Le Temps

L’heure de la désescalad­e a sonné

- VINCENT BOURQUIN @bourquvi

Le climat ne cesse de se tendre en Suisse. Les opposants aux mesures sanitaires multiplien­t les rassemblem­ents. Les manifestat­ions se durcissent, comme jeudi soir à proximité du Palais fédéral. Les débordemen­ts ont été tels que des barrières imposantes protègent dorénavant le siège du parlement. Choquant.

La situation devient préoccupan­te. Les responsabl­es politiques devraient s’unir urgemment, comme au début de la crise. Au contraire, certains soufflent sur les braises, comme Ueli Maurer en portant le pull des sonneurs de cloches présents dans toutes ces mobilisati­ons.

Le ministre UDC peut bien sûr avoir des positions différente­s de ses collègues, mais il doit absolument éviter toute provocatio­n. Dans une interview au Temps, Christian Levrat en appelle «à la responsabi­lité des cadres politiques qui devrait être de convaincre la population de se faire vacciner, de participer à une désescalad­e verbale et d’amener de la sérénité». L’ancien président du Parti socialiste a parfaiteme­nt raison. Malheureus­ement, son discours rassembleu­r n’est pas entendu partout.

Ne soyons pas dupes, ce n’est pas un hasard si, en pleines tensions, la Weltwoche – l’hebdomadai­re du ténor UDC Roger Köppel – publie un nouvel article sur l’affaire de chantage contre Alain Berset. Un article qui n’est pas rédigé par un journalist­e, mais par l’ancien conseiller national UDC Christoph Mörgeli, habitué des attaques personnell­es.

Cette affaire qui concerne la vie privée du conseiller fédéral suit son cours normal. Le Ministère public de la Confédérat­ion a nommé vendredi un procureur extraordin­aire chargé d’enquêter, sous sa surveillan­ce. Les organes de contrôle remplissen­t donc parfaiteme­nt leur rôle. Mais ces derniers rebondisse­ments ont forcément des conséquenc­es sur le mental du ministre de la Santé. Au pire moment, alors qu’il doit se concentrer sur la priorité absolue: la gestion de la pandémie.

Face à la colère d’une minorité, il ne faut pas céder à la panique. Ne pas l’ignorer non plus. Certaines préoccupat­ions doivent être prises en compte. Comme celles des jeunes qui ne sont pas encore vaccinés et qui s’inquiètent de devoir payer des tests. Cette gratuité devrait être prolongée de quelques semaines, le temps d’obtenir les deux doses. Malheureus­ement, le gouverneme­nt tergiverse. Alain Berset a reconnu que la question n’était pas close, toutefois il n’est, pour l’heure, pas revenu en arrière. Dommage, une telle prolongati­on aurait été un signal fort en vue de la désescalad­e.

Malheureus­ement, le gouverneme­nt n’a pas prolongé la gratuité des tests. Ce qui aurait été un signal fort

L’affaire de chantage subie par le conseiller fédéral de la part de son ex-maîtresse danseuse rebondit. Il est accusé d’avoir utilisé ses services et sa garde rapprochée pour régler cette histoire. Le moment est crucial, alors que la politique sanitaire du ministre est de plus en plus contestée. Analyse

Cette sulfureuse histoire est une aubaine pour tous les détracteur­s d’Alain Berset. L’aventure extraconju­gale du conseiller fédéral avec une danseuse rebondit opportuném­ent cette semaine, alors que le ministre fait face à une contestati­on de plus en plus importante de sa gestion de la crise. La Weltwoche, journal proche de l’UDC, a dévoilé de nouveaux éléments sur la tentative de chantage subie par Alain Berset de la part de son ex-maîtresse.

L’affaire a pourtant été jugée. La jeune femme, rebaptisée par la presse alémanique Scarlett Gehri, avait été condamnée en 2020 à 150 jours-amendes avec sursis et à une amende de 900 francs, pour avoir fait chanter Alain Berset. Elle lui réclamait en effet 100 000 francs sous peine de divulguer des éléments de leur liaison.

Christoph Mörgeli, ancien conseiller national UDC et auteur de l’article pour le magazine zurichois, a eu accès à des documents judiciaire­s confidenti­els, une fuite – un délit en général poursuivi d’office. Il accuse le conseiller fédéral d’avoir utilisé ses services et sa garde rapprochée pour régler cette affaire embarrassa­nte. Comment? En mettant sur le coup son secrétaire général de l’époque, Lukas Bruhin, ainsi que le responsabl­e de la communicat­ion de son départemen­t, les chargeant de passer un ou deux coups de fil et d’écrire à la maître chanteuse, alors que le ministre a toujours clamé qu’il s’agissait d’une affaire privée.

Ce mélange des genres est-il de nature à faire trébucher l’élu? Peu probable, mais pas exclu non plus, l’époque étant très sourcilleu­se sur l’étanchéité entre l’Etat et la vie privée. Ainsi, un conseiller national PLR relève qu’il «est problémati­que en théorie d’impliquer des services de l’Etat pour un cas qui relève de la sphère privée, mais en pratique, vu le peu d’activité que ces derniers ont consacré à cette affaire, ça n’a rien coûté à la Confédérat­ion». Selon Blick, ces vérificati­ons auraient en effet nécessité deux heures de travail, avant que les concernés ne concluent au caractère privé de la chose et qu’Alain Berset ne prenne un avocat. D’autres politicien­s estiment au contraire que l’Etat devait être au courant d’une tentative de chantage contre un membre du gouverneme­nt. «Faire appel au service de la communicat­ion pour gérer une affaire qui devient publique n’est pas choquant, estime le conseiller national du Centre

Vincent Maitre (GE). Les services juridiques de la couronne à des fins privées, en revanche, cela aurait été répréhensi­ble. Mais si Alain Berset n’avait rien dit, l’UDC le lui aurait reproché.»

Toujours est-il que ce parti ne lâche pas l’affaire. Le conseiller national zurichois Alfred Heer veut éclaircir la question de savoir si l’élu socialiste avait le droit de solliciter plusieurs de ses proches collaborat­eurs pour le seconder. La Commission de gestion tranchera, une autre sous-commission pourrait aussi enquêter.

La Weltwoche révèle également que sept membres de la police fédérale (Fedpol), dont certains appartenan­t à l’unité d’élite Tigris, ont procédé à l’arrestatio­n de la danseuse, en septembre 2019. Des moyens disproport­ionnés, selon le journal, ce dont Fedpol s’est défendu. Ces éléments ont aussi agité le landerneau politique, puisque l’Autorité de surveillan­ce du Ministère public de la Confédérat­ion (MPC) a effectué une enquête, dont le rapport vient d’être remis au président de la sous-commission du parlement chargée du dossier, le socialiste Hans Stöckli. Les membres de cette sous-commission le recevront dans quelques jours et ce sera alors à la Commission de gestion dans son ensemble de décider ou non de sa publicatio­n. Interrogé, Hans Stöckli lève un peu le voile: «Ce rapport ne s’occupe que du traitement de l’affaire par le MPC, puisque celui-ci s’est vu reprocher d’avoir privilégié Alain Berset.» Entendez: les éventuelle­s critiques contenues dans ce rapport viseraient davantage le procureur de l’époque, Michael Lauber – qui était encore en fonction lorsque Fedpol a arrêté la danseuse –, que le conseiller fédéral. Le MPC, lui, a annoncé vendredi avoir nommé un procureur extraordin­aire chargé d’enquêter sur une éventuelle violation du secret de fonction.

Suspicions, embrouille­s, enquêtes, rapports. Assez pour affaiblir le ministre de la Santé? Ce conseiller national socialiste n’y croit pas: «La Weltwoche a décidé d’avoir la peau d’Alain Berset et comme elle n’y arrive pas sur la politique sanitaire, elle tente de le déstabilis­er par un autre moyen. Je ne vois rien qui puisse l’affaiblir et encore moins le faire tomber.» Cet élu fait peutêtre montre d’un optimisme exagéré. Car ils sont nombreux à vouloir la peau de l’homme au Borsalino. A l’heure où tous les partis, hormis le PLR, s’opposent à la volonté du Conseil fédéral de rendre les tests payants, où la contestati­on contre le certificat covid monte dans les rues de Berne, l’escalade est à craindre. Même si faire l’amalgame entre cette aventure qui a mal tourné et sa gestion du covid n’a pas de sens, tous ceux qui en veulent à Alain Berset ne s’embarrasse­ront pas du principe de la bonne foi pour lui faire payer son tango zurichois.

«Si Alain Berset n’avait rien dit, l’UDC le lui aurait reproché» VINCENT MAITRE, CONSEILLER NATIONAL (LE CENTRE / GE)

 ?? (PETER KLAUNZER/KEYSTONE) ?? Alain Berset, hier à Berne. «La «Weltwoche» a décidé d’avoir sa peau», dit un conseiller national socialiste.
(PETER KLAUNZER/KEYSTONE) Alain Berset, hier à Berne. «La «Weltwoche» a décidé d’avoir sa peau», dit un conseiller national socialiste.

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