Le National accorde sa taxe Netflix au cinéma suisse
La Chambre du peuple se rallie au projet du gouvernement de contraindre les plateformes de streaming à investir 4% de leurs recettes en Suisse dans l’audiovisuel national. Le PLR a fait pencher la balance
L’attaque est venue sans attendre, en ouverture du nouveau débat au National, ce jeudi. Peter Keller (UDC/NW) lance: «Si le cinéma suisse était aussi créatif dans ses films que par ses efforts à obtenir des subventions, nous n’aurions aucun souci à nous faire pour lui.» Il ne l’a pas emporté: suivant finalement les Etats, la Chambre basse accorde à l’industrie audiovisuelle helvétique une obligation pour les plateformes de streaming d’investir 4% de leurs recettes brutes réalisées en Suisse.
Le projet figure dans le programme du Conseil fédéral pour la culture jusqu’en 2024. Le gouvernement propose de soumettre Netflix, Amazon et consorts à une contrainte d’investissement dans la production de films ou séries suisses, à hauteur donc de 4%. Si un acteur ne joue pas le jeu, il est taxé, raison pour laquelle le projet a vite été surnommé «taxe Netflix». La SSR, qui est déjà liée à la branche par un vaste accord de coproduction, ainsi que les chaînes régionales ne sont pas concernées. De fait, le projet vise avant tout les acteurs du numérique.
Comme à chaque fois qu’il est question de cinéma suisse, le débat sous la Coupole s’est échauffé. Abordant le sujet en première lecture il y a tout juste un an, le Conseil national avait commencé par un surprenant geste de mauvaise humeur, en faisant chuter l’effort prévu de 4 à 1%. Rebond ce printemps, où le Conseil des Etats, pourtant plus à droite, a remonté le curseur à 4%.
Ces derniers mois ont été marqués par d’intenses efforts de lobbying des deux camps. La branche cinématographique a multiplié les prises de position afin de démontrer l’intérêt vital de cet apport à l’heure où les canaux de diffusion se multiplient. Netflix a excédé certains élus, comme le Vert neuchâtelois Fabien Fivaz, qui fustige le groupe pour une missive adressée à la commission concernée, «accumulant les affirmations fausses et envoyée depuis une agence de communication de Berlin», ce qui prouve à ses yeux l’absence d’ancrage local du géant du streaming. Il rappelle qu’en
France, depuis que les plateformes ont été placées sous un tel régime, elles se sont installées; Netflix a désormais une structure nationale et multiplie les projets.
C’est l’argument d’Alain Berset, conseiller fédéral à la tête de la Culture, pour qui c’est une question «de diversité de l’offre sur notre territoire». Il met en avant le fait que de nombreux pays demandent de tels efforts aux plateformes, à hauteur de 25% des recettes en France ou 20% en Italie, par exemple.
«D’autres pays comme le Portugal ou la Croatie mettent sur pied des dispositifs dans des ordres de grandeur similaires à ce que nous proposons», ajoute-t-il, assurant que «si nous ne le faisons pas, des revenus partiront vers d’autres pays qui ont mis en place de tels cadres légaux».
Le cinéma doit ce cadeau des 4% au PLR, parti divisé
Pas suffisant pour convaincre l’UDC Peter Keller, qui rappelle que l’effort public pour l’audiovisuel en Suisse, avec la SSR et les aides régionales, s’élève à 150 millions de francs. «Quand le cinéma suisse en aura-t-il assez? Cette disposition contrevient à l’intérêt des consommateurs, en particulier les jeunes. On les fait passer à la caisse pour un produit qui ne les intéresse pas.»
De fait, le cinéma doit ce cadeau des 4% au PLR, parti divisé. Pour l’aile minoritaire portée par Christian Wasserfallen (PLR/BE), il est injuste de taxer encore les consommateurs, après l’impôt et la redevance: «C’est aux producteurs de coopérer avec les plateformes.» La genevoise Simone de Montmollin résume l’avis majoritaire chez les libéraux-radicaux: «Les grandes plateformes financent des projets là où elles y sont incitées. Il ne s’agit pas de protectionnisme, mais d’harmonisation avec les pratiques des pays qui nous entourent.»
Les acteurs en ligne ne brillent pas par leur transparence en matière de chiffres. Avec la loi ainsi votée aux Chambres, Alain Berset évoque un investissement annuel d’environ 18 millions. En sus, les diffuseurs seront contraints d’octroyer 30% de leurs offres à des productions européennes, un alignement sur les dispositions de l’UE. ■