Eric Zemmour, sur un air de campagne
Pour son premier meeting public depuis la sortie de son livre «La France n’a pas dit son dernier mot», Eric Zemmour a rempli le palais des congrès de Toulon. Un rassemblement de fans, résolus à voter pour le polémiste réactionnaire toujours pas candidat
L’essayiste et polémiste ne s’est pas encore déclaré candidat à la présidentielle d’avril 2022. Mais avec la présentation en fanfare, vendredi, de son dernier livre à Toulon, suivie de son premier meeting public, son assaut élyséen paraît de plus en plus programmé.
Il cite d’emblée Jules Michelet, Napoléon et les exploits de la 1re armée française qui libéra la Provence en 1944… avec une certitude à la clé, assortie de trois mots: la guerre de civilisation rythmée par la «déconstruction, dérision et destruction». Il est 20h20, vendredi au palais des congrès Neptune de Toulon. Eric Zemmour n’est toujours pas candidat à la présidence de la République, mais il parle en oracle, mêlant faits historiques, analyse géopolitique et éloge de «l’intuition française des pieds-noirs». Ces rapatriés d’Algérie dont fit partie sa famille, comme de nombreux spectateurs du port méditerranéen. Première guerre de civilisation: celle qui se déroule entre la puissance «montante» qu’est la Chine et les Etats-Unis, puissance «déclinante». Seconde guerre de civilisation: celle menée par l’islam contre la civilisation européenne avec ses «armes traditionnelles: la démographie, les pillages, la guérilla… tout cela dans des enclaves civilisationnelles au coeur de la France». Dehors, devant l’hôtel Ibis Style de Toulon, les affiches «Zemmour président» sont déjà distribuées. Avec une lettre Z en forme de slogan si le journaliste-essayiste décide bientôt de franchir le pas des urnes…
«Les caïds de la drogue»
Ils sont assis depuis deux heures. Jacqueline, institutrice, et Pierre, cadre commercial retraité, se sont installés en haut de la salle après avoir patienté deux heures. Ils applaudissent lorsque l’essayiste dénonce «les caïds de la drogue qui contrôlent des colonies islamiques au coeur des quartiers». Ils se sont levés lorsqu’il est entré, avec sa silhouette frêle, dopé par l’adrénaline du public. Eric Zemmour, né en août 1958, bat de sa jambe droite, puis gauche, sur la chaise disposée devant une table basse entre des panneaux des autres invités des Entretiens de l’été, le festival littéraire toulonnais. Le visage du romancier Didier Van Cauwelaert, autre invité, est à sa gauche. Celui du dessinateur Plantu est à sa droite.
Jacqueline, l’institutrice de Hyères, à côté de Toulon, se régale de l’entendre louer «cette tradition littéraire qui, en France, lie littérature et politique». Elle trépigne lorsque l’écrivain parle, soudain, de la «rumeur sur ma candidature», sans la confirmer. Deux rangées au-dessus, Yann a posé sur ses genoux son cartable de cuir d’une marque de luxe. Chemise cintrée, chaussures de cuir pointues bien cirées, le jeune informaticien prend des notes. Victor Hugo fut député. Chateaubriand fut ministre. Lamartine fut l’âme de la révolution de 1848. Zemmour, alias Z… les cite à la volée. Il les convoque au chevet de ses thèses. «Sa force, c’est de nous rendre plus intelligents, se félicite Yann. Zemmour, c’est l’anti-Le Pen. Marine nous renvoie l’image d’une France souvent inculte, protestataire sans références. Sa révolution à lui a des lettres.»
Un pays qui n’existe pas
Un meeting avec Eric Zemmour est plus qu’un voyage dans la France d’hier. C’est un périple dans un pays qui n’existe pas, construit comme un Lego gaulois, brique par brique. Une incursion dans la société française en grand danger «qu’ils veulent détruire avec leur guillotine sèche qu’est la justice aux ordres des minorités». Une nouvelle saillie sur l’islam et les Arabes «que nous, les pieds-noirs, nous connaissons bien car nous avons vécu à leurs côtés». Colonisation, pour lui, ne rime jamais avec crime. Cette France ne supporte pas Emmanuel Macron, même si l’essayiste reconnaît «qu’il a plus le niveau que les autres dans cette lente descente aux enfers» d’où ne surnagent que quelques exceptions, comme le défunt Philippe Séguin, l’ancien ministre JeanPierre Chevènement ou le candidat de la gauche radicale Jean-Luc Mélenchon, «des hommes d’idées et de culture pour moi, candidat au débat». Zemmour parle d’une «France de mille ans». Le possible candidat Z est professeur d’histoire, de géographie, expert en narcotrafics. Le tout au service d’un être: la France. Lui, l’ex-journaliste politique dit sa détestation des élus actuels et celle de l’Amérique qui vient d’obliger l’Australie à rompre son contrat d’achat de sous-marins. «On vous raconte tout le temps que la France est nulle, mais elle est la seule à maîtriser entièrement toutes les pièces de ce genre d’engins.» Toulon applaudit. Zemmour est en campagne.
«Des vérités qu’on peut comprendre»
Ils se taisent. Puis ils ponctuent les remarques de l’essayiste de commentaires. Tout n’est, dans sa bouche, que grandeur oubliée, saccagée, piétinée de la France. Marc est sorti, une heure plus tôt, de la salle de fitness située face au palais des congrès. 34 ans, ancien militaire, il croit à ce vrai-faux candidat qui dit «des vérités qu’on peut comprendre et qui nous rendent fiers d’être Français». En contrebas, sur le port, deux femmes voilées sont assises sur un banc, face au ferry en partance pour la Corse. Dans la salle du Neptune, Eric Zemmour parle en sauveur, fustigeant les médias et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui l’a obligé à quitter l’antenne de la chaîne d’information CNews. Il défend «l’homme hétérosexuel blanc», assiégé par la «cancel culture». Le monde de Zemmour est un chaos décliniste global dont la France doit à tout prix s’extirper en urgence, à la Trump. Haro sur le président démocrate: «Vous avez voulu Biden, vous l’avez eu… et il nous déteste.» L’équation est simple. Lui défend la France à la «de Gaulle», contre ces «valeurs féministes qui corrodent l’autorité». Quand tous les autres, ou presque, sont des «traîtres».