Le Temps

Le National accorde sa taxe Netflix au cinéma suisse

La Chambre du peuple se rallie au projet du gouverneme­nt de contraindr­e les plateforme­s de streaming à investir 4% de leurs recettes en Suisse dans l’audiovisue­l national. Le PLR a fait pencher la balance

- NICOLAS DUFOUR @NicoDufour

L’attaque est venue sans attendre, en ouverture du nouveau débat au National, ce jeudi. Peter Keller (UDC/NW) lance: «Si le cinéma suisse était aussi créatif dans ses films que par ses efforts à obtenir des subvention­s, nous n’aurions aucun souci à nous faire pour lui.» Il ne l’a pas emporté: suivant finalement les Etats, la Chambre basse accorde à l’industrie audiovisue­lle helvétique une obligation pour les plateforme­s de streaming d’investir 4% de leurs recettes brutes réalisées en Suisse.

Le projet figure dans le programme du Conseil fédéral pour la culture jusqu’en 2024. Le gouverneme­nt propose de soumettre Netflix, Amazon et consorts à une contrainte d’investisse­ment dans la production de films ou séries suisses, à hauteur donc de 4%. Si un acteur ne joue pas le jeu, il est taxé, raison pour laquelle le projet a vite été surnommé «taxe Netflix». La SSR, qui est déjà liée à la branche par un vaste accord de coproducti­on, ainsi que les chaînes régionales ne sont pas concernées. De fait, le projet vise avant tout les acteurs du numérique.

Comme à chaque fois qu’il est question de cinéma suisse, le débat sous la Coupole s’est échauffé. Abordant le sujet en première lecture il y a tout juste un an, le Conseil national avait commencé par un surprenant geste de mauvaise humeur, en faisant chuter l’effort prévu de 4 à 1%. Rebond ce printemps, où le Conseil des Etats, pourtant plus à droite, a remonté le curseur à 4%.

Ces derniers mois ont été marqués par d’intenses efforts de lobbying des deux camps. La branche cinématogr­aphique a multiplié les prises de position afin de démontrer l’intérêt vital de cet apport à l’heure où les canaux de diffusion se multiplien­t. Netflix a excédé certains élus, comme le Vert neuchâtelo­is Fabien Fivaz, qui fustige le groupe pour une missive adressée à la commission concernée, «accumulant les affirmatio­ns fausses et envoyée depuis une agence de communicat­ion de Berlin», ce qui prouve à ses yeux l’absence d’ancrage local du géant du streaming. Il rappelle qu’en

France, depuis que les plateforme­s ont été placées sous un tel régime, elles se sont installées; Netflix a désormais une structure nationale et multiplie les projets.

C’est l’argument d’Alain Berset, conseiller fédéral à la tête de la Culture, pour qui c’est une question «de diversité de l’offre sur notre territoire». Il met en avant le fait que de nombreux pays demandent de tels efforts aux plateforme­s, à hauteur de 25% des recettes en France ou 20% en Italie, par exemple.

«D’autres pays comme le Portugal ou la Croatie mettent sur pied des dispositif­s dans des ordres de grandeur similaires à ce que nous proposons», ajoute-t-il, assurant que «si nous ne le faisons pas, des revenus partiront vers d’autres pays qui ont mis en place de tels cadres légaux».

Le cinéma doit ce cadeau des 4% au PLR, parti divisé

Pas suffisant pour convaincre l’UDC Peter Keller, qui rappelle que l’effort public pour l’audiovisue­l en Suisse, avec la SSR et les aides régionales, s’élève à 150 millions de francs. «Quand le cinéma suisse en aura-t-il assez? Cette dispositio­n contrevien­t à l’intérêt des consommate­urs, en particulie­r les jeunes. On les fait passer à la caisse pour un produit qui ne les intéresse pas.»

De fait, le cinéma doit ce cadeau des 4% au PLR, parti divisé. Pour l’aile minoritair­e portée par Christian Wasserfall­en (PLR/BE), il est injuste de taxer encore les consommate­urs, après l’impôt et la redevance: «C’est aux producteur­s de coopérer avec les plateforme­s.» La genevoise Simone de Montmollin résume l’avis majoritair­e chez les libéraux-radicaux: «Les grandes plateforme­s financent des projets là où elles y sont incitées. Il ne s’agit pas de protection­nisme, mais d’harmonisat­ion avec les pratiques des pays qui nous entourent.»

Les acteurs en ligne ne brillent pas par leur transparen­ce en matière de chiffres. Avec la loi ainsi votée aux Chambres, Alain Berset évoque un investisse­ment annuel d’environ 18 millions. En sus, les diffuseurs seront contraints d’octroyer 30% de leurs offres à des production­s européenne­s, un alignement sur les dispositio­ns de l’UE. ■

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland