. Traumatisme national, la catastrophe a rappelé que, quelles que soient les péripéties de la campagne, l'Allemagne vit dans un monde en plein bouleversement.
LE BESOIN DE CONTINUITÉ
Les Allemands – c'est la quatrième et dernière leçon de cette campagne –, bien que conscients des changements en cours, tiennent malgré tout à une forme de continuité et de stabilité. Si Armin Laschet, légataire de l'ère Merkel, paraît aujourd'hui trop affaibli pour remplir ce rôle, son concurrent social-démocrate semble avoir trouvé le juste milieu pour prétendre à la rupture dans la continuité.
«La CDU/CSU et le SPD se taisent sur les grandes questions de notre époque»
THOMAS SCHMID, ANCIEN RÉDACTEUR EN CHEF DU QUOTIDIEN «DIE WELT»
Olaf Scholz représente à la fois un autre parti que celui de la chancelière sortante et une formation qui a gouverné en coalition avec elle. La stratégie longtemps employée par Angela Merkel pour étouffer ses partenaires dans les urnes – la «démobilisation asymétrique» qui, en lissant les différences entre CDU et SPD, décourageait les électeurs de gauche de voter – serait-elle sur le point de se retourner contre son propre parti? A la question rituelle «Wer kann Kanzler?», Olaf Scholz a en tout cas une réponse toute trouvée: la prochaine «chancelière», c'est lui. ■